La lecture des articles publiés par Michel Sourrouille sur le site des JNE (1) et repris dans la lettre d’infos de septembre permet d’amorcer une vraie réflexion sur la manière dont « l’écologie » est aujourd’hui traitée par ceux-là – celles-là même qui en parlent et tentent d’agir. Il serait dommage que ces écrits ne fassent pas l’objet de discussions au sein des JNE en 2024, c’est pourquoi je me permets d’y apporter mon point de vue que chacun-e pourra discuter, valider et/ou critiquer…
Mon parcours est celui d’un « écolo banal » : 10 années comme salarié animateur à la FRAPNA Isère (Grenoble), puis directeur du Centre permanent d’initiatives pour l’environnement à Coutières (Ménigoute, 79) pendant 8 années, 4 années directeur de Nature Environnement 17 à La Rochelle et travailleur indépendant autour de la nature et de l’environnement. J’ai été amené à organiser de nombreuses formations destinées aux gestionnaires d’espaces protégés et à divers travaux de recherche autour des milieux bocagers. Depuis 30 ans, je participe au sein d’une équipe au suivi de la population de lézard ocellé fortement menacée sur l’île d’Oléron.
J’ai donc traversé près d’un demi-siècle de protection de la nature en étant moi-même directement impliqué au sein de ces mouvements. Sous la pression associative, des lois positives ont été votées et plusieurs espèces « phares » qui, dans les années 70, avaient quasiment ou totalement disparu de notre pays ou de certaines régions, ont fait leur réapparition. Ces combats ont été victorieux et nul ne peut le nier, de même que de nombreuses luttes locales à l’actif d’associations. Parallèlement, une écologie dite « politique » s’est développée, permettant à ce courant d’obtenir quelques élus dans les représentations locales, nationales et européennes. Pourtant, en 2024, les pertes de biodiversité n’ont jamais été aussi fortes, le changement climatique est de plus en plus ressenti un peu partout dans le monde et les inégalités et conflits armés entre humains, dont les enjeux environnementaux sont croissants, ne cessent de surgir tous plus terribles et destructeurs que les précédents à l’image du génocide actuel du peuple palestinien. Un bilan peu réjouissant.
Le mouvement de la protection de la nature dans son ensemble s’est développé et considérablement renforcé en termes d’effectifs professionnels et de moyens financiers entre les années 1980 et 2010. Les grosses associations ont elle-même revendiqué, pour certaines, le passage d’une « action militante à une reconnaissance institutionnelle », ne cessant de développer des partenariats financiers avec nombre d’entreprises multinationales. L’UICN, Nature Conservancy, la LPO, WWF et bien d’autres sont rentrés dans ce jeu mortifère de l’alliance avec les principaux acteurs du système capitaliste. Nous avons finalement promu une écologie réformatrice, donc superficielle, qui convient très bien aux pouvoirs en place. Une écologie portée par cette petite bourgeoisie complice dont nous sommes, pour la plupart, issus. Jean Baptiste Comby, sociologue, évoque à ce titre une volonté « d’écologiser le capitalisme » (2). Actuellement, le soutien associatif à certaines grandes luttes, totalement ou partiellement bâillonné par le fameux « contrat d’engagement républicain », repose essentiellement sur les recours en justice qui peuvent avoir leur importance dans l’issue d’un combat. Le parti politique Les Verts, créé au début des années 80 (moins d’une dizaine d’années après la candidature de René Dumont aux présidentielles), dénommé EELV et actuellement les Écologistes, aujourd’hui conduit par Marine Tondelier, s’est bien intégré dans un jeu politique à l’intérieur duquel il oscille entre une volonté réformatrice toujours tenace pour beaucoup et un radicalisme anticapitaliste. Ce radicalisme pousse fort heureusement une partie du mouvement à s’engager, au moins lors de ses université d’été, dans des luttes sociales et sociétales comme l’école, le travail, la propriété, les marchés, l’immigration, le racisme, la colonisation, les droits de chacun-e quelles ques soient ses orientations religieuses et sexuelles… Quant à Génération écologie, actuellement présidé par Delphine Batho, le mouvement créé en 1990 par Brice Lalonde avec la complicité de Jean-Louis Borloo, sur ordre de Mitterrand pour contrer les Verts, a longtemps été un parti fortement influencé par des idées de droite sous couvert d’une soi-disant volonté de s’affranchir des courants idéologiques.
Ne faudrait-il pas sortir de l’écologie pour tout changer ?
Je ne crois plus au mouvement associatif de protection de la nature, totalement dépassé par les enjeux actuels, toujours prêt à se mobiliser pour obtenir la protection de 30% du territoire (tout comme Macron), mais pour qui « écologiser le capitalisme » constituerait le seul horizon convenable ou atteignable. De leur côté, les mouvements politiques « écolos » ont largement fait la preuve de leur incapacité à mobiliser les citoyens-es.
