Un collectif de journalistes, de scientifiques et d’organisations signataires de la charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique plaide, dans une tribune au « Monde », pour que l’écologie reste un sujet central sur les chaînes et les antennes publics.
Nous, journalistes, scientifiques, organisations de la société civile et citoyens, sommes alarmés par la disparition annoncée, ou la modification importante, de plusieurs programmes phares sur l’écologie dans le service public : « Nowu » [France Télévisions et la Westdeutscher Rundfunk], « Vert de rage » [France 5], « La Terre au carré » [France Inter], « Planète Bleu » [France Bleu], « C’est bientôt demain » [France Inter]… Alors que le bouleversement climatique s’accentue et que l’eau potable vient à manquer, engendrant une foule de conséquences désastreuses pour le vivant et une aggravation des inégalités sociales, le rôle des médias, en particulier des médias de service public, est crucial. Il doit être défendu et renforcé.
En septembre 2022, les services audiovisuels publics avaient annoncé un « tournant environnemental » bienvenu : des plans de formation ont été lancés, un « journal de la météo et du climat » a été créé sur France 2 et France 3, et des émissions et chroniques ont vu le jour sur Radio France. Mais aujourd’hui, cet intérêt semble avoir reflué.
Parmi les raisons invoquées pour justifier ces suppressions : la nécessité de faire des choix financiers.
Un argument préoccupant
Fin 2023, la suppression du média sur l’environnement « Nowu » de France Télévisions, destiné aux 15-25 ans, a été justifiée par « le redéploiement des moyens sur d’autres projets numériques » (déclaration de Delphine Ernotte, PDG de France Télévisions, le 12 décembre 2023, consignée sur le procès-verbal du CSE). Sur France Bleu, les trois heures hebdomadaires de l’émission « Planète Bleu » sont emportées par la refonte de la radio, qui donnera la primeur à l’information locale et à la musique.
A chaque fois, c’est l’écologie qui fait les frais des ajustements sur les antennes du service public. Des arbitrages d’autant plus alarmants dans un contexte de projet de fusion de l’audiovisuel public, laissant craindre des restrictions budgétaires et des suppressions d’emplois.
Du côté de France Inter, la modification de la quotidienne « La Terre au carré » était expliquée par la volonté de rendre l’information « moins anxiogène ». La mobilisation du public de l’émission a limité l’ampleur des changements à venir, mais cet argument reste préoccupant.
Pour éclairer le débat et permettre aux acteurs publics, aux entreprises et aux citoyens d’agir, il est pourtant essentiel de faire le lien entre les bouleversements en cours, leurs origines humaines et les solutions à notre portée. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a d’ailleurs rappelé dans son dernier rapport le « rôle crucial » des médias. Alors que l’Etat a été condamné pour inaction climatique et qu’un certain nombre de textes adoptés marquent un recul environnemental, les rédactions doivent poursuivre leurs efforts pour mieux informer le public.
Un débat démocratique de qualité
Si les changements de grille sont habituels dans la vie des chaînes, le service public ne peut justifier un nouveau rétrécissement de l’espace médiatique alloué à l’effondrement en cours. Ce d’autant plus que nous partons de bien bas. Pourquoi mettre au régime une couverture encore trop maigre ?
Nous rêvons d’un monde dans lequel l’écologie deviendrait le prisme au travers duquel la plupart des sujets seraient traités. Les émissions qui permettent d’approfondir et d’affiner notre réflexion à travers des reportages, des débats et une couverture des terrains de discorde sont également cruciaux.
Et si nous saluons la multiplication des médias indépendants autour de l’écologie et des luttes sociales qui ont éclos ces dernières années, plus que jamais, nous avons besoin de médias publics qui créent les conditions d’un débat démocratique de qualité face à l’urgence écologique.
Premiers signataires : Carole Chatelain, présidente de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI) ; Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France, pour « L’affaire du siècle » ; Camille Etienne, activiste ; Eva Morel, cofondatrice de Quota Climat ; Claire Morvan, présidente de Plus de Climat dans les médias ; Anne-Sophie Novel, vice-présidente des Journalistes-écrivains pour la nature et l’écologie (JNE) ; Jérôme Santolini, co-coordinateur de Scientifiques en rébellion ; Marc-André Selosse, professeur au Museum national d’histoire naturelle ; Millie Servant, pour la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique ; Lionel Thompson, représentant syndical CGT Radio France ; Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat national des journalistes-CGT (SNJ-CGT).