par Yves Paccalet |
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Afin d’évaluer l’impact d’un sujet ou d’un groupe d’individus sur son environnement, on se sert d’un indicateur appelé l’« empreinte écologique ».
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Le principe en est simple. Pour boire, nous nourrir, nous vêtir, nous loger, nous déplacer, nous divertir, nous soigner ou recycler nos déchets, nous consommons des ressources – de l’eau, de l’air, de l’énergie, des aliments, des matières premières, de l’espace… Et nous laissons une trace (souvent bien visible) sur la planète.
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Aussi longtemps que, collectivement, nous ne prélevons pas davantage que le globe ne peut donner, tout va bien. Notre cohabitation, notre vie commune avec Gaïa, restent équilibrées. Le système peut durer.
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L’Éthiopien « vaut » cent fois moins que l’Américain
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Mais lorsqu’on fait la somme des empreintes écologiques des sept milliards trois cent millions d’Homo sapiens actuels, un colossal problème se pose : la répartition des surfaces entre les individus ou les peuples est scandaleusement inégalitaire.
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L’empreinte écologique de l’Américain atteint 20 hectares, celle de l’Européen 10, celle de l’Africain 0,2… Selon ce critère, l’Éthiopien ou le Nigérien « valent » cent fois moins que le Yankee. Bien entendu, aucun humain n’en « vaut » cent autres. C’est faux du point de vue de la science, injuste philosophiquement, et moralement intenable. Mais telle est notre façon de définir le « progrès » !
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En ce début de XXIe siècle, si tous les hommes consommaient comme les Européens, il ne nous faudrait pas moins de trois planètes pour satisfaire nos besoins. S’ils adoptaient le mode de vie américain, il nous en faudrait six.
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Question : où tournent les cinq planètes qui nous manquent ?
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« L’heure du bilan a sonné ! »
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Au long de son Histoire, l’espèce humaine a déjà modifié à son profit la moitié des terres émergées du globe terrestre. L’Homo sapiens capte, aujourd’hui, à son profit exclusif, plus du tiers de l’eau potable ou plus du quart de la production organique primaire. D’une façon générale, nous nous approprions une bonne moitié des ressources organiques de la planète.
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L’organisation non gouvernementale Global Footprint Network (GFN) calcule chaque année notre empreinte écologique en utilisant une unité de mesure originale : l’hectare global (hag) par habitant.
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« L’heure du bilan a sonné ! » préviennent ses responsables. Nous vivons à crédit sur notre unique et minuscule vaisseau spatial. Le processus d’épuisement s’accélère.
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Nous ôtons de l’espérance de vie à notre espèce
Dans un monde en équilibre, nous devrions consommer en une année ce que la Terre nous offre dans le même laps de temps. Ce n’est plus le cas. Pour sept milliards d’humains, chaque humain sur la Terre ne devrait pas occuper plus de 1,8 hectare global par habitant.
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En 2008, nous en étions, en moyenne, à 2,7, avec un record pour le Koweit et les Émirats arabes unis : 11,7 !
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En l’an 2000, nous consommions les ressources terrestres disponibles sur la planète en dix mois : le 1er novembre, nous commencions à vivre à crédit. En 2005, nous avions brûlé notre part dès le 20 octobre.
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En 2011, le « jour du dépassement » a été le 25 septembre. En 2012, la date fatidique est advenue le 22 août.
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En 2016, on en est au 8 août. Ce que nous aurions dû engloutir en 366 jours (l’année est bissextile !), nous l’avons épuisé en 221… Nous avons tout dévoré ou tout pollué en 60 pour 100 du temps qui nous était imparti. Les 40 pour 100 restants, nous les empruntons au futur. Nous les volons à nos enfants. Nous les ôtons à l’espérance de vie de notre espèce.
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Nous nous préparons une Terre invivable
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Comment cette tendance pourrait-elle ne pas s’aggraver, dès lors que notre population passera de plus de sept milliards de sujets aujourd’hui à neuf ou dix en 2050 ?
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L’effondrement de la biodiversité ajoute ses effets pernicieux à ceux des gaz à effet de serre et du chaos climatique, des pollutions et des saccages généralisés, de l’épuisement des ressources forestières et marines, de la stérilisation des terres agricoles, de l’artificialisation des sols…
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Nous nous préparons une Terre invivable. Nous sommes bien partis pour la fameuse « sixième extinction », au cours de laquelle nous jouerons le double rôle de l’assassin et de la victime.
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Dans le vocabulaire quotidien, cette figure est appelée « suicide ». Si l’on a l’esprit quelque peu religieux, ou teinté d’humour noir, on dira que le « jour du dépassement » se met à ressembler d’assez près au « jour du jugement ». Dernier, bien entendu !
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Ce texte a été publié sur le site le + de l’Obs. Comme tous les éditos du site des JNE, il n’engage que son auteur.
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