Voici un nouvel article de notre série sur l’expérience de Loos-en-Gohelle, dans le Nord-Pas-de-Calais.
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par Hélène Duvigneau
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Il y a vingt-cinq ans, le groupe Lens-Liévin et son gestionnaire les Charbonnages de France immobilisaient à jamais la puissante machinerie du siège 19, à Loos-en-Gohelle. Pour cette petite ville d’aujourd’hui 7000 âmes, située en plein cœur du bassin minier pas-de-calaisien, c’est un peu comme si la terre s’arrêtait de tourner.
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Il avait fière allure, ce puits 19, avec ses 8000 tonnes de charbon brut à extraire chaque jour. Sans parler de la tour altière de 66 mètres, qui domine aisément le plat pays. En 1986, les « gueules noires » ont dû tirer un trait sur cent ans de labeur souterrain et sur un charbon nourricier.
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Leurs terrils de 186 m d’altitude, « les plus hauts d’Europe », les mineurs ne pouvaient plus les voir en peinture. Faire table rase du passé, voilà ce qu’ils voulaient. Au diable les sept puits de mine, les huit terrils et les charmantes silhouettes métalliques des chevalements…
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Mais c’était sans compter l’avis du maire et de son équipe, soucieux au contraire de ne pas de jeter un patrimoine minier séculaire aux orties. En 1990, la mairie de Loos-en-Gohelle rachète le carreau de fosse pour transformer ce qui était vécu comme un stigmate en un élément fort du patrimoine local, point de départ d’un renouveau économique.
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Quant à la base d’extraction 11/19, elle est devenue en quinze ans le fer de lance d’un nouveau modèle de développement, porté par la mairie, la communauté d’agglo, la région, et l’Union européenne. Un revirement à 180° pour les habitants, moins habitués au green qu’aux vents de poussière anthracite.
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La mine, c’est par définition du non durable, comme aime le répéter Jean-François Caron, maire écolo de Loos. Et pour cause : la ressource n’est pas éternelle, et l’extraction génère des séquelles à la fois sociales et environnementales. Morcellement des sites d’exploitation, affaissement des sols sur 15 mètres, pollution des nappes phréatiques.
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Sur le plan social, les houillères ont longtemps été l’alpha et l’oméga des familles, les compagnies régissant les vies de chaque mineur, du berceau jusqu’à la tombe. Non seulement les alternatives à la mine étaient maigres, mais l’esprit d’autonomie était fort peu répandu.
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Héritant de friches minières et de sols pollués aux métaux lourds, Loos a préféré ne pas remplacer une industrie par une autre, mais suivre la voie d’un développement plus respectueux des hommes et de l’environnement. Plus que des achèvements, la mairie met en avant la dynamique qu’elle a enclenchée : « De nombreuses analyses extérieures d’universitaires ou encore de journalistes laissent à penser qu’un nouveau type d’écosystème local commence à prendre forme », lit-on sur ses brochures.
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Labo à ciel ouvert, Loos accueille régulièrement chercheurs et sociologues, venus de France et d’ailleurs. On se souvient qu’à la faveur de la crise économique mondiale, l’idée d’un « plan de relance vert » avait opéré un retour en force. A voir ce qui se pratique dans la petite ville de Loos-en-Gohelle, on n’est pas loin de cette idée. Pour changer de modèle, faire repartir une croissance atone, absorber son trop plein de chômeurs, Loos mise sur des emplois à forte valeur ajoutée ainsi que sur les green technologies. Un juste retour de balancier, quand on a tant exigé de sa terre.
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Parmi les réalisations concrètes, on peut citer la charte du cadre de vie, signée il y a dix ans. Elle a permis à Loos de prendre un premier virage vert, en systématisant par exemple les achats municipaux écoresponsables ou l’éco-construction des logements sociaux. Sur le plan purement urbanistique, il a fallu reconquérir les friches et reconvertir la Base 11/19. A cela s’est ajouté un gros travail de sensibilisation de la population, aujourd’hui bien plus familière des thématiques vertes.
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Fleuron de ce développement économique durable, la Base 11/19 accueille à la fois un pôle de veille et de recherche, un pôle associatif et culturel, et une zone d’éco-entreprises. Deux outils sont venus du conseil régional : le Centre de ressources du développement durable (CERDD), groupement d’intérêt public dont l’objectif est d’accélérer les projets d’éco-quartiers. Le bureau du Centre régional de création et de développement des éco-entreprises (cd2e) est chargé d’attirer de son côté les nouvelles entreprises vertes.
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Sur cette Base 11/19, on trouve aussi une pépinière d’éco-entreprises, un bureau d’études en éco-construction, et l’association Chaîne des terrils, qui donne une seconde vie aux terrils. La liste de projets est longue, aussi longue sans doute que l’imagination fertile du maire. On pourrait encore parler de l’implantation du centre régional QEB (qualité environnementale du bâtiment), lieu d’expérimentation de techniques d’éco-construction, ou encore du Centre de formation de la fondation d’Auteuil, actif dans l’insertion des jeunes.
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A noter aussi l’intérêt porté au recyclage pour une région qui produit 30 millions de tonnes de déchets par an. A la clé : une plate-forme d’analyse du cycle de vie et le pôle de compétitivité TEAM2, labellisé en 2010. Au total, ce nouveau modèle de développement a déjà permis de créer une centaine d’emplois. Surtout, Loos devient un terrain d’action et un lieu d’émulation, « the place to be » pour les compétences vertes. Elle est d’abord là, la réussite de Loos.