A la faveur du remaniement ministériel opéré par le président Abdelmadjid Tebboune, lundi 18 novembre 2024, la « Qualité de la vie » a fait irruption, de façon totalement inattendue, dans l’intitulé d’un ministère, pour la première fois depuis l’indépendance de l’Algérie (plus de 62 ans et 49 gouvernements).
par M’hamed Rebah
Naturellement, il s’agit du ministère de l’Environnement et de la Qualité de la vie, confié à une élue, présidente de l’Assemblée populaire de la wilaya d’Alger, Nadjiba Djilali, avocate de formation. Bien que cela semble évident, il faudra attendre le décret fixant les attributions de la ministre pour savoir quels domaines d’action couvre la notion de « Qualité de la vie » et quel est son rapport à l’environnement.
Des concepts comme « Développement durable » et « Transition énergétique » ont été éliminés des intitulés des ministères de l’Environnement et de l’Energie, comme s’ils étaient passés de mode. Ils continuent toutefois à meubler le discours écologique officiel et celui des experts aux côtés du concept « Economie circulaire » qui a tendance à estomper celui d’« Economie verte ». Place maintenant à la « Qualité de la vie ». Dans tout cela, le critère de vérité reste la réalité quotidienne vécue par les citoyens. Le malaise urbain persiste, provoqué par la saleté et par les nuisances sonores, dues aux comportements inspirés des activités commerciales informelles qui ont banalisé les pratiques en violation de la loi et ont produit l’incivisme constaté par tous.
Les énergies renouvelables
Le remaniement ministériel a fait ressortir un autre fait notable, en relation avec l’écologie : le « périmètre » des Energies renouvelables est bien délimité puisque ce département est affecté, dans son intégralité – réseau et hors-réseau – à un secrétariat d’Etat, confié à Noureddine Yassaa, nommé auprès du ministre de l’Energie, des Mines et des Energies renouvelables, Mohamed Arkab. Là également, on verra plus clair avec le décret fixant les attributions du secrétaire d’Etat.
Une certitude : la dualité qui existait, de fait, dans le précédent exécutif concernant les responsabilités dans ce domaine, entre le ministère de l’Energie et des Mines (mix énergétique, réalisation de centrales d’énergies renouvelables, production d’hydrogène, notamment vert, filière nucléaire) et le ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables (installations d’énergies renouvelables hors-réseau) a été supprimée.
Une courte rétrospective montre que la mention « Energies renouvelables » a été portée pour la première fois sur la liste des ministères en mai 2017 dans le gouvernement dirigé par Abdelmadjid Tebboune, qui était alors Premier ministre (mai 2017-août 2017), avec la création d’un ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables. En juin 2020, cette mention a été déplacée par un remaniement ministériel vers une structure également nouvellement créée : le ministère de la Transition énergétique et des Energies renouvelable,s qui a été supprimé du gouvernement quinze mois après, en septembre 2022, mettant fin au « cafouillage » traduit dans les médias par les objectifs et les échéances contradictoires en matière d’énergies renouvelables. Le département Energies renouvelables avait été alors réaffecté, jusqu’à ce lundi 18 novembre 2024, au ministère de l’Environnement qui s’est limité à s’occuper du hors-réseau et n’a pas cherché à empiéter sur les plates-bandes du ministère de l’Energie.
A la tête du Commissaire aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique (CEREFE) durant cinq ans, depuis novembre 2019, après avoir été directeur du Centre de développement des énergies renouvelables (CDER), Noureddine Yassaa est parfaitement indiqué pour faire passer le programme des énergies renouvelables à une vitesse supérieure et permettre de respecter l’engagement des 15000 mégawatts (MW) en 2035. Pour 2024, il était prévu le lancement d’un projet de 2000 MW d’énergie solaire photovoltaïque, initié par Sonelgaz (Sonelgaz Énergies Renouvelables). Il consiste en la réalisation de 14 centrales solaires photovoltaïques – au lieu des 15 prévues initialement (un lot concernant une centrale de 80 MW ayant été annulé) – réparties sur 11 wilayas, d’une puissance unitaire variant entre 80 et 220 MW, en plus des raccordements au réseau de transport électrique.
Un autre projet, Solar 1000 MW, en cours, porte sur la réalisation de cinq centrales solaires photovoltaïques d’une puissance allant de 50 MW à 300 MW dans cinq wilayas. Le groupe Sonelgaz a lancé un autre appel d’offres relatif à la réalisation d’une centrale solaire photovoltaïque d’une capacité de 200 MW avec stockage d’énergie dans la région de Gara Djebilet (wilaya de Tindouf, au sud-ouest du pays), au profit du projet d’exploitation du gisement de fer. Le salon ERA (Salon des énergies renouvelables, des énergies du futur et du développement durable, du 25 au 27 novembre 2024, à Oran), est l’occasion d’avoir une idée de l’état des lieux concernant les projets d’énergies renouvelables. Toutefois, le décor énergétique algérien est toujours largement dominé par le pétrole et le gaz qui ont l’avantage et le garderont longtemps si l’exploitation du gaz de schiste passe de l’état de rumeur à celui de réalité.
La contribution du Pr.Yassaa, jugée « essentielle », est attendue sur le développement de l’hydrogène vert qui a été officiellement déclaré « priorité » par les autorités pour faire de l’Algérie un acteur régional majeur dans ce domaine et, aussi, pour aller vite dans la substitution des énergies fossiles par l’hydrogène vert dans l’industrie. Dans ce sens, Sonatrach, qui réalise la plus grande partie des exportations algériennes (hydrocarbures et produits dérivés), est engagée dans un processus de développement d’une stratégie bas carbone, et a l’intention d’adopter toutes les technologies nécessaires pour une industrie nette de carbone. Les responsables algériens veulent fournir des produits propres au marché et être en conformité avec les engagements climatiques de l’Algérie.
