Un rendez-vous international est organisé du 16 au 21 juillet pour lutter contre l’accaparement de l’eau, les mégabassines et pour une autre agriculture à Melle (Deux-Sèvres).
par Pierre Grillet
Le 7 juin, le collectif Bassines non merci (BNM), les Soulèvements de la Terre, la Confédération paysanne, les syndicats Solidaires et CGT ont présenté devant la presse le contexte et le contenu du Village de l’eau qui se tiendra à Saint-Martin-les-Melle (commune déléguée de la commune de Melle) en juillet 2024. Ce rendez-vous médiatique était organisé sur le lieu même du futur rassemblement, dans le cadre superbe d’une ferme datant du XVIIe siècle (peut-être même bien avant). Une ferme rachetée par la commune, qui y a installé un maraîcher et souhaite faire de ce lieu un terrain alternatif favorisant la vision d’une autre agriculture, nourricière et paysanne, tout en prenant en compte l’ensemble du vivant humain et non humain. Localisée sur une zone de protection de captage de l’eau potable destinée à la ville de Melle, en bordure d’une superbe petite rivière (le ruisseau de l’Argentière), un lieu qui « cristallise tous les enjeux » permettant d’« imaginer des avenirs souhaitables ou désirables » selon les mots de Julien Le Guet et Judith Rivière, les deux porte-parole de BNM sous le regard approbateur du maire, Sylvain Griffault, qui a déjà accueilli en centre-ville, avec ses équipes et les habitants, un tel rassemblement en mars 2023.
La lutte contre les mégabassines est autant un combat contre un outil qui ne servira que quelques agriculteurs dans le cadre de pratiques industrielles obsolètes qu’une lutte pour une autre agriculture, comme le souligne Benoît Jaunet, porte-parole de la Confédération paysanne 79 : « on doit parvenir à une vision plus globale de la société pour un monde plus humaniste et partageur, non accapareur. Une autre paysannerie, un autre modèle agricole est possible, ce que pratiquent déjà de nombreux paysans. On doit faire autrement ». Cette lutte partagée entre militants citoyens consommateurs et paysans démontre que le combat n’est pas qu’une affaire de groupuscules adeptes du désordre et ne proposant rien, comme voudraient le faire croire le gouvernement et la FNSEA. Julien Le Guet rappelle qu’un syndicat paysan supplémentaire, le Modef (1), a décidé de soutenir le mouvement. L’implication des syndicats impliqués dans les luttes sociales et présents dès le début de la lutte, prouve également l’envergure d’un tel combat.
Pour les deux représentants de Solidaires, Christelle Dechatre-Bonnard et Hervé Auguin, la justice sociale et la justice écolo doivent être menées de front car elles sont intimement liées. « Nourrir nos luttes écologiques et sociales, construire et renforcer notre syndicalisme de lutte et de transformation sociale », tel est l’intitulé de la motion votée à l’unanimité par ce syndicat lors de son dernier congrès en avril 2024 et dans laquelle il est précisé, après avoir rappelé tous les autres combats écologiques du moment, « soyons nombreuses et nombreux dans le Poitou pour nous opposer aux mégabassines… ». Le porte-parole de la CGT 79, David Bonin, confirme : « lutter contre l’appropriation privée de l’eau » fait partie des enjeux forts pour ce syndicat.
Que va-t-il se passer du 16 au 21 juillet à Saint–Martin-les-Melle (et aux alentours) ?
Du mardi 16 au jeudi 18 juillet, ainsi que le dimanche 21, ces journées seront consacrées à de multiples rencontres et échanges : le mardi 16, les thèmes seront axés sur un état des lieux concernant la qualité et la quantité de l’eau, l’agriculture et ses impacts sur l’eau ainsi que sur les résistances existant en Espagne et en Amérique latine.
Le mercredi sera consacré à des réflexions autour du nécessaire partage de l’eau, avec l’exemple des résistances dans le bassin du Jourdain au Proche-Orient. Les grands barrages, très souvent utilisés comme de véritables armes de domination à l’image de la Turquie, feront également l’objet d’une rencontre…
Le jeudi, on réfléchira sur la filière dans laquelle s’intègrent les mégabassines et les manières de lutter ainsi que sur les révoltes paysannes dans le monde. La dernière journée, le dimanche, sera consacrée aux nombreuses pistes permettant de développer une agriculture paysanne, nourricière et durable (sécurité sociale de l’alimentation, chambre d’agriculture alternative, gestion communautaire de l’eau…) et l’après-midi permettra de réfléchir à une déclaration pour une alliance planétaire dans le cadre d’une grande assemblée des mouvements de l’eau. Au cours de la semaine, des réflexions seront également conduites autour de la transmission des fermes, un enjeu fort actuel et à venir lorsqu’on sait que ce sont plus de 50 % des exploitations agricoles qui vont être confrontées à cette question dans les 10 ans ou comment ne pas laisser les grosses sociétés accaparer les terres pour y faire régner l’agrobusiness.
