D’emblée, tout le monde pense au Larzac : des paysans chassés de leurs terres au nom de l’intérêt national ; des militants et des marginaux qui viennent leur prêter main forte ; quelques élus plus ou moins bien reçus, comme François Mitterrand lorsqu’il est venu prendre la température du causse en rébellion ; et enfin la construction de bâtiments de fortune pour fixer la contestation.
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par Roger Cans *
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On retrouve aussi l’argumentaire : comme l’extension du camp militaire du Larzac apparaissait un projet dépassé, donc inutile, le projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes en rase campagne, dans un pays déjà saturé de plateformes aéroportuaires, fait figure de diplodocus et, plus grave aujourd’hui, de caprice du prince, puisque son principal partisan est à la tête du gouvernement.
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Des Larzac et des épines dans le pied, il y en a eu d’autres. On pense alors à Plogoff, ce projet insensé de centrale nucléaire à la Pointe du Raz, aujourd’hui classée Grand Site de France. Grâce au combat décidé des locaux, soutenus par des cohortes de militants et de marginaux, le projet avait dû être abandonné à son tour. En 1981, le nouveau président de la République, François Mitterrand, avait compris qu’il était politiquement désastreux de s’obstiner contre la volonté de résistants obstinés, mus par de nobles motifs. Aujourd’hui, la pointe du Raz est débarrassée de ses baraques à frites et de ses vilains parkings, et les touristes viennent y goûter un air d’infini face à l’océan…
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Un autre Larzac est moins connu, bien qu’il ait lui aussi pris tous les caractères de la contestation caussenarde, bretonne et aujourd’hui bocagère : le barrage de Serre de la Fare, en Haute-Loire. Sous prétexte d’éviter le retour d’une inondation catastrophique, le gouvernement et les élus avaient décidé de construire un barrage réservoir sur la Loire à l’amont du Puy-en-Velay. On allait donc détruire 14 kilomètres de gorges du « dernier fleuve sauvage d’Europe » pour retenir le flot en période de crue et surtout pour disposer d’un plan d’eau à usages multiples : l’irrigation agricole et les loisirs nautiques.
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Bien que l’enjeu du projet n’eût ni l’ampleur du Larzac, ni la démesure obscène de Plogoff, il a suscité dans les années 1980 une réaction de rejet étonnante. D’une partie de la population d’abord (17,3 % des voix aux municipales de 1989 au Puy-en-Velay !), mais surtout de militants venus de toute la France et même d’ailleurs, comme le prince Philip d’Edimbourg et surtout un Suisse allemand très combattif, Roberto Epplé, aujourd’hui installé à demeure. Comme à Notre-Dame-des-Landes, écologistes, alternatifs et militants de tous poils s’étaient alors donné rendez-vous sur le chantier pour occuper le terrain dans une cabane refuge, et ils ont gagné. Les gorges de la Loire sont restées intactes.
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Après ces trois combats victorieux du Larzac, de Plogoff et de Serre de la Fare, menés par des minorités marginales mais décidées, on voit mal comment le gouvernement pourrait triompher cette fois-ci à Notre-Dame-des-Landes. Le Larzac a résisté pendant dix ans (1971-1981), Plogoff presque autant, et Serre de la Fare a gagné en trois ans. Va-t-on se donner le ridicule de laisser les gardes mobiles guerroyer dans le bocage ne serait-ce qu’un an ? Ce sont les plus obstinés qui gagnent, surtout lorsqu’ils ont de bonnes raisons de refuser un projet dépassé, inutile et nuisible à l’environnement d’un pays déjà trop bétonné.
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* Ancien journaliste du Monde chargé de l’environnement.
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