Le plus urgent est de se préparer à répondre aux exigences qui découleront de la mise en œuvre du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) de l’Union européenne (UE). Il prévoit d’imposer progressivement le « tarif vert » sur toutes les marchandises importées dans l’UE à partir de 2026, la mise en œuvre complète étant prévue d’ici 2034. Il s’agit des taxes sur les émissions de CO2 pour les produits à forte empreinte carbone importés par l’UE comme l’acier, le ciment, les engrais, le verre et l’aluminium. Le coût des émissions de CO2 devrait alors faire partie intégrante du prix de toutes les marchandises vendues au sein de l’UE. Cela concerne des produits que l’Algérie exporte ou compte exporter à l’avenir tels que le ciment, le fer, l’acier, l’aluminium, les engrais, l’ammoniac, l’électricité et l’hydrogène. L’UE est le principal partenaire commercial de l’Algérie, particulièrement dans le domaine des hydrocarbures. Y a-t-il, comme la Zone de libre-échange continentale africaine, des opportunités alternatives pour les exportations algériennes ?
Question subsidiaire : que deviendra le CEREFE ? Créé en novembre 2019 et rattaché au Premier ministère, disposant de l’expertise qu’il faut pour développer la filière, le CEREFE a pris les allures d’un ministère des Energies renouvelables. Les bilans dont on dispose sur l’état d’avancement du déploiement des énergies renouvelables en Algérie sont sortis de ses bureaux. C’est grâce à un document du CEREFE portant sur le bilan quantitatif des installations d’énergies renouvelables (EnR), que l’on peut savoir, qu’à fin 2023, la puissance totale d’EnR avec et sans hydroélectricité s’élevait respectivement à 600,9 MW et 472 MW, dont 47,85 MW hors réseau. Ce document, faisant suite à ceux élaborés à fin 2019, 2021 et 2022 par le CEREFE, donne un panorama couvrant plusieurs volets : bilan quantitatif des réalisations, capacités industrielles locales et capital humain qualifié.
Grâce au CEREFE, on sait, par exemple, que les énergies renouvelables hors réseau, ont concerné l’électrification des sites isolés, l’éclairage public, la solarisation des écoles, systèmes et réseaux de transmission, pompage d’eau, notamment pour les puits de parcours pour l’abreuvement du cheptel et pour l’irrigation.
La Qualité de la vie
C’est la quatrième fois que le poste de ministre de l’Environnement est occupé par une personne qui n’a pas été auparavant membre du gouvernement ou n’est pas issue du ministère de l’Environnement. Fatima-Zohra Zerouati, ministre de l’Environnement et des Energies renouvelables de mai 2017 à janvier 2020, venait du milieu médiatique, remplacée par Nassira Benharrats (janvier 2020-février 2021), qui venait de l’Université, puis Samia Moualfi (juillet 2021-mars 2023), avocate et députée, et maintenant Nadjiba Djilali, ministre de l’Environnement et de la Qualité de la vie, avocate et élue locale.
Dans l’immédiat, partant de l’état actuel de dégradation de l’environnement, particulièrement en milieu urbain, personne ne croit que l’amélioration de la qualité de la vie pourra être obtenue rapidement, et, encore moins, par l’action d’un seul ministère. C’est l’affaire de tous, serait-on tenté de dire pour reprendre une formule entrée dans la langue de bois, c’est-à-dire vidée de son sens, tout comme celle de « démocratie participative » qui est, pourtant, une exigence de l’amélioration de la qualité de la vie des citoyens puisque cela les concerne directement.
L’obstacle majeur à l’amélioration de la qualité de la vie est dans la conception informelle de gestion inspirée des activités « économiques » exercées en dehors de la loi et échappant à toute réglementation. La qualité de la vie est gâchée, voire empoisonnée, par les comportements inciviques qui découlent de l’emprise des activités commerciales informelles, illégales, sur la voie publique, et leur impact désastreux sur toute la société. Les effets négatifs des comportements inciviques sont directement perçus à travers la saleté qui continue à régner, à divers degrés et en différents endroits, et le bruit qui assaille en permanence.
Certains lieux, en milieu urbain, y compris dans les centres-villes, peuvent être assimilés à des terrains vagues, c’est-à-dire à des espaces publics non réglementés. Dispensé, de fait, du respect de la loi concernant l’usage de ces espaces, les « informels » l’occupent à leur guise. Les projets d’aménagement urbain et d’embellissement des villes et villages peuvent contribuer à l’amélioration de la qualité de la vie des citoyens, s’ils sont accompagnés par des actions contre l’incivisme, comme les nuisances sonores (klaxons, sirènes, tuyaux d’échappement, marteaux piqueurs, scies électriques, concerts sur la voie publique,…), et d’efforts pour offrir aux citoyens un climat de tranquillité et de quiétude dans les espaces publics.
Les activités bruyantes sur la voie publique, au milieu d’habitations – avec haut-parleurs placés carrément en face des fenêtres, organisées par les autorités locales, sont une atteinte directe à la qualité de la vie des riverains (qui ne sont jamais consultés) et des passants, obligés de supporter. Ces activités devraient se dérouler loin des habitations. L’incivisme, devenu une « seconde nature » grâce au laxisme ambiant, ne devrait pas être toléré. Enfin, l’obligation, dans toute activité sur la voie publique, de faire référence au cadre juridique qui régit l’environnement, devrait primer sur toute autre considération.
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du mardi 26 novembre 2024.
Photo : panneaux solaires en Algérie © DR