Au rythme d’aujourd’hui il est difficile d’imaginer le temps d’autrefois, quand les voyages et les expéditions pouvaient durer plusieurs années. C’est peut-être le plus impressionnant dans ce livre étonnant qui raconte le voyage d’exploration de Vitus Bering et de Georg Steller au nord du Pacifique au début des années 1740. Le Commandeur de la mission était Béring. Steller n’était qu’un jeune naturaliste mais les évènements du voyage l’ont révélé. La « Grande expédition du Nord » avait été décidée à Saint Petersbourg et c’est de là que tous les participants partirent, à pied, à travers la Sibérie. Une équipe devait explorer les rivages de l’océan Arctique et une autre traverser le Pacifique nord pour trouver la route de l’Amérique.
Deux navires, le Saint Pierre et le Saint Paul, sont construits sur place, sur les rivages orientaux de la Russie. Partis le 04 juin 1741 du Kamchatka, les bateaux arrivent, séparément, en vue des côtes américaines à la mi-juillet et déjà il faut revenir. L’automne est précoce sous ces latitudes et les tempêtes violentes. Si le Saint Paul réussit de justesse, le Saint Pierre, commandé par Béring et sur lequel se trouve Steller, s’échoue en novembre sur une île inhabitée encore inconnue, devenue île de Béring dans l’archipel du Commandeur. La description de cet hivernage forcé, les dures conditions humaines mais aussi les fabuleuses observations naturalistes, connues grâce au journal de Steller, retrouvé un demi-siècle après son décès, constituent le cœur du livre.
L’auteur, biologiste et spécialiste des régions polaires, a eu la chance de parcourir la péninsule d’Alaska et ses îles, l’archipel aléoutien, aujourd’hui américains ainsi que l’île de Béring, russe.
Autant Steller avait été frustré de ne pouvoir passer que quelques heures à terre en Amérique, autant les mois (novembre 1741 à août 1742) passés sur l’île de Béring vont lui permettre de noter des informations uniques sur les loutres de mer, les otaries (de Steller et à fourrure), les renards polaires et bien sûr les fameuses rhytines. Sans oublier le cormoran à lunettes ou de Pallas, éteint comme la rhytine.
Cette expédition a permis, peu après, l’exploitation rapide et intense des ressources locales, déjà malmenées sur les rivages les plus accessibles. La quasi extinction des loutres de mer et des otaries à fourrure a rapidement suivi avec un partage entre russes et américains. Les populations humaines locales ont malheureusement également bien souffert de ces contacts, souvent brutaux, avec par les « occidentaux ».
Le livre est donc riche d’informations dans de nombreux domaines. La trame reste l’expédition, avec sa préparation, sa longue mise en route et son incroyable déroulement. De nombreux éléments de contexte sur les protagonistes et de biologie apportent des données plus encyclopédiques, expliquant tel ou tel point sur l’évolution, la systématique, la paléontologie, les siréniens et enrichissent d’autant l’ensemble. La vaste documentation utilisée est clairement présentée en fin d’ouvrage. Il n’empêche que ce livre ne rend pas très optimiste pour le futur de la biodiversité, au XXIème siècle, voire au-delà.
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Le Guetteur, collection Quo Vadis, 406 pages, 20 € – www.leguetteur-editions.fr
Tél.: 04 71 40 62 01 – contact@leguetteur-editions.fr
(François Moutou)