Deux journées (le vendredi et le samedi) seront consacrées à des manif’actions dont le programme ne sera connu que tardivement pour des raisons que chacun peut comprendre… Des concerts, bals trad, cabarets, contes sont prévus chaque soirée. Et de nombreux stands militants seront présents tout au long de ces journées.
Une volonté d’accueillir plusieurs milliers de personnes provenant de toute l’Europe et plus et le souhait d’ouverture aux voisins et habitants de Melle
Le site d’accueil pourra recevoir au moins 10 000 personnes. L’événement est déclaré et les conditions de sécurité respectées. Tout sera fait pour accueillir les participants dans les conditions les plus confortables possibles. Les cantines en lutte assureront les repas à prix libre. Des accueils sur place seront organisés, permettant à celles et ceux qui le souhaiteraient de récupérer, au calme, s’isoler un moment. Des « bambineries » sont également prévues pour les enfants et pourront aussi être utilisées par les familles…
Les organisateurs insistent sur la dynamique autour de cet événement déjà enclenchée en France mais également en Europe : d’ores et déjà, au moins 15 convois en direction de Melle sont annoncés, certains en provenance d’Allemagne. Les dates choisies, à quelques jours seulement des Jeux Olympiques font que les médias du monde entier auront les yeux fixés sur la France. Le gouvernement devra en tenir compte en cas de volonté de répression. Le Village de l’eau veut être un catalyseur des initiatives, permettre un coup de projecteur sur les projets autour de cette ferme, le lieu d’accueil, montrer que les propositions ici comme un peu partout dans le monde ne manquent pas. Il veut aussi encourager les habitants proches, voisins du site et habitants de Melle à se rendre sur le site pour échanger et faire connaissance.
Les porte-parole de BNM insistent également sur la solidarité avec les peuples en lutte pour défendre leurs terres, leurs rapports avec le vivant et leurs liens avec l’eau, notamment les Palestiniens massacrés, tués et expulsés avec la complicité d’une bonne partie des dirigeants de l’Occident, mais aussi les Israéliens qui n’acceptent pas un gouvernement d’extrême droite génocidaire et se battent contre, le peuple Kanak qui affronte une logique coloniale toujours en vigueur en 2024 et bien d’autres…
Un rendez-vous qui promet d’être massif et constructif, à l’heure où le gouvernement, avec sa loi d’orientation agricole qui traduit sa soumission évidente à la FNSEA, voudrait réduire toute opposition au silence. À l’heure où le gouvernement ne cesse de faire reculer toutes les « quelques » avancées environnementales et affirme encore passer en force pour imposer les mégabassines malgré les multiples oppositions.
Une rencontre publique d’information sur les événements de juillet est fixée le jeudi 20 juin à 19 h à Melle (salle Jacques Prévert), un rendez-vous à ne pas manquer…
(1) Modef : Mouvement de défense des exploitants familiaux, syndicat agricole français et compte entre 3 500 et 4000 adhérents, répartis dans 17 départements (données 2022). Extrait d’un communiqué publié en janvier 2024 suite au procès et aux condamnations des 9 personnes accusées d’avoir organisé les manifestations de Sainte-Soline. Ce syndicat se déclare « défavorable à l’utilisation des nappes profondes qui ne se reconstituent que très lentement ! Cette eau potable doit être réservée à l’utilisation humaine et animale. Nous sommes attachés au respect des ressources naturelles notamment la préservation de l’eau et nous nous opposons aux méga-bassines ! … l’eau est vitale et, à ce titre, elle ne peut être assimilée à une marchandise et doit être considérée comme patrimoine de l’humanité. De ce fait, la gestion de l’eau doit être publique, démocratique et collective, afin de préserver sa quantité tant que sa qualité. Nous voulons garantir l’accès à cette ressource pour toutes et tous ».
Photo : Les différents porte-parole présents lors de la conférence de presse avec, de gauche à droite : David Bonin et Emiliano Fernández pour la CGT, Benoît Jaunet pour la Confédération paysanne, Judith Rivière et Julien Le Guet pour le collectif BNM, Christelle Dechatre-Bonnard et Hervé Auguin pour Solidaires.