La Lettre à Lulu

En décembre dernier, la 160e émission Les Autres Voix de la Presse diffusait le témoignage de Pich, illustrateur pour La Lettre à Lulu, « le sale gosse de la presse nantaise » depuis 1995.

par Jocelyn Peyret

Nantais d’origine, Pich dessine pour La Lettre à Lulu depuis une vingtaine d’années. Il s’agit le plus souvent de dessins isolés, quelquefois de courtes bandes dessinées.

Il n’est pas le seul à fournir des illustrations à La Lettre à Lulu, mais « certains ne sont pas très réguliers, d’autres arrêtent quand ils ont trop de trucs à faire à côté ». Certes, l’activité est bénévole, mais pour Pich il s’agit d’« une sorte d’édition d’amour avec La Lettre à Lulu ».

Il lui arrive de collaborer, trop rarement, avec d’autres médias comme Street Press ou Médiapart qui lui a acheté des croquis lors de manifestations des Gilets jaunes.

Actuellement, il travaille à « un projet de bande dessinée sur les bassines et sur Sainte-Soline. J’ai toujours mon carnet de dessin que j’emmène partout sur les manifs. Ça me permet de me positionner, de garder un peu de recul dans la brutalité de l’événement ». C’est également le moyen de constituer des archives de manifestations. « Je note tous les trucs qui se disent. Ce qu’il y a sur les pancartes, les dessins. »

Pich a également publié, au sein d’un collectif, Les amiantés du Tripode aux éditions du CHT, le Centre Historique du Travail à Nantes. « Le Tripode, c’était un immeuble administratif construit dans les années 70. Un espèce de gros immeuble à trois côtés avec trois ministères dedans. En fait, c’était une sorte de modernité totale plombée d’amiante. Notre livre raconte toute l’histoire du Collectif des amiantés, des fonctionnaires et des employés qui travaillaient dedans. Ils sont toujours en lutte, l’amiante tu peux tomber malade 40 ans plus tard. Tu ne sais jamais si tu as été exposé ou pas. Pendant 50 ans, les gens n’ont jamais lâché l’affaire. Il y en a qui sont venus, qui sont partis, il y en a qui sont morts. C’est le collectif qui nous a demandé de faire la BD, qui a rédigé le scénario. 1»

Mais Pich reste fidèle au « sale gosse » qui reste un « journal historique en terme d’informations locales. Il parle beaucoup des petites connivences locales, de ces informations qui sont intéressantes si tu habites la ville. On a su qu’il y avait des mecs qui n’étaient pas contents du tout parce que quand on tapait leur nom, on tombait sur des articles publiés par « La Lettre à Lulu ». L’archivage des articles est à ce titre hyper intéressant. Ça permet de constituer des dossiers, de remonter des affaires. »

Nicolas de la Casinière, fondateur du journal que nous avions interviewé précédemment2, précise qu’ils étaient « deux journalistes et un dessinateur de presse à créer La Lettre en décembre 1995 avec un peu l’idée de regarder si la formule du Canard Enchaîné satirique d’investigation pouvait marcher sur une ville de province. En fait, on est un journal nantais, on aborde la Loire Atlantique, qu’on continue à appeler Loire Inférieure parce qu’il n’y a pas de raison de changer de nom. On a parfois des thématiques nationales et des thèmes qui reviennent souvent qui sont la transformation de la ville, la gentrification. Ce sont des histoires nantaises, mais ça pourrait, si on change le nom des promoteurs et des élus, se passer à Lille, à Lyon ou à Toulouse. »

Tout est totalement bénévole pour la simple raison « qu’on ne voulait pas devenir employeur et essayer de nourrir la machine en se disant qu’on avait fait des mauvaises ventes le mois dernier et qu’il fallait faire un truc plus glamour pour séduire d’éventuels lecteurs le mois suivant. Tout est conçu comme un anti-produit marchand : pas de promo, pas de date de sortie fiable, pas de réclame, pas de « super-cadeau privilège avantageux » aux abonnés qui payent le même tarif que les autres. Pas d’enjeu financier, les seuls coûts étant les frais de production, pas de bénéfices non plus qui sont systématiquement « bus » dans une à deux fêtes annuelles offertes aux lecteurs. On est dans l’indépendance maximum. Avec un désavantage, c’est qu’effectivement c’est beaucoup d’investissement en temps. »

Ce temps d’investigation peut être partagé entre médias locaux, comme ce fut le cas en juin 2023 avec la publication d’une enquête menée conjointement avec La Topette3 à Angers et Le Sans Culotte 854 en Vendée.5

Ils se sont retrouvés à l’initiative de La Topette qui organisait une rencontre autour de la presse indépendante. « On s’est bien entendu et on est parti sur le sujet de l’ennéagramme dans le management pour former les cadres. Cette méthode est une espèce de gimmick entre New Age et psychologie de DRH. On va aller chercher dans les blessures de l’enfance. Et vous allez retrouver votre vraie personnalité. Et c’est là que commence le processus qui peut s’apparenter à de la manipulation. On va chercher des moments douloureux de l’enfance. On montre des points de vulnérabilité à des gens qui sont des chefs. C’est un peu n’importe quoi ! Mais les chefs d’entreprise sont ravis d’avoir un truc comme ça qui est comme un profileur avec une version un peu mystique. Dans une boîte qui fait du profit, c’est une logique plutôt rationnelle. On cherche à maximiser les profits et les performances des gens. On va vous rendre meilleur grâce à la formation. En gros, c’est rejeter la faute sur le salarié. S’il n’est pas assez performant, il faut qu’il aille voir dans son enfance pour pouvoir être au mieux de sa forme pour l’entreprise. »

Pour cette enquête, « nos zones d’enquête et de diffusion étant conjointes, les trois départements se touchent, on a tout mis en commun et chacun a puisé ce dont il avait besoin. En Vendée, ils parlent plus de Fleury-Michon, nous on parle plus d’un des principaux formateurs et à Angers ils ont regardé l’usage de l’ennéagramme par les collectivités. Ce qui fait qu’on a approfondi nos connaissances ensemble. C’était la première fois qu’on faisait ça, ça a plutôt bien marché. C’était un peu la coalition des Davids contre les Goliaths. »

Pour aller plus loin
www.lesautresvoixdelapresse.fr
Instagram : pich.croquis
www.lalettrealulu.fr

2 LAVP n° 20 et LAVP n° 199

3 La Topette  www.latopette.fr

4 Après presque 20 ans d’existence, Le Sans Culotte 85 a cessé de paraître en juillet 2024 – https://lesansculotte85.com/

5 L’enquête est parue dans le n° 124 de La Lettre à Lulu, le n° 12 de La Topette et le n° 159 du Sans Culotte 85.