par Laurent Samuel, Vice-Président des JNE (pour le Conseil d’administration des JNE) |
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Révélée le 30 août par le site Arrêt sur Images, toujours bien informé, la nouvelle a été confirmée le 2 septembre par l’intéressé, sous la double forme d’un communiqué de presse et d’un article sur le site Reporterre dont il est l’un des fondateurs : Hervé Kempf, spécialiste des questions d’environnement, quitte la rédaction du Monde après 15 ans de « maison» et plusieurs mois de conflit avec sa hiérarchie autour de la couverture du conflit de Notre-Dame-des-Landes par le quotidien du soir, dont il affirme avoir été écarté, tandis qu’une de ses chroniques hebdomadaires sur l’écologie était « censurée ».
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A priori, l’information ne devrait guère valoir que quelques lignes dans les rubriques médias. Pourtant, le fait de lui consacrer l’éditorial de rentrée du site de la principale association de journalistes spécialisés en nature et en écologie n’est pas un signe de nombrilisme, encore moins de défense corporatiste d’un confrère membre de longue date de notre association. Car, au-delà des circonstances particulières de cette « rupture conventionnelle » entre un salarié et son employeur, le fait qu’un journaliste spécialisé en environnement quitte un grand quotidien parce qu’il a le sentiment de ne plus pouvoir écrire ce qui lui semble juste sur les sujets qu’il couvre est un coup dur à la fois pour la presse et pour l’écologie. Pour l’écologie, car cela veut dire qu’une voix différente ne peut se faire entendre dans un quotidien national. Et pour la presse, car cela incite les lecteurs qui lisaient le Monde en raison de la pluralité de points de vue incarnée par la présence d’Hervé Kempf à se tourner vers d’autres médias et à délaisser encore un peu plus une presse écrite déjà mal en point.
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Mais, plus globalement, cette affaire met au jour toute une série de tendances, de « logiques perverses » qui contrecarrent les efforts de nombreux confrères pour travailler en toute indépendance, et avec des moyens suffisants, sur les sujets d’environnement. Certes, comme nous l’avons exposé en 2010 dans un numéro spécial du Canard Sauvage sur l’écologie dans les médias, ces thèmes sont incomparablement plus présents aujourd’hui qu’ils ne l’étaient lors de la création de notre association en 1969. A l’époque, il fallait se battre pour faire passer des sujets sur l’écologie. Désormais, du changement climatique aux OGM en passant par les gaz de schiste, les sites internet, les quotidiens, les chaînes d’info, les journaux télévisés « couvrent » abondamment cette actualité. Mais, trop souvent, le traitement de ces thèmes reste événementiel, et manque du recul, de la perspective historique que peuvent apporter des journalistes spécialisés. Et surtout, beaucoup de rédacteurs en chef estiment, à l’instar de nombreux décideurs politiques et économiques, qu’à l’heure de la crise et du chômage de masse, l’écologie est devenue un « luxe » que l’on ne peut plus s’offrir. Ou alors, qu’on doit la réduire à la « croissance verte », elle-même vue quasi exclusivement sous des angles « business », et à la sempiternelle répétition des « petits gestes » censés « sauver la planète ».
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A cela s’ajoute la réduction des budgets accordés aux enquêtes et reportages, auxquels la plupart des rédactions préfèrent la reprise des dépêches d’agences. En outre, certains journalistes se heurtent parfois aux pressions, le plus souvent indirectes, d’actionnaires et de gros annonceurs pour limiter la place accordée à certains sujets, voire les « trapper », ou en favoriser d’autres, ainsi qu’au manque de transparence de certaines entreprises et administrations, tandis que les conflits d’intérêts, pas toujours faciles à débusquer, entachent la crédibilité de certaines études scientifiques, notamment sur les liens entre environnement et santé.
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Pour couronner le tout, nombre de titres et de chaînes ont tendance à préférer les points de vue tranchés et extrêmes, propices au « buzz » et aux reprises via les réseaux sociaux, au détriment des analyses nuancées et des dossiers fouillés. Le traitement de questions complexes comme le bouleversement climatique ou les organismes génétiquement modifiés se trouve trop fréquemment réduit à des affrontements spectaculaires, mais stériles, entre « pro » et « anti ».
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A l’intérieur des rédactions, ces évolutions se déroulent dans un contexte d’une généralisation de « techniques » de « ressources humaines » basées sur l’évaluation et la compétition, contestables dans leur principe et en tout état de cause particulièrement peu adaptées à l’exercice du métier de journaliste. Tandis que les tarifs des piges stagnent ou diminuent, les journalistes en poste sont soumis à des pressions croissantes, et sont parfois conduits à changer de rubrique au bout de quelques années, ce qui nuit au suivi des sujets et à la conservation d’une mémoire.
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Bien sûr, tout n’est pas complètement noir. En particulier, le développement des réseaux sociaux, des blogs et des sites personnels ou collaboratifs (comme celui des JNE) permet aux journalistes (y compris à Hervé Kempf !) de s’exprimer librement en dehors des médias qui les rétribuent. A l’heure d’Internet, il est rare qu’une information puisse être durablement « censurée ».
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En tout cas, le « coup d’éclat » d’Hervé Kempf a l’immense mérite de mettre le doigt « là où ça fait mal » et de lancer le débat sur ces enjeux capitaux, non seulement pour les « professionnels de la profession », mais aussi pour l’ensemble des citoyens. Car la liberté et l’indépendance de l’information, tout particulièrement sur les sujets capitaux liés à l’état de la planète, sont l’une des conditions premières de la démocratie.
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Laurent Samuel collabore notamment au site Media Pep’s.
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