Comme souligné dans un précédent article paru sur le site des JNE, préférer une prairie à une forêt au nom de la biodiversité est un choix culturel et non scientifique. Cette préférence peut aller jusqu’au défrichement d’une forêt naturelle pour augmenter la surface de prairie sèche, comme c’est le cas sur la commune de Rosenwiller (Bas-Rhin).
par Jean-Claude Génot *
Rosenwiller est située dans les collines sous-vosgiennes et fait partie d’un champ de fractures qui s’étend jusqu’à la frontière allemande entre deux failles qui résultent de l’effondrement du fossé rhénan. Entre les Vosges cristallines et la plaine, sont apparus des terrasses calcaires en escalier bien exposées qui ont favorisé autrefois le pâturage d’un troupeau communal sous la surveillance d’un berger et la vigne plus que jamais en expansion. Le site du Holiesel surplombe le village, c’est un reliquat d’un ancien pâturage qui a perduré jusque dans les années 1960. Depuis les années 90, ce site communal a été confié au Conservatoire d’espaces naturels d’Alsace qui en assure la gestion par une fauche différenciée des prairies et une élimination des arbustes qui ne manquent pas de s’y développer à partir des bosquets et des haies qui poussent là où les pierres calcaires ont été accumulées dans le passé. Une partie du site est occupée par des boisements spontanés qui sont apparus après l’abandon du pâturage et par une chênaie-charmaie sur le versant nord du site. Ces prairies sèches possèdent une flore typique de ces milieux secs : l’aster amelle, 16 espèces d’orchidées et une importante population d’anémone pulsatille. Parmi les insectes, on peut citer la mante religieuse, des criquets, mais aussi une grande diversité de papillons diurnes et nocturnes dont un, l’horisme des pulsatilles, dépend uniquement de l’anémone pour nourrir ses chenilles.
Lors d’une visite fin avril avec des amis naturalistes, j’ai pu observer les anémones en fruit car elles fleurissent très tôt, l’orchis bouc et l’orchis morio en fleur et entendre l’alouette lulu qui niche au sol. J’ai pu aussi mesurer l’intérêt des secteurs boisés avec la présence du prunier de Sainte Lucie et du chêne pubescent, tous deux en limite nord de leur aire de répartition. Les bosquets et les zones de transition vers la forêt sont composés de nombreux arbustes tels que le cornouiller sanguin, l’aubépine monogyne, l’épine noire, l’églantier des chiens ou encore l’épine-vinette. Les prairies sèches sont bordées au nord par une forêt spontanée de type chênaie-charmaie avec du chêne sessile, du charme, de l’érable champêtre et du frêne et un sous-bois composé de troène, de noisetier et de viorne lantane. Ce site boisé n’est pas soumis au régime forestier, ce qui n’exclut pas qu’il ait pu faire l’objet de coupe dans le passé, mais il s’agit d’une forêt ancienne au sens de l’état boisé comme l’atteste la présence du muguet, une plante indicatrice de l’ancienneté des forêts. Ce site ainsi que d’autres collines calcaires et une chênaie pubescente situées sur des communes voisines font partie d’un projet de réserve naturelle régionale de 100 ha éclatée en trois sites, dont le Holiesel pour 36 hectares. La richesse écologique de ce site est largement due à la mosaïque paysagère entre les prairies et les parties boisées spontanément (bosquet, haie, forêt) qui abritent de nombreux oiseaux et insectes et dont les lisières accueillent également des orchidées.
La désagréable surprise a été de découvrir au sommet de la colline une zone de défrichement de forêts spontanées de 3 hectares pour relier plusieurs petites zones de prairies entre elles. Que les gestionnaires de la biodiversité des milieux ouverts jardinent leurs sites comme on muséographie un paysage passe encore, mais qu’ils se mettent à défricher des forêts spontanées qui ne demandent qu’à évoluer vers la maturité est une absurdité sur le plan écologique et un acte de destruction aussi critiquable à cette échelle que de couper une forêt tropicale pour y faire de l’élevage. D’ailleurs, le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel ne s’y est pas trompé qui, lors de la consultation du dossier de classement en réserve naturelle régionale incluant le site du Holiesel, a acté le fait que la forêt restante soit laissée en libre évolution pour contribuer à atteindre l’objectif de 3 % d’îlots de sénescence en forêt publique d’ici 2030.
Comme si cela ne suffisait pas, le financement de ces travaux de défrichement s’est inscrit dans le cadre de la trame verte et bleue. C’est un détournement de l’esprit de la trame verte, prévue initialement pour protéger les zones boisées (arbre isolé, bosquet, haie, ripisylve, boisement) face aux multiples destructions dont elles font l’objet en milieu ouvert. Ce type de dérive gestionnaire est lié d’une part, à la primauté d’une nature culturelle sur une nature sauvage et spontanée, et d’autre part, à l’exiguïté des sites de pelouses calcaires qui sont des confettis au sein d’une matrice totalement dominée par les activités humaines. De ce fait, il est plus facile pour gagner des surfaces de prairies sèches de défricher une forêt spontanée que de lutter contre le vignoble et l’urbanisation qui encerclent ce site et qui l’ont grignoté. Augmenter la surface des milieux ouverts aura pour corollaire de faciliter encore plus l’accès d’une forte fréquentation humaine, notamment avec des engins motorisés. Le site du Holiesel est le parfait exemple d’un espace restreint où il a fallu composer avec les constructions, le vignoble, les prairies à orchidées et la fréquentation humaine avec toutes ses dérives (chiens en liberté, déchets, piétinement, engins motorisés, etc.), une application ubuesque du « en même temps ».
* Ecologue
Je remercie Marie-Ange Moser, guide naturaliste d’Alsace Nature, pour m’avoir fait découvrir ce site, pour avoir relu ce texte et en suggérer la conclusion.
Photo du haut : chênaie-charmaie spontanée qui sera en libre évolution © Jean-Claude Génot