par Emmanuelle Grundmann |
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Encore confidentielle il y a une dizaine d’années, bien que déjà omniprésente, souvent à notre insu, dans l’essentiel de nos produits de grande consommation (plats cuisinés, margarine, céréales, laits en poudre maternels, pâtisseries industrielles, glaces, cosmétiques, savons…), l’huile de palme est aujourd’hui au centre de diverses polémiques.
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Le palmier à huile, dont on extrait huile de palme et huile de palmiste, est originaire d’Afrique de l’Ouest et se cultive désormais à très grande échelle de l’Amérique latine jusqu’en Asie du Sud-Est en passant par le continent africain. Certains voient dans cette plante un formidable outil de développement des pays de la ceinture tropicale, d’autres un fléau tant environnemental que social. Certains ne tarissent pas d’éloges sur les bienfaits de ces huiles, d’autres les décrient et les accusent de provoquer diverses maladies, cardio-vasculaires notamment.
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La proposition en 2012 de « l’amendement Nutella » par le sénateur Yves Daubigny, visant à augmenter la taxe sur l’huile de palme dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, a provoqué une vaste offensive des producteurs et utilisateurs d’huile de palme et nous avons vu fleurir sur la toile et plus généralement dans les médias de vastes campagnes de communication en faveur de ce produit.
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Voyages de presse côtoyaient divers concours pour gagner un séjour en compagnie des orangs-outans dans la magnifique forêt de Bornéo ou encore créations de pots de pâte à tartiner personnalisables. Une riposte à la hauteur de la puissance d’un lobby pro-palme qui n’hésite pas à pratiquer la désinformation, mais aussi parfois l’intimidation comme en attestent les diverses assignations en justice pour diffamation dont ont été victimes des journalistes et médias français suite à la diffusion de reportages ou d’articles mettant en cause le groupe Bolloré dans les pratiques de la SOCAPALM (une exploitation de palmiers à huile) au Cameroun (pour en savoir plus, lisez les articles du Monde Diplomatique et de Rue89).
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Derrière cet écran de fumée médiatico-lobbyiste se cache une réalité complexe. Oui, l’huile de palme est intéressante, avec une productivité six fois supérieure au soja ; elle résiste à haute température, rancit peu et est beaucoup plus solide que d’autres huiles végétales du fait de sa forte teneur en acides gras saturés, qualités qui sont très recherchées par l’industrie agro-alimentaire. De plus, sa récolte est essentiellement manuelle et, dans les pays de la ceinture tropicales, la main d’œuvre étant très bon marché, la rentabilité finale est assurée.
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Cependant, sa culture se conjugue la plupart du temps avec une déforestation intense, pratiquée via des brûlis d’envergure phénoménale en Indonésie. Les conséquences sur le climat et la biodiversité, immenses, sont pointées du doigt depuis des années tant par des ONG que par d’innombrables chercheurs. Par ailleurs, certaines plantations, avec l’accord des gouvernements, souvent corrompus, n’hésitent pas priver les populations autochtones de leurs droits fonciers pour céder de nouvelles concessions et les conditions de travail au sein même des plantations, qui usent et abusent de la sous-traitance, sont maintes fois déplorables et décriées. Et trop souvent, cette culture qui rime pour certains avec développement, traîne en réalité dans son sillage une accentuation de la paupérisation.
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Quant au volet santé, si l’huile de palme n’est pas plus mauvaise que d’autres huiles riches en acides gras saturés, nous en consommons bien trop. Cette surconsommation dans les pays du Nord va de pair avec une augmentation du risque de surpoids et d’obésité, tous deux provoquant diabète 2 et maladies cardiovasculaires.
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Néanmoins, ces conséquences dramatiques de l’expansion sans limite des cultures d’huile de palme depuis la Malaisie et l’Indonésie vers l’Amérique latine et l’Afrique centrale ne doivent pas occulter ses potentiels avantages. Aujourd’hui, des entreprises travaillent avec des associations telles que le TFT ou Greenpeace pour mettre en place des systèmes de cultures durables tant sur le plan environnemental que social, selon des critères stricts dépassant largement ceux, beaucoup trop laxistes de la RSPO (Table ronde pour l’huile de palme durable). Néanmoins, tandis que ces initiatives encourageantes se dessinent, ailleurs le désastre continue, comme à Bornéo où les feux de forêt ont repris pour faire place nette au palmier ou au Cameroun, où Herakles Farm persiste à empiéter sur des zones protégées pour y installer ses plantations.
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Face à ces situations dans les pays producteurs, trop souvent tétanisés par une corruption à tous les échelons, c’est aux gouvernements des pays importateurs et aux consommateurs qu’il appartient aujourd’hui de faire pression sur les industriels afin que ces pratiques n’aient plus cours. L’argument du développement, aussi louable soit-il, ne peut en aucun cas justifier de telles actions et avoir pour socle de telles injustices et destructions. L’huile de palme doit de toute urgence changer de mode de production afin de prendre le chemin d’une durabilité effective et, nous en sommes malheureusement encore bien loin.
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Emmanuelle Grundmann vient de publier Un fléau si rentable, vérités et mensonges sur l’huile de palme, aux éditions Calmann Lévy. Cet éditorial n’engage pas les JNE.
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