Les Alvéoles : dans la Drôme, une expérience autour de l’eau et des paysages agroforestiers

Cette année, le congrès des JNE avait lieu dans la Drôme. Dans ce pays de cocagne, on cultive l’écologie et l’humain depuis plus de trente ans et on mène des expériences multiformes : tiers-lieu l’Usine vivante, monastère éco-culturel de Sainte-Croix, association Biovallée, réserves du Grand Barry et du Vercors, coopérative Jaillance, etc. Après trois jours de belles découvertes, une dernière pépite nous attendait à Cobonne : les Alvéoles. C’est avec deux de ses fondateurs que nous avons visité ce lieu atypique qui est tout à la fois une pépinière, un centre de formation agroécologique et une micro-ferme expérimentale.

par Claire Robert

Après avoir emprunté une route sinueuse, nous débouchons sur un très beau site entouré de forêts et de montagnes. C’est là que nous retrouvons Antoine Talin, cofondateur des Alvéoles. En 2014, il achète avec un collectif de personnes une propriété exceptionnelle : 24 hectares de terres, une ferme en ruine, le tout dans la très convoitée Vallée de la Drôme. « Au départ, je souhaitais créer des jardins-forêts et des paysages nourriciers », explique le jeune ingénieur paysagiste, passionné par la biodiversité végétale, l’agroforesterie et la permaculture. Très vite, les jeunes propriétaires constatent le défi que constituent ces prairies maigres : le sol, argilo-calcaire, présente une grande hydromorphie en lien avec les marnes des profondeurs. Les sols sont donc gorgés d’eau en hiver, secs et craquelés en été. Il faut donc les réoxygéner et leur apporter de la matière organique fraîche. Autre défi : le site est situé au point de basculement de plusieurs climats contrastés : climat montagnard, climat méditerranéen. Il faut donc trouver des plantes adaptées à ce type de climat continental sec. A ces données s’ajoutent celles de l’altitude (380 mètres) et de la pluie (700 mm d’eau par an). Mais qu’importe ! L’enthousiasme est au rendez-vous et les jeunes associés réalisent en dix ans un énorme travail : réhabilitation de l’ancienne ferme, plantation de centaines d’arbres, lancement de leur pépinière, aménagements paysagers. En 2020, période du confinement, Antoine Talin lance une formation en ligne qui rencontre immédiatement un grand succès. « Aujourd’hui encore, les gens ont besoin de se reconnecter avec la nature, mais surtout de vivre des expériences, de façon concrète, dans leurs corps », raconte Antoine.

Le groupe de journalistes des JNE traverse les grandes prairies du site des Alvéoles lors de leur congrès dans la Drôme en juin 2024 © Claire Robert

Des paysages jardinés et revitalisés

Samuel Bonvoisin, cofondateur des Alvéoles et passionné lui aussi d’agroforesterie, prend le relais de la visite et nous emmène dans les jardins. Il s’agit de plusieurs parcelles de 3000 à 5000 m2. La première a été aménagée en terrasses, suivant les lignes de courbes du sol. Un système de baissières (ou swales) permet de ralentir l’écoulement de l’eau pour limiter l’érosion, favoriser son infiltration dans le sol et ramener l’eau là où les plantes en ont besoin. D’autres techniques sont également utilisées comme l’ombrage, le paillage, les brise-vents, le stockage de l’eau dans des cuves ou des citernes. « Nous reprenons des méthodes anciennes comme celles des terrasses, utilisées depuis très longtemps », commente Samuel Bonvoisin. « Tout est mis en œuvre pour éviter l’érosion. Recréer 1 % de matière organique dans le sol, c’est économiser l’équivalent de 10.000 méga-bassines ! » Car hélas, on le sait, les sols disparaissent partout dans le monde et des centaines d’années sont nécessaires pour reconstituer quelques petits centimètres de sol.

L’hydrologie régénérative expliquée aux journalistes des JNE par Samuel Bonvoisin © JNE

Nous suivons Samuel Bonvoisin dans la deuxième prairie qui s’avère très différente de la précédente, en terme notamment d’humidité, d’orientation, de relief. Puis nous traversons l’étonnante pépinière des Alvéoles où règne une impressionnante diversité végétale : vivaces comestibles, aromatiques, plantes exotiques, fruitiers anciens… Une petite pluie fine nous incite à entrer dans la belle serre en verre. Regroupés à l’intérieur, nous voilà happés par le cours « improvisé » de notre guide. Il a choisi de nous parler de sa marotte : l’hydrologie régénérative. Sous ce concept un peu technique, se cache une nouvelle approche des cycles de l’eau qui pourrait révolutionner l’aménagement des paysages agroforestiers.

Avec l’hydrologie régénérative, l’eau ne tombe plus du ciel !

Pour Samuel Bonvoisin, fils d’agriculteur et ingénieur agronome de formation, il est grand temps de revoir notre copie concernant la ressource en eau. Sauf à vouloir préparer la « guerre de l’eau » en considérant cette précieuse ressource comme un gâteau dont on se disputerait les dernières parts, il n’est plus question aujourd’hui de s’adapter aux changements climatiques. S’adapter à l’aridité que nous créons par nos activités humaines, ne change rien au problème. Pire, ça contribue à l’amplifier.

Le système des jardins en baissières dans les jardins des Alvéoles, dans la Drôme © Claire Robert

Pour l’agronome, il faut maintenant régénérer les paysages et recréer la ressource en eau. Mais comment ? « En utilisant la très grande capacité des paysages à renvoyer l’eau dans l’atmosphère. Car l’eau ne tombe pas du ciel ! », annonce Samuel Bonvoisin. « 70 % de l’eau disponible sur les continents provient des sols et de la végétation », affirme-t-il. C’est bien cette « eau verte » issue des sols et de la transpiration des végétaux, et non « l’eau bleue » issue des océans, des lacs et des rivières, qui constitue la ressource principale en eau. Pour inverser la tendance actuelle, il faut donc agir selon les priorités suivantes : favoriser l’eau, puis les arbres, puis le sol. Et appliquer quatre clés essentielles : ralentir l’eau, mieux la répartir, favoriser son infiltration et la stocker. Il faut utiliser la densification des plantes et des arbres, le multi-étagement, l’évapotranspiration des plantes, favoriser les liens entre arbres et champignons… En un mot, recréer des paysages régénératifs. Et la bonne nouvelle, c’est que d’autres pays expérimentent déjà depuis plusieurs années l’hydrologie régénérative. C’est le cas par exemple de la Slovaquie. De quoi redonner du baume au cœur et clore le congrès des JNE sur une belle note d’espoir.

Pour en savoir plus sur Les Alvéoles, c’est par ici
Voir aussi le colloque (mars 2023) « Et si on pouvait cultiver l’eau ? » de Samuel Bonvoisin, par là 

Photo du haut : la pépinière des Alvéoles © Claire Robert