Hommage à Jean-Pierre Sergent, précurseur de l’écologie dans la presse magazine

Jean-Pierre Sergent, rédacteur en chef de Ça m’intéresse entre 1980 et 1990, est décédé le 14 juillet 2024 à Nantes, à l’âge de 83 ans. Cinéaste, puis  journaliste, il a su imposer des sujets d’écologie planétaire (couche d’ozone, pluies acides, crise climatique…) et de géopolitique à la une d’un mensuel destiné au départ aux enfants et aux adolescents.

par Laurent Samuel

Jean-Pierre Sergent ne faisait pas partie des JNE. Pourtant, il a joué au début des années 1980 un rôle majeur dans l’ouverture de la presse magazine française aux grands sujets d’écologie planétaire. En 1980, l’homme de presse allemand Axel Ganz, qui a fondé deux ans auparavant à Paris le groupe Prisma Presse (filiale du géant allemand Grüner & Jahr, lui-même intégré au groupe Bertelsmann), confie à ce journaliste la mission de préparer une version française d’un mensuel destiné aux jeunes, P.M. – Peter Moosleitners interessantes Magazin, qui tire son nom de celui de son fondateur et rédacteur en chef, Peter Moosleitner. Pour la France, on échappera au « magazine intéressant de Jean-Pierre Sergent », et le mensuel prendra le nom de Ça m’intéresse.

Avant de devenir journaliste, Jean-Pierre Sergent, né en 1940 à Plouézec (Côtes-d’Armor) où ses parents rouennais s’étaient réfugiés, a eu une première et brillante carrière dans le cinéma. Alors étudiant en philosophie, il apparaît pour la première fois à l’écran en 1961 dans le film Chronique d’un été, réalisé par Jean Rouch et Edgar Morin, où on le voit aux côtés de Régis Debray et de Marceline Loridan, dont il restera toujours très proche. Engagé dans le réseau Jeanson d’aide au FLN, il co-réalise en 1962 avec Marceline Loridan le documentaire Algérie, année zéro, longtemps censuré en France et en Algérie, suivi en 1965 par Rio Chiquito, consacré à des guerilleros colombiens. En 1969, le cinéaste Joris Ivens (époux de Marceline Loridan) lui confie la co-réalisation d’un documentaire consacré au Laos alors en guerre, le Peuple et ses fusils, qui sort en 1970.

Revenu en France, Jean-Pierre Sergent se lance dans le journalisme, collaborant notamment au Sauvage, mensuel écologique créé en 1972 par le JNE Alain Hervé, et tenant à bout de bras le magazine Macroscopie, dont il est rédacteur en chef. Il se passionne pour l’écologie, signant pour Science et Vie une série d’articles sur l’énergie solaire, et pour le féminisme, partageant pendant deux ans la vie de l’écrivaine et philosophe radicale Monique Wittig.

Quand le premier numéro de Ça m’intéresse paraît en mars 1981 (deux ans après Géo, premier titre lancé par Prisma Presse) il s’agit d’un magazine pour les enfants et les jeunes adolescents, avec des couvertures dessinées. L’écologie et la nature y sont déjà très présents, et la rubrique jeux est réalisée par l’écrivain Georges Perec, ami proche de Jean-Pierre Sergent. Ce dernier prend bientôt conscience des limites de cette formule « junior », dont les chiffres de vente sont cependant honorables, et persuade Axel Ganz, lui-même ancien journaliste, de préparer une nouvelle formule, accordant une large place à la photo (avec l’arrivée de Brigitte Huard, ancienne directrice photo du Fig Mag), au reportage et aux sujets internationaux. Lancé en 1986, ce nouveau Ça m’intéresse va consacrer de nombreuses couvertures aux sujets d’écologie planétaire alors émergents comme la couche d’ozone, le climat, les pluies acides, la déforestation ou la destruction des coraux. La géopolitique est aussi au menu, avec des dossiers sur l’avenir de l’URSS pilotés par l’historien Alexandre Adler. Avec son équipe (Jean-Paul Gibiat, Marie-Jeanne Husset, Serge Sebbah, Jean-Luc Martin et bien d’autres, sans oublier Catherine Mézière, Sophie Prévost.. et l’auteur de ces lignes), Jean-Pierre Sergent se montre tour à tour (ou en même temps ?) charmeur et tyrannique. Sa mauvaise foi assumée est réjouissante, par exemple lorsqu’il prend un malin plaisir à défendre – sans vraiment y croire – la thèse du refroidissement climatique face à un Cédric Philibert furibard, déjà convaincu que la Terre se réchauffe ! Sous l’impulsion de Jean-Pierre Sergent, Joseph Maggiori (directeur artistique) et Jean-Baptiste Durand (responsable informatique), Ça m’intéresse est le premier mensuel grand public (hors presse informatique) à passer en 1989 à la PAO (Publication assistée par ordinateur). Mais voilà, les ventes du magazine, après s’être envolées, marquent le pas.  Le journal s’enfonce dans la crise. Jean-Pierre Sergent fustige « les bras cassés de la rédaction et les bigleux de la maquette ». La mort dans l’âme (car les deux hommes s’apprécient mutuellement), Axel Ganz se résout à le «débarquer » au printemps 1990, confiant une mission d’intérim à Robert Fiess, fondateur du Géo français, jusqu’à ce que Corinne Allavena reprenne le flambeau quelques mois plus tard. Ceci étant une autre histoire…

Après Ça m’intéresse, Jean-Pierre Sergent s’éloigne de l’univers des médias. Il travaille pour des journaux de communication entrepreneuriale des industries pharmaceutiques et routières, avant de plancher sur un projet de site internet pour les seniors. Il s’installe à l’année à Belle-Île, et aide son épouse, la poétesse Jacqueline Cahen (décédée en 2009) dans ses activités de directrice du festival Polyphonix, « festival international résolument nomade et protéiforme de poésie sonore, de performance, de vidéo et de musiques variées ». Ses cendres ont été déposées à côté des siennes, dans un repli rocheux de l’île.

Les JNE adressent leurs condoléances à sa famille et à ses proches.
L’auteur de cet article a fait partie de l’équipe de Ça m’intéresse en tant que chef de rubrique, puis chef de service de 1984 à 2010.

A lire, la « nécro » de Jean-Pierre Sergent dans le Monde (cliquez ici).