Vers un tribunal de la nature pour condamner les « écocides » ? : un débat sur France Inter

Voici le compte-rendu de l’émission de Stéphane Paoli, 3D, le Journal, diffusée sur France Inter le 3 février 2013.

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par Roger Cans

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Invités à l’émission : Valérie Cabanes, juriste en droit international au Parlement européen ; Philippe Desbrosses, agriculteur à la ferme de Sainte-Marthe (Loir-et-Cher) et docteur en écologie ; Alfredo Pena-Vega, sociologue et complice d’Edgar Morin pour un tribunal international de la nature, élaboré à Rio+20 et dont il est le coordinateur ; Jean Jouzel, paléoclimatologue et membre du GIEC, interviewé dans son train.

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Stéphane Paoli s’entretient d’abord avec Jean Jouzel, dans son train. Le scientifique confirme que, grâce aux carottages effectués en Antarctique et au Groënland, on dispose du relevé du climat des 800.000 dernières années. Et l’on constate que la teneur de l’air en CO2 n’a jamais été plus importante qu’aujourd’hui. La diminution des glaciers au Groënland est spectaculaire, et provoque la montée du niveau de la mer d’un millimètre par an. Et la surface des glaces de mer dans l’océan Arctique est réduite de moitié. Stéphane Paoli s’étonne que, devant ces évidences scientifiques, on n’ébranle pas plus le monde citoyen et politique. Jean Jouzel répond que, avec des collègues comme Claude Lorius, il essaye de convaincre les politiques. Il a participé au Grenelle de l’environnement et s’est efforcé de porter la bonne parole jusqu’aux citoyens de base. Stéphane Paoli le félicite pour le prix Vetlesen, l’équivalent du prix Nobel de l’environnement.

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Valérie Cabanes explique alors que, grâce au traité de Lisbonne, on peut interpeller le Parlement européen et la Commission européenne, du moment qu’un million de citoyens de sept pays européens signent personnellement une pétition en ligne. Neuf élus européens de 9 pays, « surtout des femmes », ont demandé que « l’écocide », concept né en 1970 sur le modèle du crime de guerre ou crime contre l’humanité, soit pris en compte par l’UE. Cette demande a été rejetée en 1995, notamment à l’initiative de la France pour protéger sa technologie nucléaire. La demande a été renouvelée le 21 janvier 2013, qui donne un an à la pétition pour interpeller les institutions européennes. Valérie Cabanes estime que « l’impuissance citoyenne peut être surmontée », comme on le voit au Brésil avec l’opposition au barrage de Belo Monte, en Amazonie. Elle prend comme exemple le mouvement Colibri, initié en France par Pierre Rabhi.

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Suit un « radio trottoir » de Jean Pierrot sur le terme « écocide ». Les passants interrogés évoquent Fukushima, l’Amoco Cadiz, Coca-Cola qui accapare l’eau en Inde, et l’océan des plastiques. D’autres ne comprennent pas le terme.

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Stéphane Paoli s’entretient alors avec Philippe Desbrosses qui, en évoquant Rio+20, parle d’un « Munich de l’environnement » et dénonce l’accaparement des ressources de la planète par quelques-uns. « Je suis dans le monde d’après, car ce monde va s’effondrer et il faut donc reconstruire à côté ». Le syndrome du Titanic. Il annonce que son mouvement regroupe aujourd’hui des traders, des centraliens, des polytechniciens, des chercheurs de l’INRA, etc. C’est « l’esprit nouveau qui arrive ».

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Un tribunal pénal, demande Stéphane Paoli ? Valérie Cabanes demande que la loi prévoie que la Cour européenne de justice et le Tribunal pénal international puissent se saisir d’un écocide. Après l’Erika, Total a été condamné à payer 200 millions de dommages à l’environnement. Mais qu’est-ce que 200 millions quand on fait 12 milliards de bénéfices ? Et la condamnation ne concerne que le groupe Total, pas une personne. En demandant une loi sur les écocides, nous demandons une loi sur le commerce, une loi pour la paix. Les énergies vertes et la transition énergétique, c’est commercial. Et cela peut contribuer à la paix entre pays pauvres et pays riches.

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Stéphane Paoli s’étonne de notre aveuglement devant tant d’évidences. Jean Jouzel précise qu’il appartient à la Fondation Nicolas Hulot, qui s’efforce de sensibiliser le grand public. Philippe Desbrosses revient sur la PAC, à ses yeux désastreuse, puisqu’elle subventionne les cultivateurs les plus riches. Il ajoute que, par exemple, au Mexique, il n’y a plus que 20 % de terres arables en raison des méthodes de culture. Il dénonce la « collusion entre politiques et affairistes », qui conduit à la « marchandisation du monde ». Il plaide pour le « retour à la terre », qui ne compte plus chez nous que 3 à 4 % de paysans. « Tout repose sur le pétrole ». Or, à la ferme de Sainte-Marthe, on démontre le contraire. Deux maraîchers italiens installés sur quelques hectares gagnent 40.000 euros par an !

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Stéphane Paoli s’adresse alors à Alfredo Pena-Vega, en lui demandant si l’initiative citoyenne européenne pour une « prise de conscience planétaire » est une utopie. Le sociologue dénonce alors les grandes compagnies minières qui sévissent au Pérou (pétrole) ou au Niger (uranium). « Notre maison est en danger. C’est donc à nous de prendre les choses en main. » Paoli rappelle que la France consomme quatre fois plus qu’elle ne produit. Le sociologue constate que la progression à deux chiffres de la Chine va se payer très cher, en coût environnemental. Il précise que le Tribunal international de la nature est une démarche éthique et non juridique. Paoli rappelle qu’on parle souvent de « crise systémique ». C’est une tarte à la crème, répond le sociologue. Le Tribunal envisagé aura une « fonction citoyenne ».

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Valérie Cabanes indique que Christian Huglo a plaidé pour que le préjudice écologique soit inscrit dans le code pénal. Au même titre que Bertrand Russell avait créé un tribunal de la conscience pour les crimes commis par les Américains au Vietnam.
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Alfredo Pena-Vega constate que le projet de barrage géant dans le sud du Chili, en Patagonie, a fait descendre 250.000 jeunes Chiliens dans la rue pour s’y opposer. Philippe Desbrosses estime que le principe de responsabilité (Hans Jonas), c’est bien, mais qu’il faut lui ajouter le principe de cohérence. La PAC fait que ce sont les plus grands pollueurs agricoles qui touchent le plus, ce qui constitue un « détournement de fonds publics ». Alfredo Pena-Vega souhaite y ajouter un « principe d’espérance ». Valérie Cabanes conclut en demandant un devoir de « protection de la nature » et non de « réparation ». Elle estime que l’on doit être « gardiens de la nature plutôt que gestionnaires ».

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L’émission de France Inter est disponible en réécoute en cliquant ici.

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Les JNE ont organisé le 1er mars un petit déjeuner sur ce sujet. Retrouvez-en le compte-rendu en cliquant ici.

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