Du 16 au 21 juillet 2024, un événement particulier s’est tenu dans les Deux-Sèvres à l’initiative des mouvements anti-bassines. En marge des deux grosses manifestations les vendredi et samedi 19 et 20 juillet, un véritable centre d’éducation, formation populaire a été mis en place pendant plus d’une semaine dans le cadre du Village de l’eau qui accueillait des dizaines de milliers de personnes venues de toute la France et d’autres pays afin de réfléchir sur les usages de l’eau et le devenir de cette ressource commune et indispensable à tous les habitants humains et non humains de cette planète.
par Pierre Grillet & Isabelle Vauconsant
Pourtant, très peu de médias (hormis les quelques habituels et « amis ») ont traité de ces contenus et de la densité des échanges. Mieux connaître l’histoire des syndicats agricoles et leurs orientations, réfléchir sur notre attitude vis-à-vis des « autres » et de celles et ceux qui ne pensent pas comme nous. Comment réagissons-nous lorsque nos « domaines sacrés » sont remis en cause par d’autres et réciproquement, à l’instar des propos tenus sur nos fonctionnements cognitifs par Alessandro Pignocchi devant une salle archi-comble. Mais aussi s’informer sur la réalité de la situation au Proche Orient et notamment des conditions d’appropriation quasi-totale de la ressource en eau par l’Etat colonisateur d’Israël sur l’ensemble de la Palestine, se questionner sur la définition réelle de la souveraineté alimentaire, celle prônée par la Via Campesina à l’opposé de celle imposée par l’Etat français et la FNSEA, les politiques d’accaparement de l’eau dans le monde. Comment favoriser l’installation de jeunes paysans, développer une agriculture paysanne, faire connaissance avec la chambre d’agriculture alternative au Pays basque. Se former au naturalisme en profitant des ressources du terrain offertes par le village de l’eau : aller à la rencontre des libellules, de la végétation, des amphibiens et des reptiles. Se former pour se défendre lorsqu’on s’implique dans l’action militante, mais aussi échanger avec les multiples stands présentant leurs actions, luttes et problèmes régionaux.
Il ne s’agit que d’un aperçu d’un programme encore plus riche offert par ce Village de l’eau. Malgré la multiplicité des rencontres proposées, quasiment toutes ont eu lieu à « guichets fermés », rassemblant entre 200 et 400 personnes selon la capacité des sites d’accueil. Sans parler de l’organisation collective permettant à plusieurs milliers de personnes de vivre ensemble et d’être en mesure de prévenir les risques inhérents à toute société comme les comportements déplacés, gestes et/ou paroles agressifs… Et toujours ces fameuses cantines de lutte capables de fournir de la bonne nourriture à prix libre pour tout un village.
Alors oui, l’éducation populaire, donc culturelle, est bien au rendez-vous. Les 40 000 personnes venues au Village de l’eau peuvent en bénéficier et ne s’en privent pas. Un bouillonnement culturel a contrario des tendances actuelles du pouvoir qui voudraient nous empêcher de penser et agir. Car plutôt que de mettre en avant cette richesse, l’État nous traite comme des terroristes. Certains d’entre nous doivent subir deux, voire trois fouilles dans la même journée et la plupart ont vu du matériel inoffensif (comme des serviettes hygiéniques) et pourtant fort utile en camping, confisqué ; les noms de chaque arrivant au Village de l’eau sont systématiquement enregistrés, le drone de la police est régulièrement au-dessus de nos têtes, quand ce n’est pas l’hélicoptère. Sur certains contrôles, des gendarmes sont armés de mitraillettes. L’État est devenu hors de contrôle.
Car ce type de formation ne plaît pas au pouvoir : rappelons-nous de cette éducation populaire, telle qu’elle avait été pensée et mise en acte au sortir de la Seconde Guerre mondiale par deux résistants au régime de Vichy, Christiane Faure et Jean Guéhenno, pour être très vite balayée par les dominants. Rappelons-nous de cette Université populaire de Vincennes ouverte à tous et toutes après les affrontements et révoltes de 1968 et qui connût un succès énorme (plus de 100 000 personnes) avant d’être démolie par les bulldozers, en l’espace de quatre nuits d’été seulement sur ordre de Jacques Chirac (alors maire de Paris) quelques années plus tard. Rappelons-nous de cette éducation/formation promue par Jack Ralite à Aubervilliers, cet ancien ministre communiste sous le gouvernement Mauroy et qui se définissait comme un « travailleur politique ».
Toutes ces opérations ont connu un vrai succès, pourtant aucune ne s’est maintenue dans la durée. C’est peut-être pourquoi le Village de l’eau fait tant peur au pouvoir. L’accession à la connaissance n’est décidément pas l’affaire du peuple et tout doit être fait pour l’en dissuader. Pour les dominants, la démocratie n’a jamais signifié que le peuple serait en capacité de décider. Pourtant, on peut prévoir que ce genre d’initiatives ne fera que se multiplier au fil des jours et des luttes. La ville de Melle a la chance d’avoir un maire courageux qui a accueilli le Village de l’eau malgré toutes les tentatives de dissuasion venant autant de l’État comme de certains syndicats agricoles. Ce courage doit être le signal fort d’un renouveau qui permette à l’ensemble de la population d’être informée, formée et en capacité de choisir. On peut rêver et imaginer que ce type de formation s’installe comme une évidence, par la force de l’intelligence et du courage, dans toutes les communes de France !
Merci à Marie-Do Couturier pour la relecture
Photo du haut : au Village de l’eau de Melle,un important débat sur la conflictualité de classes dans l’agro-industrie, pensons nos actions pour diviser la FNSEA. Avec Laure Duclos (autrice de Les frites viennent des patates, dans les coulisses de l’agro-industrie), Thomas Gibert (secrétaire national de la Confédération paysanne, paysan en Haute-Vienne) et Alessandro Pignocchi (auteur de BD) devant une salle archicomble ! © Pierre Grillet