Affaire Paul Watson : des accusations peu crédibles sur le plan juridique

En émettant le 23 juillet 2024 un arrêt international via Interpol contre Paul Watson , le Japon entend punir l’activiste pour son engagement contre la pêche illégale. Une procédure juridique très controversée comme l’a souligné le 16 octobre dernier une conférence de presse de l’ONG Sea Shepherd France avec un collectif de juristes chargé de sa défense.

par Michel Cros

« En cinquante années d’activités, Paul Watson n’a jamais blessé personne », déclare la présidente de Sea Shepherd France, Lamya Essemlali, en début de conférence, jeudi 16 octobre 2024. En tant que citoyens européens, nous sommes en droit de nous demander sur quelles bases s’appuie ce mandat international émis par le Japon, et connaître les raisons – savoir si elles sont vraiment connues et bien fondées – d’un tel acharnement envers un homme qui essaie depuis un demi-siècle de faire respecter, avec une autorité pacifique, un moratoire baleinier international.

Les faits rapportés lors de cette conférence par le collectif des juristes, les intervenants et surtout par la présidente de Sea Shepherd France nous éclairent sur le motif d’accusation invoqué, mais aussi sur l’origine réelle de cette arrestation. Afin d’avoir une vision générale du contexte de cette arrestation quelque peu complexe juridiquement, il est important de garder à l’esprit deux dates majeures qui vont orienter le déroulement de cette affaire.

Cette arrestation n’aurait peut-être jamais eu lieu si des marins au Groenland n’avaient contacté les autorités danoises, en voyant arriver le 21 juillet 2024 le bateau de Paul Watson dans le petit port de Nuuk. Car ce sont ces mêmes autorités, sur les dires de ces pêcheurs, qui ont alerté les services d’Interpol (où Paul Watson est inscrit sur une liste rouge), conduisant le Japon à demander son arrestation.

Ce n’est pas un hasard si c’est au Groenland, sous protectorat danois, que Paul a été arrêté, et c’est important d’avoir en tête la dimension politique sous-jacente, explique Lamya Essemlali, pour bien comprendre le contexte : cette arrestation renvoie  à une polémique entre le Danemark et Sea Shepherd sur le Grindadrap, le plus grand massacre de dauphins en Europe, dénoncé depuis plusieurs années par l’ONG, mais qui continue de jouir d’un statut de tradition aux îles Féroé, où il y a un fort mouvement indépendantiste pour pérenniser cette chasse locale très meurtrière.

« Ce sont les îles Féroé qui ont appelé le Groenland, qui a contacté le Danemark, qui a prévenu le Japon, s’insurge Lamya Essemlali. Tiens, on sait que Paul Watson va s’arrêter au Groenland le 21 juillet, est-ce qu’il vous intéresse toujours ? cCest ça qui s’est passé ! » Donc, des tueurs de baleines et de dauphins se sont alliés pour dresser un guet-apens à leur ennemi commun qui est Paul Watson… D’où la suspicion de Sea Shepherd France sur la neutralité du Danemark dans cette affaire…

Autre date capitale, le 6 janvier 2010 : ce jour-là, un incident majeur arrive au navire néo-zélandais du capitaine Pitt, l’un des coéquipiers partenaires de Sea Shepherd. Le baleinier Shönun Maru percute et coupe en deux le bateau de Pitt, l’Adigill, alors à l’arrêt (en manque de carburant), manquant de tuer six membres d’équipage, poursuit Lamya, qui traduit le témoignage en visio de Pitt. « Le département maritime de Nouvelle-Zélande a conclu que la responsabilité de la collision était celle du capitaine du Shönun Maru qui – et c’est très visible sur les images – a fait un effort pour se déporter à babord pour percuter l’Adigir. » L’abordage du baleinier japonais par le commandant néo-zélandais est l’évènement déclencheur qui va conduire le Japon à lancer un mandat d’arrêt international contre Paul Watson, avec une ligne rouge d’Interpol, lié à ses campagnes anti-chasse à la baleine dans l’Antarctique.

« Le Japon ne pardonnera jamais à Paul Watson de lui avoir fait perdre la face » : tel est le constat glacial, dans une autre intervention phare en visio, de François Zimeray, ex ambassadeur de France au Danemark, qui n’hésite pas à qualifier cette affaire d’ « harponnage judiciaire » et à s’étonner très vivement du déroulement, quelque peu décalé pour un pays membre de l’Union européenne, de ces audiences successives de la justice danoise à l’égard d’un deféenseur de l’environnement. Et le diplomate, qui connaît très bien la culture japonaise, de confirmer cet acharnement total sur Paul Watson pour avoir pointé à la face du monde entier les projecteurs sur la pêche illégale du Japon.

« J’en appelle solennellement au ministre de la justice du Danemark, a conclu maître Jean Tamalet. Je lui demande de lire les pièces, de regarder les vidéos, de poser les questions, car ce ministre a une responsabilité historique, son nom sera gravé dans l’histoire quelle que soit la décision. C’est lui qui choisira la page de la honte, ou celle des droits humains ».
La balle est donc entre les mains du Danemark. Une question cruciale pour ce pays qui va présider le Conseil européen en 2025. Sans décision salvatrice du juge danois, cette affaire va détruire la vie d’un homme qui a voué sa vie à défendre baleines et dauphins, alors que le Japon continue de pratiquer une pêche illégale, condamnée en 2014 par le Tribunal international de La Haye et en 2015 par la cour fédérale australienne.

Chaque année, un million de tonnes de poissons sont pêchés illégalement. La mise à mort d’une baleine met 25 minutes à 1 heure, durée qui ne serait en aucune facon tolérée dans les abattoirs. Le droit international concernant les mammifères marins serait-il différent de celui s’appliquant aux espèces vivantes sur terre ? Nombre d’interrogations majeures restent encore à résoudre, comme celle soulevée, et non des moindres, par l’avocate Rachel Lindon : « l’Europe doit-elle intégrer la défense de l’environnement dans la défense des droits humains ?»

Les héros ne meurent pas !

Au lendemain de cette conférence de presse qui s’est terminée par l’annonce d’une demande à la France d’asile politique de Paul Watson, une baleine à bosse a été aperçue aux abords de l’estuaire de la Seine. Un signe avant-coureur d’une prochaine libération du capitaine Paul Watson ?

Le collectif des avocats de Paul Watson : 
maîtres Marion Crécent, Rachel Lindon, Julie Stage, Jonas Christoffersen, Emmanuel Jez, William Julié, Jean Tamalet, François Zimeray, William Bourdon

Dessin Michel Cros