Sur le calendrier, l’été a encore quelques jours pour arriver, mais les défis écologiques qui l’accompagnent habituellement ont été annoncés de façon brutale par la crise de l’approvisionnement en eau potable qui frappe la ville de Tiaret, sur les hauts plateaux (à moins de 275 km au sud-ouest d’Alger).
par M’hamed Rebah
L’eau
La perspective promise pour l’Algérie d’exporter de l’eau, en 2030, grâce à un excédent de production par rapport aux besoins, une fois le programme de réalisation des stations de dessalement d’eau de mer totalement achevé, contraste fortement avec la réalité révélée par la situation dramatique vécue par les 400 000 habitants de la ville de Tiaret, où l’approvisionnement en eau potable est assuré avec une fréquence intenable (on parle d’un jour sur 15 et plus), selon les indications données par Le Quotidien d’Oran (4 juin 2024). Les six forages qui «dépannaient» la ville en eau potable, ainsi que le barrage de Bakhadda, qui desservait en plus les localités environnantes, sont totalement à sec, a alerté le correspondant de ce journal dans l’édition du 2 juin, jour où se tenait la réunion du Conseil des ministres.
La réaction du président Abdelmadjid Tebboune a été immédiate. Des instructions fermes, allant jusqu’au moindre détail, ont été données pour mettre un terme dans de courts délais aux perturbations de la distribution d’eau à Tiaret. Le lendemain, les ministres de l’Intérieur et de l’Hydraulique étaient sur place pour appliquer les directives présidentielles. La société civile et les élus de la wilaya sont associés à l’élaboration d’un programme d’urgence dont les premières mesures pratiques devraient permettre d’améliorer la situation de l’alimentation en eau potable de la ville, pour l’Aïd El Adha (autour du 17 juin 2024). Au cours du rituel du sacrifice du mouton qui marque cette fête religieuse, une grande quantité d’eau est utilisée. Les entreprises de distribution prennent à cette occasion toutes les dispositions pour que cette l’eau soit disponible : leurs moyens ainsi que leurs équipes d’intervention sont mobilisés pour assurer un approvisionnement suffisant en eau potable, surtout durant la matinée.
Dans l’immédiat, pour Tiaret, la solution commence par de nouveaux forages et des transferts d’eau à partir des régions voisines, en attendant le raccordement en urgence à la station de dessalement Sonaghter à Mostaganem (sur le littoral, à plus de 160 km par route), dont la capacité de de production est de 200 000 m3/j. Une autre station de 300 000 m3/j est programmée à Mostaganem dans le cadre d’un nouveau programme prévu entre 2025 et 2030.
Le barrage de Bakhadda (45 millions de mètres cubes, à 40 km à l’ouest de la ville de Tiaret), mis en service en 1936 pour les besoins de l’agriculture, actuellement envasé et à sec, ne compte plus. Pour le ministre de l’Hydraulique, Taha Derbal, qui était en visite à Tiaret en mars 2024, « à partir de maintenant, nos hypothèses seront élaborées en excluant la contribution du barrage Bakhadda». C’est connu, en Algérie, les barrages connaissent le phénomène de l’envasement qui réduit leurs capacités de remplissage. Pendant longtemps, aucune attention particulière n’a été accordée à l’entretien et à la maintenance de ces ouvrages. Leur exploitation n’a pas bénéficié de crédits conséquents pour assurer leur gestion adéquate, ce qui a conduit à leur dégradation (envasement, fuites, vétusté des équipements). Onze barrages sont concernés par des opérations de dévasement. La campagne de dévasement 2020-2025, en cours, a permis d’enlever 30 millions de m3 de vase des barrages des wilayas de Khenchela, Mascara, M’sila, Skikda, Béchar, Relizane et Aïn Defla, selon le ministre de l’Hydraulique (séance consacrée aux questions orales au Conseil de la nation, 9 mai 2024). Il a également fait savoir que l’Agence nationale des barrages et transferts (ANBT) s’emploie à concrétiser des campagnes de reboisement sur les bassins versants des barrages afin de les protéger contre le phénomène d’envasement.
