Les JNE et l’AJE (Association des journalistes de l’environnement) avaient invité le 2 octobre 2012 les animatrices du WECF (Women in Europe for a Common Future) pour un petit déjeuner sur les perturbateurs endocriniens au Père Tranquille, dans le quartier des Halles. Corinne Lepage ayant de son côté convié presque à la même heure les journalistes à un point presse sur les OGM dans un café voisin, il a été décidé de fusionner les deux petits déjeuners, ce qui a permis de procéder à un tour d’horizon complet (quoique trop rapide) des dossiers santé/environnement dans une perspective européenne.
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par Laurent Samuel
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Le petit déjeuner a commencé avec une présentation du WECF par Sascha Gabizon, directrice pour l’Europe. Cette association encore peu connue du public français a été créée en 1994, dans le prolongement du Sommet de Rio de 1992, au cours duquel, pour la première fois, le rôle des femmes dans le développement durable a été reconnu par les Nations Unies. Au coeur de son action : le droit à un environnement sain.
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Aujourd’hui, le WECF regroupe quelque 150 organisations, dont de plus en plus nombreuses se trouvent en Afrique. Il était officiellement présent au Sommet Rio+20, où, selon Sascha Gabizon, les représentantes des pays du Sud se sont montrées très critiques envers la monétisation de la nature et l’économie verte.
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Au niveau mondial, le WECF s’organise autour de trois bureaux, en Allemagne, aux Pays-Bas et en France, ce dernier étant situé à Annemasse, en Haute-Savoie.
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Anne Barre, fondatrice et présidente du WECF France, lancé en 2008, a ensuite présenté les actions de la « branche » française de l’ONG. Celles-ci consistent d’abord en des « plaidoyers » (traduction de l’anglais advocacy), autrement dit des campagnes de sensibilisation sur des sujets comme la directive européenne Reach sur les produits chimiques ou les phtalates dans les jouets. S’appuyant sur un comité d’experts pluraliste, le WECF France suit en particulier le plan santé-environnement. « Nos priorités sont l’information du public et la protection des femmes enceintes et des enfants », a expliqué Anne Barre. Le WECF France demande notamment l’étiquetage environnemental ou des crèches et écoles « zéro émissions ». Parallèlement, cette association participe dans la région Rhône-Alpes à des projets de terrain pour le développement durable, dans les domaines de l’eau, de l’énergie, de l’agriculture et de la biodiversité, et de la santé environnementale. En conclusion, Anne Barre précise que le WECF n’est en aucun cas une association réservée aux femmes !
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La parole est ensuite donnée à Corinne Lepage, députée européenne et présidente d’honneur du CRIIGEN (Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique). « Maintenant, je peux parler », affirme-t-elle d’emblée, en faisant référence au « secret absolu » maintenu pendant 5 ans au sujet de la désormais fameuse étude du Pr Séralini sur les effets du maïs OGM NK603 sur la santé des rats. Un secret que Corinne Lepage justifie par les risques de fuites qui auraient pu permettre à Monsanto, fabricant de ce maïs, de chercher à discréditer par avance cette étude. Revenant sur le lancement très médiatique de cette étude, la députée européenne a précisé que quelques journalistes scientifiques avaient eu la « primeur » de ce travail, avec un « engagement de confidentialité ». Une disposition qui a donné lieu à un débat bref mais vif entre Corinne Lepage et certains des journalistes présents, ceux-ci estimant qu’elle empêchait les journalistes concernés de demander à d’autres chercheurs que les auteurs de l’étude leur avis sur les conclusions du Pr Séralini et de ses collègues. Dans le même esprit, l’exclusivité accordée au Nouvel Observateur, avec un titre abusif « Oui, les OGM sont des poisons « , alors que l’étude ne concerne qu’un OGM particulier, et l’absence de tout point de vue critique sur le travail du Pr Séralini, ainsi que le lancement médiatique de l’opération (livres de Gilles-Eric Séralini, Tous Cobayes (chez Flammarion) et de Corinne Lepage, La vérité sur les OGM, c’est notre affaire (aux éditions Charles Léopold Mayer), film de Jean-Paul Jaud Tous Cobayes, films sur le net, émission le 13 octobre à 20 h 35 sur France 5) ont suscité des réactions contrastées, soulignant la nécessité de revenir de manière plus sereine sur les questions ainsi posées quant à l’éthique journalistique et scientifique.
