C’est par un discret faire-part dans le Carnet du journal Le Monde que votre serviteur a appris le décès de Paul Blanquart, survenu le mardi 6 février 2024 à l’âge de 89 ans. A l’heure où ces lignes sont écrites (18 février à 16 h 14), le quotidien de « référence » ne lui a consacré aucune « nécro ». De toute la presse française, seule La Croix a publié à ce jour un article (réservé à ses abonnés) à sa mémoire.
Par Laurent Samuel
Pourtant, cette « figure de la gauche chrétienne des années 1960-1970 » (selon la formule de La Croix) a joué un rôle majeur dans l’ouverture d’une partie des catholiques au marxisme, puis aux « nouvelles luttes » que constituaient alors l’écologie, le féminisme ou le régionalisme. Né le 19 juin 1934 à Templemars (Nord), Paul Blanquart se nourrit dès sa jeunesse de la pensée personnaliste d’Emmanuel Mounier et de la revue Esprit. En 1955, il entre au noviciat de l’ordre dominicain, alors considéré comme d’avant-garde sur le plan social. Après avoir effectué son service militaire en Algérie entre 1959 et 1961 (pendant lequel ses supérieurs l’ont dissuadé de devenir objecteur de conscience), Paul Blanquart est ordonné prêtre en 1964. Au studium du Saulchoir, lieu d’étude des Dominicains, alors installé à Etiolles, en région parisienne, il se consacre à l’étude du marxisme et des messianismes religieux. Dès 1966, il s’engage pour le peuple vietnamien et participe en janvier 1968 à un congrès d’intellectuels à La Havane, dont Fidel Castro prononce le discours de clôture. Le soutien du nonce apostolique de Cuba, proche de Castro, lui évite une sanction de la part des autorités romaines. En mars 1968, Paul Blanquart participe à un colloque « christianisme et révolution », qui reconnaît le droit pour tout chrétien de participer au processus révolutionnaire, y compris par la lutte armée. Le 21 mai, il est parmi les signataires d’un « Appel aux chrétiens » les incitant à l’engagement auprès des étudiants et des ouvriers.
Après Mai 1968, Paul Blanquart participe aux lancements de la revue Politique Aujourd’hui et du magazine Politique Hebdo, créés par Paul Noirot. Cet hebdomadaire ouvre largement ses colonnes à l’écologie, notamment sous la plume de Claude Boris (alias Claude-Marie Vadrot, qui sera plus tard président des JNE). Le dessinateur Gébé y publie les premières planches de l’An 01 avant de les rapatrier dans Charlie Hebdo, dont il est l’un des piliers. Dans les colonnes de Politique Hebdo, Blanquart soutient la lutte des ouvriers de Lip et de paysans du Larzac. Fin 1976, en conflit avec Paul Noirot, il quitte Politique Hebdo, avant de rejoindre en janvier 1978 la Gueule Ouverte. Cette publication pionnière de l’écologie est alors installée à la Clayette, en Saône-et-Loire, à la suite de sa fusion avec Combat non violent.
C’est à cette époque que j’ai eu la chance de rencontrer ce dominicain atypique, cultivé et bienveillant, qui tentait tant bien que mal de mettre un peu d’esprit rationnel et raisonnable dans une équipe où les conflits de personnes, les états d’âme et les émotions prenaient trop souvent la place centrale, au détriment de l’information et de la réflexion auxquelles Paul était attaché (lire ici le beau témoignage d’Yves-Bruno Civel, ancien de la Gueule Ouverte et ex-trésorier des JNE).
Après avoir quitté La Gueule Ouverte fin 1979, celui qui se définit comme « croyant athée » enseigne à l’université Paris XII, est directeur du Centre de Création Industrielle rattaché au Centre Pompidou (1982-84), puis travaille à l’IFAC (Institut de formation, d’animation et de conseil au service de la vie locale). En 1997, il publie Une histoire de la ville. Pour repenser la société aux éditions de la Découverte. Collaborateur de la revue Alternatives non-violentes, lancée en 1973, Paul Blanquart y écrit en 2014 deux articles sur la ville. L’avis de décès, au nom de sa famille, de ses amis et de la Fondation Un monde par tous (*), indique qu’il a été enterré « civilement » le 9 février en Lozère « face au ciel sur le causse de Sauveterre ».
Pour en savoir plus
https://maitron.fr/spip.php?article252296, notice BLANQUART Paul, puis nom de religion Paul Emmanuel par Yann Raison du Cleuziou, version mise en ligne le 14 novembre 2022, dernière modification le 8 décembre 2022.
(*) La Fondation Un monde par tou.tes favorise les initiatives porteuses d’alternatives au système global dominant (exploitation, croissance, profit, etc.), responsable des inégalités sous toutes leurs formes et de la destruction progressive de la planète. Voir https://www.fondationdefrance.org/fr/annuaire-des-fondations/fondation-un-monde-par-tous
Photo du haut : Paul Blanquart © DR