Le branle-bas de combat déclenché par la situation hydrique à Tiaret donne raison aux spécialistes qui affirment que « la bataille décisive à gagner est celle de l’eau », et, insistent-ils, « elle ne peut attendre ». Ils estiment qu’il n’y a pas une prise de conscience réelle de la gravité de ce problème, alors qu’ils n’ont cessé de prévenir que l’Algérie, pays aride, va encore connaître des périodes de sécheresse.
Le contexte climatique défavorable aux ressources en eau permet de couvrir la mauvaise gestion de ce service public au niveau local. Si, par malheur, une canalisation est endommagée, les habitants concernés savent, par expérience, qu’ils devront attendre longtemps avant sa réparation, et, entretemps – cela peut durer plusieurs jours – ils n’auront pas d’eau au robinet. En milieu rural, s’ajoute le risque de s’approvisionner à des sources polluées. Les coupures d’eau ne devraient en aucun cas s’éterniser. La distribution par citernes ne devrait pas être une alternative commode pour faire traîner les réparations des incidents qui paralysent les réseaux d’approvisionnement d’eau potable.
Il reste que la disponibilité des ressources en eau est réduite, voire nulle dans certaines situations, du fait du manque de précipitations qui entraîne notamment une baisse critique du niveau des barrages. La réponse est dans la stratégie de mobilisation des eaux non conventionnelles – dessalement de l’eau de mer et réutilisation des eaux usées épurées – qui limite la contrainte imposée par le réchauffement climatique en réduisant la dépendance de la pluviométrie pour les ressources en eau. La généralisation des stations de dessalement de l’eau de mer tout le long de la bande côtière est en cours, ainsi que l’exploitation des eaux usées épurées dans l’irrigation au lieu d’utiliser les eaux souterraines. Des spécialistes font remarquer que le dessalement d’eau de mer offre une solution qui risque d’être palliative dans certaines conditions.
L’économie d’eau permet d’épargner des ressources. Le président Tebboune avait donné des instructions pour élaborer un plan d’urgence visant à mettre en place une nouvelle politique permettant d’économiser l’eau à l’échelle nationale. Le laxisme ambiant en matière de lutte contre l’incivisme fait que les scènes de gaspillage de l’eau sont spectaculaires et au vu et au su de tous, comme si cette pratique n’était pas interdite. Il existe une police des eaux, instituée par la loi du 4 août 2005. Elle est constituée par des agents relevant de l’administration chargée des ressources en eau. Ils sont assermentés et habilités, tout comme les officiers et agents de police judiciaire, à rechercher et constater les infractions à la loi. Mais cette police ne semble pas opérationnelle, en tout cas, elle n’est pas visible. Pourtant, en 2023, c’est le président de la République qui a donné la directive de rendre opérationnelle la police des eaux, pour lutter contre le gaspillage de cette ressource vitale et rare.
Le bruit
L’été sera l’occasion de confirmer la sous-estimation de l’impact des nuisances sonores sur le cadre de vie des Algériens, comme le montre le traitement de complaisance accordé aux fauteurs de bruit. « Nul n’est censé ignorer la loi », c’est l’article 78 de la Constitution (chapitre 2. Des devoirs). Les fauteurs de bruit savent donc qu’ils commettent une infraction punie par la loi, mais ils ne craignent pas d’être sanctionnés. Ont-ils la garantie de l’impunité ? Il n’y a personne pour les rappeler à l’ordre. Au contraire, les fauteurs de bruit sont gagnants. Ils engrangent des profits indus en n’engageant aucune dépense pour minimiser la nuisance sonore provoquée par leur activité économique ou commerciale, consistant, par exemple, en la location d’équipements de sonorisation destinés aux activités bruyantes sur la voie publique et au milieu d’habitations. Les riverains sont perdants : ils ne sont pas dédommagés pour les dépenses de santé dues aux effets des nuisances sonores.