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Sur le fond, Corinne Lepage a souligné que l’espèce de rat retenue était la même que celle utilisée par Monsanto pour ses tests, que les « cohortes » de 10 rats étaient plus nombreuses que celles employées habituellement, et que l’étude a mis en évidence un effet spécifique du maïs génétiquement modifié, indépendamment de la toxicité du RoundUp, herbicide auquel cet OGM est « résistant ». Elle a aussi précisé que les rats atteints d’énormes tumeurs avaient été euthanasiés selon les règles scientifiques en vigueur. Corinne Lepage indique encore que contrairement à certaines informations publiées dans la presse, l’étude n’a pas bénéficié d’un financement de Carrefour. Son coût (3,2 millions d’euros) a été assuré par la Fondation Charles Leopold Mayer (environ 1 million d’euros), l’association Ceres qui regroupe Auchan et des PME de la distribution (environ 2 millions d’euros) et la réserve parlementaire du député François Grosdidier (100 000 euros). En revanche, il est exact que le Criigen a effectué dans le passé des études pour Carrefour.
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Au cours de ce petit déjeuner, Corinne Lepage a annoncé avoir envoyé aux ministres de l’environnement de l’Union européenne une lettre demandant des tests des OGM sur 2 ans (et non pas quelques mois comme actuellement), un étiquetage complet (y compris pour la viande nourrie au soja OGM) et la suspension de l’autorisation du maïs NK603 (demandée aussi le 3 octobre par 130 ONG environnementales). Elle demande aussi que le panel de l’Efsa (agence européenne de sécurité alimentaire) chargé de réaliser une contre-expertise sur l’étude du Pr Séralini ne soit pas uniquement composée d’experts pro-OGM ayant des intérêts dans les sociétés de biotechnologies, comme c’est le cas, selon Corinne Lepage, de la plupart des scientifiques français ayant signé un appel publié dans Marianne, et repris sur le site du Monde (lire ici).
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Après les OGM, le débat est revenu aux perturbateurs endocriniens, avec la présentation par Elisabeth Ruffinengo du WECF France de l’étude Menace sur la santé des femmes, publiée aux éditions Yves Michel (en librairie le 12 octobre 2012). Adaptation d’un rapport américain intitulé Girl, Disrupted réalisé en 2008 par une équipe de 18 experts, cette étude met en lumière une multitude de troubles de la santé reproductive féminine liés aux perturbateurs endocriniens tels que les parabènes, les phtalates ou les bisphénols .«Les troubles de la santé reproductive féminine sont une question complexe, tout comme leur étude. Pour autant, il est inacceptable de se retrancher derrière la complexité pour retarder l’action en matière de santé publique. Ces troubles peuvent avoir des conséquences désastreuses pour les femmes qui y sont confrontées. Devant les liens mis en évidence ou fortement suspectés entre des perturbateurs endocriniens bien connus et certains de ces troubles, il est devenu urgent de protéger les périodes de vulnérabilité identifiées par les scientifiques, par l’application de mesures limitant l’exposition des populations », explique Elisabeth Ruffinengo, chargée de mission pour WECF, qui a travaillé à la traduction de l’ouvrage (lire ici le communiqué du WECF France).
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Corinne Lepage précise qu’un débat est en cours sur les PE (perturbateurs endocriniens) au PE (Parlement européen), qui doit voter en février 2013 un rapport intitulé « Protection de la santé publique contre les perturbateurs endocriniens ». Elle nous alerte surtout, comme l’a fait de son côté la députée européenne Michèle Rivasi (lire son article ici), sur la toute récente saisine de l’Efsa par la Commission européenne afin que cette Agence établisse la future définition réglementaire européenne de ces substances chimiques de synthèse. Pour Corinne Lepage, l’Efsa risque d’en profiter pour relayer les lobbys souhaitant restreindre le « champ » des perturbateurs endocriniens. Une affaire à suivre de près donc…
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1 réflexion au sujet de « Petit déjeuner JNE/AJE : le WECF et Corinne Lepage en lutte contre les perturbateurs endocriniens et les OGM »
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