Le loup est un élément important de notre imaginaire, mais sa position n’est guère enviable entre le petit chaperon rouge, l’affaire de la bête du Gévaudan et les loups garous. Comme symbole de la nature sauvage, il a été diabolisé par l’église, et la position du Franciscain François d’Assise qui le nommait « frère loup » est l’exception qui confirme la règle.
par Jean-Claude Génot *
Rares sont les mythes et légendes qui présentent le loup sous un aspect positif : la louve nourricière des jumeaux fondateurs de Rome ou certaines tribus turco-mongoles d’Asie centrale faisant du loup leur totem ou leur ancêtre (1). Pourtant, le loup n’a rien de cet animal que Buffon présentait ainsi : « désagréable en tout, la mine basse, l’aspect sauvage, la voix effrayante, l’odeur insupportable, le naturel pervers, les mœurs féroces, il est odieux, nuisible de son vivant, inutile après sa mort ». Il a fallu attendre le XXe siècle et les premières études biologiques sur le loup pour cerner son écologie et son extraordinaire sociabilité, vivant en meute soudée dont chaque membre se met au service de la réussite de la portée du couple dominant.
Pierre Jouventin, éco-éthologue, a élevé une jeune louve dans un appartement en ville à une époque où la détention d’un animal sauvage était possible (il raconte cette aventure hors du commun dans un livre passionnant (2)). Il a eu la surprise de constater l’altruisme et le dévouement de cette louve qui prenait sa famille pour sa meute. Chaque fois que lui ou un membre de sa famille se penchait à la fenêtre ou s’approchait de l’eau, la louve se précipitait pour retenir le membre de la famille par le bras, le tirant en arrière. Cette louve considérait ces deux actes comme une mise en danger et son instinct la conduisait à protéger un membre de la meute.
Dans un récent ouvrage (3), Pierre Jouventin souligne que si l’homme est un primate sur le plan phylogénétique, il est très proche du loup sur le plan comportemental. Pour lui, il fait peu de doutes que les chasseurs cueilleurs ont été intéressés par la technique de chasse en meute du loup. Dès lors, la domestication du loup relève sans doute de la volonté des hommes du Paléolithique de se doter de chiens capables de chasser comme des loups. Avoir des chiens chassant avec eux et pour eux, a permis aux chasseurs-cueilleurs des avancées considérables. A ce propos, l’auteur avance deux hypothèses originales : d’une part, Sapiens est devenu un chasseur hors pair et c’est peut-être cet avantage qui lui a permis de dominer les autres hommes du genre Homo dont Neandertal et, d’autre part, ses techniques de chasse ont été tellement performantes qu’il a vidé certains territoires de leurs ongulés sauvages et s’est tourné vers d’autres solutions pour se nourrir, dont la domestication des herbivores.
Il est étrange de constater que le chien est devenu le meilleur ami de l’homme alors qu’il est un loup domestiqué, loup qui continue d’être haï par de nombreuses communautés humaines. La raison de cette haine est peut-être liée à cette ressemblance initiale avec le loup dont le comportement fait d’altruisme et de coopération a viré vers un comportement actuel de l’homme fait d’égoïsme et de compétition. La domestication du loup en chien a certainement été le point de départ du fossé qui a séparé l’homme du sauvage. Le loup est un symbole de la nature sauvage. Il nous renvoie à cette part du sauvage enfouie en nous que certains rejettent avec force et c’est probablement pour cela qu’on lui voue une haine féroce. Une haine qui mène à la bêtise au point que certains agriculteurs affirment que « le loup représente le contraire de la biodiversité » (4). Enfin, il est intéressant d’observer que les peuples coexistant pacifiquement avec le loup ont utilisé la nature de façon équilibrée alors que ceux exterminant le loup ont exploité leur environnement de façon non soutenable.
* Ecologue
(1) Michel Pastoureau. 2018. Le loup. Une histoire culturelle. Editions du Seuil. 160 p.
(2) Pierre Jouventin. 2012. Kamala, une louve dans ma famille. Flammarion. 344 p.
(3) Pierre Jouventin. 2021. Le loup, ce mal-aimé qui nous ressemble. Humensciences. 229 p.
(4) https://www.vosgesmatin.fr/economie/2024/08/21/pour-cet-agriculteur-de-repel-a-la-retraite-le-loup-represente-le-contraire-de-la-biodiversite
Photo : loups pris au piège photo dans une forêt biélorusse © V. Sidorovich