Une journaliste des JNE, engagée au milieu des années 1970 dans la lutte contre le projet de centrale nucléaire à Gravelines, dans le Nord, alors qu’elle était enseignante, a participé au voyage organisé en septembre par notre association autour de la construction prévue de deux nouveaux réacteurs EPR2 sur ce même site.
par Dominique Martin Ferrari *
Je l’avais laissée en 1975 au cours d’un débat public qui annonçait sa construction. Je n’étais pas encore journaliste, mais enseignante et antinucléaire. Nous avions manifesté plusieurs fois, c’était avant Malville (1976 et 1977) à une époque où le nucléaire ne se discutait pas en France. Depuis, quatre réacteurs de 900 MW ont été édifiés en 1980, bientôt rejoints par deux autres en 1985.
A cette époque, nous dénoncions les travaux en cours et notamment la plomberie. Yves Lenoir, en lien avec le couple Sené et le réseau, était très informé. Je me suis lancée dans la rédaction d’une feuille de choux à destination des Dunkerquois, au nom prédestiné de Fissures, en référence aux fissures trouvées dans l’acier des cuves et des soudures fragiles.
Trente ans plus tard, ces malfaçons seront à l’origine de cet incident dit « corrosion sous contrainte de l’acier inoxydable » qui stoppera l’ensemble du parc nucléaire. Profitant de l’annonce générale, EDF opérera une intervention critique et inédite à la centrale nordiste dans le réacteur N° 1 mis en service en 1980 afin de réparer une fissure extrêmement rare, découverte par l’ASN en 2011 ! Il faudra cinq ans pour en venir à bout, cette fissure était visible sur un des tubes soude s au fond de la cuve, au sein de laquelle se déroule la fission nucléaire, un phénomène de corrosion a provoqué une fissure de 3,9 centimètres de long. Un problème extrêmement rare – il n’existe que deux cas analogues dans le monde, recensés dans une même centrale aux Etats-Unis – et loin d’être anodin. Selon une note de l’ASN, « une fuite à ce niveau serait considérée comme une brèche du circuit primaire du réacteur ». Autrement dit, un incident sérieux. explique Pierre Yves Bocquet dans Médiacités.
De nos luttes, nous tirerons une autre victoire : grâce à l’équipe des associations réunies dans l’ ADELFA, le port méthanier prévu pour être accolé à la centrale sera finalement exporté de l’autre côté de l’ouverture du port Ouest, à 5 km environ. Ce qui est sans rassurer puisque comme l’expliquait le CEDRE lors du colloque Port du futur, « l’expert en pollutions accidentelles des eaux sait aujourd’hui affronter une marée noire mais saura-t-il affronter un accident de navire carburant au méthane ou à l’ammoniac ? » (interdits en France mais déjà autorisés comme carburant à Séoul).
Reconnaissons qu’une affaire marche bien, tant moquée par Cabu pour Charlie Hebdo, c’est celle des bassins d’aquaculture alimentés aux eaux chaudes de la centrale. Il paraît qu’un Français sur deux a déjà mangé au moins un bar ou une daurade issus de cet élevage !
1985/2024 : et voilà un nouveau projet.
Deux EPR2 devraient jouxter le mastodonte
Malgré tous ces bémols et le fait que le port de Dunkerque, 3e port de France, soit à quelques encablures et abrite une douzaine de sites Seveso, Gravelines fut construite, garantissant la décarbonation d’un port très XIXe dans son industrialisation, et est devenue la plus grosse centrale nucléaire d’Europe derrière Zaporijia en Ukraine. La photo montage ci-dessus, produite par EDF, rend compte de l’importance du projet : quand on compare les six réacteurs à 900 MW chacun (site actuel) avec chaque EPR2 de 1650 MW à venir, on voit l’importance qu’ils vont prendre. Un nouveau débat public est ouvert, et c’est à cette occasion que je viens de visiter le mastodonte, au cours d’un voyage de presse organisé par les JNE.
Sur place, l’équipe EDF est très confiante, comme toujours : tout va bien, rien à signaler, alors que nous savons que cette centrale a été plus que menaçante. « Vos piscines pourront elles accueillir le combustible irradié à la veille des réparations ? » « Mais de quoi parlez-vous, la question des piscines ne nous a jamais été posée ? ». Si des efforts ont été faits quant à la communication chez EDF, des progrès restent à faire quant à la transparence…..
