Très angoissant ce roman. Roman ? Non !!! Ces récits. Car il s’agit bien de moments vécus, rapportés par Arkadi Filine qui est devenu par la magie de l’écriture un auteur à six mains et trois têtes. Arkadi Filine est l’un des 800 000 liquidateurs de Tchernobyl. « Pour ce livre, trois personnes de la génération de Tchernobyl ont choisi d’emprunter son nom. Elles se reconnaissent dans son sens de la dérision, au bord du gouffre, son attitude désespérée mais pas résignée. »
Désespérance pourtant de milliers de Japonais et, avec eux, une partie non négligeable de la population des pays industrialisés à l’atome.
Comment faire autrement. Parfois ce livre est radioactif tant les récits sont détaillés, précis. Ils entrainent le lecteur dans les tentatives d’effacement des précédentes catastrophes atomiques que sont Three Mile Island, Tchernobyl et enfin les lieux où notre esprit déambule, à Fukushima et dans l’archipel du Japon. Sans perdre de vue Hiroshima et Nagasaki qui marquèrent à jamais ce pays par des radiations mortelles et leurs cortèges de souffrances.
Nous sommes touchés au cœur mais nous sommes plus résistants que ceux des réacteurs 1, 2 et 3 de la centrale de Fukushima Daiichi. Ces cœurs là se sont transmutés en coriums. En clair ce ne sont plus que des magmas résultant de la fusion des éléments du cœur, sorte de lave en fusion, avec une consistance pâteuse entre liquide et solide. Cet état est celui des extrêmes. Extrêmement puissant, toxique –gaz, aérosols, particules fines en suspension dans l’air qui peuvent faire le tour de la Terre-, radioactif –tellement que personne ne peut s’en approcher sans décéder dans les secondes qui suivent-, chaud -2 500° à 3 000° C, quand la lave se situe entre 700 et 1 200° C et que l’acier fond vers 1 500° C-, dense –densité de 20, une mètre cube de corium pèse 20 tonnes, contre 1 tonne pour 1 mètre cube d’eau, soit 257 tonnes pour les 3 réacteurs alors qu’à Three Mile Island le corium avait une masse de 20 tonnes et Tchernobyl environ 70 tonnes-, corrosif –il traverse l’acier, les dalles de béton et devient le « syndrome chinois ».
Le corium reste une question de spécialistes, officiellement personne n’en a parlé. Comme très peu de personnalités, japonaises et françaises, ont attribué les causes de la catastrophe au tremblement de terre. Tous ce sont en effet empressés d’oublier la magnitude 9,0 du séisme pour ne retenir que le tsunami, seule cause de la destruction de la centrale. Sujet trop sensible, la terre du Japon tremble tous les jours, en reconnaissant que la plomberie de la centrale n’a pas résisté à cette énorme secousse c’est s’engager sur la pente glissante de vérifications interminables des (52-4) 48 réacteurs japonais encore en fonctionnement et insinuer qu’ailleurs les autres constructions, d’usage nucléaire, sont sensibles aux soubresauts de la croute terrestre.
Que penser de la radiophobie, cet étrange état chronique de stress, d’angoisse mais très éloigné des émissions radioactives parce qu’il consiste surtout en une perte de confiance dans les autorités (soviétiques à l’époque de Tchernobyl) et en une perte de confiance liée à l’incohérence des propos tenus et au manque d’information… (Lire la définition des scientifiques soviétiques en 1987 page 140).
Ce petit livre mauve démontre avec finesse et précision comment les industriels et les états avancent masquer pour conserver la main mise, sans partage, sur l’industrie nucléaire. Pour poursuivre la politique du « ayez confiance », tout est bon au Japon, même de relever les normes sur les doses de radiations admissibles, d’utiliser les « gitans du nucléaire » pour effectuer les travaux les plus risqués dans les centrales atomiques japonaises, temporiser au maximum pour éviter de déplacer et indemniser les populations des zones contaminées, etc.
Conçu à partir de récits sur les deux dernières catastrophes atomiques, Tchernobyl et Fukushima, sur des interviews, des analyses et des documents scientifiques, chacun en apprendra plus de cette lecture que toutes les déclarations officielles. Ces dernières figurent en bonne place pour mieux être sous le regard critique du lecteur.
Textes et documents, à lire pour mieux se préparer au prochain désastre qui arrivera forcément eu égard aux quelques 450 réacteurs disséminés sur la planète, et comprendre les jeux manipulatoires des apprentis sorciers incapables de traiter les centaines de tonnes de déchets d’usines à produire des dangers invisibles.
Les éditions du bout de la ville, collection Pluie Noire, 240 pages, 10 €
Cependant l’éditeur précise : « La reproduction de ce livre est bien-entendu recommandée, saufs aux marchands, que nous remercions de ne pas renter en contact avec nous, sous peine de contact buccal avec la terre. Le PDF de ce livre est disponible en libre téléchargement dans le brouillard du Web. »
Contact : leseditionsduboutdelaville@yahoo.fr
(Richard Varrault)