Maurice Soutif, un maître du journalisme à l’ancienne

Curieux de tout. Doté d’une plume alerte et d’une grande culture « classique » et scientifique. Modeste et pourvu d’un vif sens de l’humour malgré une vision pessimiste sur le monde tel qu’il va. Soucieux de vérifier chaque information. Tel était Maurice Soutif, décédé le 26 mai dernier. Un grand journaliste « à l’ancienne », qui fut un maître et une référence pour plusieurs générations de journalistes qui ont eu la chance de travailler avec lui.

par Laurent Samuel

Maurice Soutif est né en 1948 à La-Bazouge-des-Alleux (Pays de la Loire), dans une famille modeste. Après des études à l’université Michel de Montaigne Bordeaux 3, il débute en 1969 à Sud-Ouest comme secrétaire d’édition, puis rejoint Agri Sept Jours entre 1970 et 1975. Reporter itinérant free lance sur l’agriculture des pays en voie de développement (Egypte, Soudan, Ethiopie, Kénya, Inde, Népal) en 1975-76, il devient rédacteur en chef de l’Action Vétérinaire en 1978-1979, avant d’intégrer en 1979-1980 comme reporter l’hebdomadaire VSD, qui vient d’être créé.

En 1981, Maurice entre à Géo (dont l’édition française a été lancée en 1979) où il va rester jusqu’en 2000 en tant que chef de service. C’est au sein de cette rédaction (dirigée par Robert Fiess, Yann Méot, puis Jean-Luc Marty), qu’il va donner la pleine mesure de son talent, tant pour l’enquête que pour l’écriture. Il faut dire qu’à cette époque, les journalistes de Géo disposent de tout le temps nécessaire, et de budgets conséquents, pour réaliser des reportages au long cours, souvent en tandem avec un photographe. Maurice écrit ainsi – pour ne citer que quelques exemples – sur les statues de l’île de Pâques en 1985 ou la disparition des espèces vivantes en 1990. Ayant pour ma part intégré l’équipe de Ça m’intéresse en 1984 (publié par le même groupe que Géo, Prisma Presse), j’ai eu le bonheur de le côtoyer à cette époque, car les deux rédactions étaient proches, parfois géographiquement, au gré des déménagements et réorganisations du groupe, et toujours sur le plan des centres d’intérêt et des idées. Dès cette période, Maurice faisait partie des JNE, et on se voyait souvent lors des AG et petits déjeuners organisés par l’association.

Après avoir quitté Géo en 2000, Maurice devient reporter pigiste à Terre Sauvage, où il publie de nombreux dossiers et des chroniques sur ses randonnées (l’une de ses passions), tout en pigeant de temps à autre pour Géo ou Géo Ado. Au début des années 2000, il écrit de grands sujets pour Ça m’intéresse, sur les haies (en un temps où les voix n’étaient pas si nombreuses pour dénoncer leur disparition) et  les volailles de race. J’avais eu le redoutable honneur de piloter ces sujets. Il discutait âprement (mais toujours courtoisement) le moindre changement, la moindre coupe, et tenait à vérifier et revérifier (parfois de façon presque obsessionnelle) chaque élément d’information. Maurice avait été outré par le titre que le rédacteur en chef de l’époque, Jean-Pierre Pustienne, avait trouvé pour l’article sur les volailles : « Poules de luxe » !

Ces dernières années, la communication avec Maurice, qui continuait à fréquenter les réunions des JNE, était devenue difficile en raison de sa surdité. Très « écolo » dans ses convictions et son mode de vie, il n’en avait pas moins une passion pour les voitures de sport et avait la réputation d’avoir été un conducteur émérite, avant que l’âge (ou les prémices de la maladie de Parkinson ?) ne le métamorphosent en un danger public sur les routes…

Maurice Soutif est aussi l’auteur de plusieurs livres, dont Les Rusés, la vie des animaux les plus malins, les Bosseurs, la vie des animaux les plus travailleurs, et Les Amoureux, la vie des animaux les plus passionnés, tout en participant à de nombreux ouvrages collectifs, comme Terre de Brenne, avec les photos de Jean-François Hellio et Nicolas Van Ingen, L’Aquitaine entre terre et mer ou Aux sources du bocage, Orne, Sarthe et Mayenne.

Fidèle au stylo à plume, peu rompu aux arcanes des internets, Maurice Soutif  était l’un de ces journalistes – talentueux, modeste, déterminé, consciencieux, passionné….- qui font l’honneur de notre profession.

Toutes mes condoléances à ses filles, à toute sa famille et à ses proches.

Photo du haut : Maurice Soutif © DR