L’écologie est désormais une dimension obligée de notre rapport au monde. Mais de quelle dimension s’agit-il ?
par Marie Joséphine Grojean *
Le mot écologie est devenu une sorte de concept fourre-tout qui a tout envahi, depuis la politique jusqu’aux innombrables produits en vente dans les supermarchés ; jusqu’aux expressions courantes dans tous les domaines : même une voiture peut se targuer d’être écologique ! « Ecologique » est devenu un adjectif passe-partout, un argument de vente et de profit, un argument électoral ; il y a même dans certains pays européens, des groupes parlementaires écologiques ! Mais s’agit-il encore d’écologie ? D’écologie au sens d’une approche réfléchie et consciente du monde tel qu’il est, et surtout tel qu’il devrait être ; au sens d’une relation avec la Nature que la Modernité devrait rechercher face aux mutations du présent ; au sens d’une nouvelle philosophie de vivre sur une planète qui souffre d’anthropocentrisme aigu.
L’écologie, dimension obligée du rapport au monde dans les sociétés développées et consommatrices, est une dimension finalement perturbante et inefficace, car envahissant tout, elle finit par confondre. Ecologie ? De quoi s’agit-il en fait, se demande t-on parfois. On se rappelle cet autre concept si en vogue il y a quelques années, et désormais mis au rancart, à juste titre : le Développement Durable. On se demande : Développement durable, Ecologie, c’est quoi la différence ? C’est quoi l’écologie ?
L’évolution de ce concept envahissant à l’extrême, montre assez bien les défaillances de notre pensée moderne qui glisse aisément, comme incontrôlable, de l’inspiration originelle jaillie d’une aspiration juste et vitale, à une appellation qui, réunissant tout et son contraire, finit par se banaliser. Ecologie par ci, écologie par là, mais enfin de quoi s’agit-il ?
Ce fut d’abord une idée force : sauvegarder la planète et bien vivre avec elle, en symbiose avec elle – comme ce Ben Vivir inscrit dans les constitutions indigénistes de certains pays d’Amérique latine. Une idée force liée à des réalités tangibles, à des luttes sur le terrain pour maintenir les sols en bon état, les prairies saines, les animaux hors des emprises chimiques et phytothérapiques, les légumes sans pesticides, l’eau sans traitements chimiques exigeant traitements à leur tour dans une ronde sans fin.
En somme, l’écologie, c’était principalement se situer, non en tant que prédateur, mais en tant que partenaire de la nature pour maintenir un juste équilibre entre la Maison-Terre et ses habitants. L’image historique sans doute la plus ancrée dans les mémoires en France, est le combat pour sauver les causses du Larzac dans les années 1970, des terres admirables aujourd’hui traversées par des randonneurs assoiffés de paysage sauvages indemnes ; terres alors convoitées par l’État pour l’installation d’un vaste terrain militaire ! Oui, un terrain militaire sur le causse Cévenol, ces terres sans limites qui osent toucher le ciel, et s’offrir aux vents les plus fous ! Contraste remarquable entre deux notions, deux perspectives : d’un côté, ce qui nourrit : la terre, et de l’autre, ce qui détruit : les armes. Les aberrations administratives et étatiques ne faisaient que commencer. Les avancées fulgurantes des technologies, la soif inextinguible de profit d’humains avides et souvent déjà riches, l’indifférence politique aux valeurs fondamentales de la vie – respect du Vivant, des sols, de l’eau, des paysages, préservation d’une vie et d’une alimentation saines, etc. – tout ce qu’un humain normalement constitué devrait aimer, et donc souhaiter pour lui et pour ses enfants – ces aberrations ne faisaient que commencer. Le désastre d’une époque folle était amorcé. C’est alors que l’Ecologie est arrivée, et les écologistes avec : une grande espérance naissait qui allait répondre aux nécessités de l’époque. Qui devait pouvoir lui répondre !
Mais la pensée moderne mécanique et toute imprégnée de technologie, fut-ce la plus raffinée, la pensée moderne a perdu pied. L’intelligence technologique, aussi performante soit-elle, s’est refermée sur elle-même au lieu de s’ouvrir aux espaces nouveaux qui s’entrouvraient, espaces de la connaissance, c’est-à-dire de la conscience et de la créativité.
L’ère technologique naissante s’est mise à couvert d’une pensée matérialiste, et l’écologie a suivi cette pente au lieu de s’associer au courant d’une ouverture des consciences qui dépasse les luttes pour le pouvoir, la recherche compétitive, la pensée à court terme…
Or, il s’agissait avant tout de mettre en place une écologie d’action et une écologie éducative, ce qui fut fait par certains, mais l’écologie elle-même, emportée par une masse d’écologistes enthousiastes et certainement désireux de bien faire, mais ne sachant pas faire, s’affadissait et glissait vers la banalité et le convenu, et semblait ignorer la dangerosité du monde dans lequel nous vivons désormais ; une masse souvent privée de l’envol de toute pensée créatrice, de toute dimension philosophique, de toute prospective. Dommage…
Cette dimension philosophique de l’écologie, celle qui permet, par exemple, une approche des notions de Totalité, de celle d’Unité/diversité, ou qui permet de promouvoir des valeurs aujourd’hui menacées, celle qui propose une autre manière d’habiter le monde, cette écologie-là qu’on appelle outre-Atlantique deep ecology (écologie profonde), reste à activer d’autant qu’elle fut fondée et décrite admirablement par des penseurs et des écrivains, tels Jacques Ellul, Robert Hainard, H.D. Thoreau, Maurice Genevoix, Jean-Marie Pelt, André Gorz, Henri Pourrat, Jean Giono, et d’autres, des contemporains ceux là, comme Glenn Albrecht, David Holgrem, tous souvent hélas trop peu lus ; des penseurs-auteurs-acteurs qui vibrent à l’unisson des plantes, des arbres, de l’eau, de la terre et du ciel, et qui veulent nous transmettre leur message et proposent une autre manière d’être au monde.
C’est cette vibration reliant l’Humain à la Terre et à tout le Vivant qu’avant tout, l’Ecologie se devrait d’apporter au monde d’aujourd’hui pour le revivifier. Alors on saurait ce qu’est vraiment l’Ecologie, et son message prendrait tout son sens ; et son action, toute sa force et sa pertinence.
* Responsable Éthique, Culture, Éducation à l’Académie de l’Eau