Quand il sera question des relations CNDP/EDF lors du débat public de Penly (1er projet de construction EPR2), nous apprendrons que des réponses ont été données à toutes les questions sauf à celles qui concernent la politique énergétique gouvernementale, notamment en termes de financement : « le financement du projet et les perspectives de coût de production », « les risques de dérives des coûts d’investissement et de fonctionnement », « les éléments relatifs aux combustibles et aux matières et déchets radioactifs » ou encore « les risques liés au dérèglement climatique et aux épisodes caniculaires de forte intensité ». Elles devront trouver réponses lors du débat public gravelinois.
Concernant les EPR futurs qui devraient entrer en service en 2038 ou 2039, EDF précise que les problèmes de l’EPR de Flamanville seront évités, que les outils doivent être plus simples et reproductibles car on envisage de construire en série. Seront intégrées d’office de multiples innovations sécuritaires pour une durée de production de 60 ans. Il faudra intégrer également les conséquences du réchauffement climatique et éviter le dérapage financier de Flamanville, passé de 3 milliards d’euros à 19 milliards d’euros, dénoncé par la Cour des Comptes.
Le territoire concerné par ce nouveau débat public a été étendu à plus de 20 km autour du site : plus il y aura de monde concerné par l’emploi promis par EDF, plus seront récupérés d’avis favorables à la concertation. « Le salarié qui revient tous les soirs à son domicile devient un acteur de confiance sur tout le territoire », précise Antoine Ménagé, directeur du débat public EPR2 Gravelines après celui de Penly.
Dans ces dures régions des Hauts-de-France, un emploi a toujours primé sur la qualité de vie au travail. On travaille au cœur de la mine, ou sous la chaleur de la sidérurgie, ou dans le nucléaire. EDF mise d’ailleurs sur cette attractivité de l’emploi : formation, création de filières, création d’une université du nucléaire, suivi de l’évolution des besoins ….. Et le maire de Dunkerque, Patrice Vergriete, s’étonne d’avoir eu plus de mal à faire accepter le champ éolien offshore que la centrale nucléaire.
Gravelines, bientôt une île ?
Un nouveau problème voit le jour et vient d’être dénoncé par un rapport de Greenpeace publié récemment, celui des effets liés aux changements climatiques : ouragans, montée des eaux, inondations. Au cours de notre visite,nous longeons un très haut muret, franchissons de lourdes portes peintes en bleu, des portes qui ressemblent aux portes d’écluses. « Est-ce pour arrêter les migrants ? Nous en avons aperçu tout au long de la route ». Ceci est un autre débat…. Les portes et le mur de 5 m 50 (35 millions d’euros) ont été construits pour protéger la centrale, prise entre la montée des eaux promise par le réchauffement et les scénarios du GIEC, et par les inondations terriennes, conséquences de la construction de Gravelines sur un polder de 100.000 ha concernant l’embouchure de l’Aa, asséché par les wateringues qu’il faut d’ailleurs reconstruire sur le site dédié aux EPR2. On peut vérifier tout cela avec les travaux de l’IGN. Le site nucléaire se situe dans un des territoires dits « à risque important d’inondation » (TRI) identifiés dans le cadre de la directive européenne inondations (référence n° 2007/60/CE du 23 octobre 2007).
En fait, EDF revoit régulièrement sa copie et les médias se sont suffisamment faits l’écho des terribles inondations au printemps 2024 pour que l’entreprise ne puisse jamais dire qu’elle ne savait pas. Il ne s’agira donc pas seulement de démanteler les anciens stockages de TotalEnergies, il faut également surélever la dune de 11 m, reconstruire les wateringues, soit environ deux ans de travaux publics. Et tel qu’il est présenté par EDF, le projet ne tient pas compte du dernier scénario du GIEC, d’une montée des eaux supérieure, le pire scénario du GIEC (le SSP5-8.5).
2024 : avant la construction des EPR2,
il faudra répondre aux besoins
Bientôt, Gravelines atteindra le seuil fatidique des 40 ans, durée maximale pour laquelle ses matériaux de construction ont été prévus et conçus. Il faudra moderniser les réacteurs et comme le dit justement Greenpeace, « EDF estime que les travaux coûteront 250 millions d’euros par réacteur. Mais l’ASN, le gendarme du nucléaire, n’a pas encore décidé des exigences qu’EDF devra appliquer pour faire fonctionner les réacteurs au-delà de 40 ans. Il est donc impossible de chiffrer le coût réel des travaux pour permettre la prolongation des réacteurs nucléaires. Une chose est sûre : il pèsera sur le coût de production de l’électricité et sera répercuté sur les consommateurs et les contribuables ! »
On espère qu’EDF ne pratique pas la stratégie des financements en pyramides qui permettent de financer un projet en cours grâce aux financements d’avenir.
* Dominique Martin en 1975.
Photo du haut : projet EPR2 à Gravelines © EDF