Pour rappel, le cadre juridique permet aux autorités d’empêcher les nuisances sonores : la loi du 2 décembre 1991 (« l’installation ou l’utilisation de sonorisation fixe, momentanée ou définitive, est soumise à autorisation préalable du wali ») ; le décret de 1993 toujours en vigueur, qui fixe les seuils d’intensité de bruit ; la loi du 19 juillet 2003 (titre IV, chapitre 2, sur les activités bruyantes sur la voie publique) ; le Code de la route (ordonnance 09-03 du 22 juillet 2009, sur la contravention aux dispositions relatives à l’émission de bruits).
Dans les abus qui conduisent aux atteintes à l’environnement en Algérie, pour le cas, notamment, des nuisances sonores, il y a une très forte part de l’informel. L’idée que tout peut se faire en dehors de la loi a fini par envahir beaucoup de sphères de la vie du pays. Alors, l’obligation de faire référence au cadre juridique qui régit l’environnement, n’existe plus, annulée par d’autres considérations qui rapportent plus.
Pas de souci pour le courant électrique
Du côté de l’énergie électrique, il n’y a apparemment aucun souci à se faire. Il y en a à revendre. Les climatiseurs, sources des pics de consommation en été, seront alimentés en électricité sans risque de coupures. Le groupe Sonelgaz a mis en place un programme spécial pour couvrir la demande croissante d’électricité durant l’été prochain et éviter les coupures, grâce à la mobilisation de plus de 25 000 mégawatts (MW), plus que les 20 000 MW prévus initialement (de nouvelles stations d’une capacité globale de plus de 2000 mégawatts sont entrées en service au cours de cette année), et très largement au-dessus du pic de consommation de l’été 2023 qui n’avait pas atteint les 19 000 MW. L’attention est portée particulièrement sur 16 wilayas ayant enregistré une consommation d’électricité exceptionnelle l’année dernière. C’est le ministre de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, qui l’a annoncé. Certains équipements seront renforcés pour supporter des températures extrêmes dépassant 55 degrés. Et si une coupure intervient, des équipes spécialisées dans la production, la distribution et le transport d’électricité et de gaz du groupe Sonelgaz, sont mobilisées en permanence, avec pour objectif de réparer les pannes dans les plus brefs délais.
D’où viennent les algues envahissantes ?
Durant l’été 2023, dans l’ambiance de canicule jamais connue auparavant, des plages du littoral algérois ont vu la couleur de leurs eaux virer au marron foncé, en plus du trouble qui empêche de voir le sable au fond. Certains jours, les eaux de baignade étaient d’une saleté telle qu’on pouvait les assimiler à des eaux d’égout, avec une prolifération inquiétante d’algues. L’emballage plastique reste prépondérant dans la pollution marine en Algérie. Depuis quelques semaines, les habitants du quartier La Poudrière, à Bologhine (ex Saint-Eugène, banlieue-ouest d’Alger), observent leur plage avec anxiété en se demandant s’ils pourront la fréquenter cet été comme d’habitude. A la veille de la saison estivale, elle est envahie par les algues qui se concentrent sur le bord, rendant la baignade pratiquement impossible et laissant une impression de saleté renforcée par l’aspect huileux en surface. Les algues, en quantités impressionnantes, couvrent également le sable et les galets de la plage.
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du jeudi 6 juin 2024
Photo : la plage La Poudrière,, à Bologhine (ex Saint-Eugène, banlieue-ouest d’Alger), le 30 mai 2024. La présence d’algues a été réduite après un déchaînement de la mer pendant plusieurs jours. De grosses vagues ont débarrassé la plage d’une grande partie des algues. Pour le moment… © M’hamed Rebah