Que les journées d’été 2024 des « écolos » aient été ouvertes à des questions sociétales fondamentales qui, seules, pourront permettre une plus large adhésion pour le respect du vivant humain comme non humain me semble désirable tout autant qu’incontournable. Alors que la plupart des citoyens sont conscients des enjeux écologiques, pourquoi les partis politiques spécialisés autour de ce thème, tout comme les associations, ne font-ils pas plus d’audience ? Ne serait-ce pas en raison d’une profonde séparation entre le petit monde des « écolos », plutôt bien intégrés dans une société dont ils profitent malgré leurs critiques et une grande partie de la population qui subit l’appauvrissement constant et doit faire des choix économiques tant pour l’alimentation que le logement, l’habillement, le transport, l’énergie et l’éducation des enfants tout en faisant face pour nombre d’entre elle à un racisme systémique, institutionnel bien présent en France (3). Trop de questions sont laissées sans réponse par les « écolos » : un exemple concret concerne la manière dont les Voyageurs sont traités. Pourquoi ne dénonce-t-on pas avec force ces lieux qui leur sont paraît-il réservés, lorsqu’ils existent, le plus souvent sur des terrains insalubres, pollués et dangereux ? Ne pourrait-on pas considérer que toutes ces questions de société et d’humanité sont avant tout prioritaires et parties intégrantes des préoccupations qualifiées d’« écologistes » (4) ?
Quoi de plus facile de se proclamer « écolo » quand on vit bien, sans ségrégation et sans difficultés économiques ? On est « écolo », mais on voyage à travers la planète pour témoigner bien entendu, toujours pour une bonne cause et loin du fameux « surtourisme ». On n’hésite pas à faire des milliers de kilomètres pour observer une espèce rare et on vit bien tranquille dans sa petite maison avec son espace vert. Comme on trie nos déchets, on fabrique notre compost, on installe des abris pour les hérissons, on adhère à une AMAP, on pisse sous la douche et on ne laisse pas le robinet ouvert quand on se brosse les dents, alors on se permet de faire la leçon aux autres. Qu’un parti « écolo » ose aborder les questions sociales, racistes, coloniales, homophobes, féministes et il sortirait de son cadre. Ce ne serait pas son rôle, comme semble le suggérer Michel Sourrouille.
Si tel est le cas, alors je préfère me séparer de cette étiquette qui, à mes yeux, ne représente plus grand-chose aujourd’hui. L’écologie est aujourd’hui un mot creux sur lequel chacun-e met le sens qui l’arrange. Qui ne se proclame pas « écolo », y compris parmi les plus grands destructeurs ? Les luttes pour le vivant humain comme non humain doivent intégrer toutes les luttes qui visent à considérer sur un plan d’égalité l’autre, celle ou celui qui n’est pas comme nous, quelle que soit son origine, son genre, ses choix de vie. Ces combats passent obligatoirement par la lutte des classes.
En 2007, Nicolas Hulot et Allain Bougrain Dubourg se réjouissaient avec Jean-Louis Borloo, alors ministre de Sarkozy, des fameux Grenelles de l’environnement (5). Pour quels résultats, 17 années plus tard ? « Les usages destructeurs du capital sont inscrits au plus profond des structures sociales » (2). Si on ne s’y attaque pas directement, alors le combat « écolo » restera probablement voué à l’échec.
(1) Michel Sourrouille. 2024. « Parler trans et sans débat aux journées d’été des écologistes ». Site des JNE. 2024. « Parti écolo et/ou associations environnementales ». Site des JNE.
(2) Jean Baptiste Comby. 2024. Ecolos, mais pas trop. Éditions Raisons d’agir.
(3) Neuf millions de pauvres selon l’INSEE, 4 millions de personnes mal-logées. 20 % des étudiants qui ne mangent pas à leur faim selon la Fédération des associations générales étudiantes.
(4) Il faut lire l’excellent livre de William Acker. 2021. Où sont les gens du voyage ? Éditions du commun.
(5) Lors de ces Grenelles, Nicolas Hulot avait attribué un 18/20 à Nicolas Sarkozy ! Quelques mois plus tôt, Sarkozy avait créé le sinistre ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale. De qui se moque-t-on ?
Lire ou relire le livre écrit par Fabrice Nicolino : Qui a tué l’écologie ? Les Liens qui Libèrent. 2011.
Légende de la photo : la genette, cette espèce aux origines africaines, introduite en France, est aujourd’hui une espèce d’intérêt patrimonial dans notre pays. Tout comme la genette, nos lointains ancêtres sont tous et toutes issu-es d’Afrique… Voilà pourquoi la genette, un véritable symbole, rejoint la jeunesse (et pas seulement) pour dire merde aux fascistes © Pierre Grillet