En Algérie, la présence dans la structure du gouvernement d’un ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables, d’un ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville en plus des départements ministériels Collectivités locales et Aménagement du territoire intégrés au ministère de l’Intérieur, et de tous les organismes sous leurs tutelles qui s’occupent de protection de l’environnement, laissent penser que le cadre de vie des Algériens est bien soigné, particulièrement en milieu urbain. Et pourtant…
par M’hamed Rebah
Effectivement, des progrès sont constatés à travers certaines réalisations qui indiquent la volonté officielle de s’attaquer au malaise urbain, vécu depuis de longues années par les Algériens et qui a son origine, pour l’essentiel, dans l’anarchie créée durant une trentaine d’années, entre 1990 et 2020, par les orientations imposées à l’Algérie par les institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale) et certains pays partenaires.
Dès les années 1980, le changement de système économique, sous la poussée du libéralisme, a fait passer le pays du travail productif, base du développement national indépendant, à la contrebande et l’informel, sources parasitaires d’enrichissement illicite et rapide. L’informel a fini par envahir toutes les sphères de la vie du pays pour dissoudre la norme de droit qui encadrait leurs activités, lui substituant la «loi» des réseaux d’intérêts au-dessus des lois de la République. Le cas le plus significatif, que le pays traîne encore actuellement, est le fléau des constructions illicites.
Les constructions illicites
Le fléau environnemental et social des constructions illicites a commencé à se développer il y a une quarantaine d’années à la faveur du changement économique opéré après le décès du président Houari Boumediene, survenu en décembre 1978. Ce changement s’est traduit par une tendance à « moins d’Etat », voire « pas d’Etat », afin de ne pas gêner le « climat des affaires », et ouvrir la voie au « tbizniss » en langage populaire (« faire du business »). Résultat d’une large spéculation sur le foncier, brassant des sommes colossales, les constructions illicites- habitations ou commerces- ont poussé, à partir des années 1980, comme des champignons: sur les balcons, sur les terrasses et dans les cours des im meubles, sans égard pour l’esthétique des paysages, le champ de vision des voisins, la fonctionnalité des lieux ou les abords de monuments classés.
Dans le contexte du terrorisme, durant les années 1990 et les premières années 2000, les institutions de l’Etat ont été empêchées de remplir leur mission de contrôle, notamment face aux atteintes flagrantes à la loi en matière d’environnement urbain. Dans les années 1990, fortement marquées par le terrorisme en Algérie, des responsables se plaignaient de ne pouvoir interrompre les travaux de construction illicite : « dès qu’on a le dos tourné, les travaux reprennent ». En juillet 1996, 120 000 constructions illicites devaient être détruites sur le territoire national. Sous le règne de l’informel, c’est l’état de fait, illégal, qui produit l’état de droit, à travers les opérations administratives de « régularisation ». Aujourd’hui, on peut constater à quel point les constructions illicites ont enlaidi les zones urbaines. Elles ont arraché aux terres agricoles, sur le littoral particulièrement, des milliers d’hectares de terres fertiles.
En janvier 2024, le problème des constructions illicites se pose toujours. Un confrère de l’est du pays notait récemment que « le phénomène des constructions illicites ne cesse de prendre de l’ampleur, même sur les terres agricoles appartenant à l’État » (L’Est républicain, 28 décembre 2023). Seulement, maintenant, la loi sur l’aménagement et l’urbanisme stipule « l’arrêt des travaux qui visent à créer un lotissement ou une agglomération sans permis, aussi bien sur le domaine de l’Etat ou sur une propriété privée non constructible ». Dans ce cas, selon les directives officielles, le wali (NDLR représentant de l’Etat au niveau de la wilaya, communauté territoriale) ordonne à l’individu contrevenant de démolir les constructions dans les délais fixés. Si le contrevenant ne s’y conforme pas, le wali ordonne, après expiration des délais fixés, le lancement de travaux de démolition dont les coûts seront à la charge du contrevenant.
Les conditions actuelles permettent l’application de la loi. C’est ce qui se fait. Un confrère de l’ouest du pays rapporte que « l’opération d’éradication des extensions illicites des commerces au niveau du pôle urbain Ahmed Zabana (Oran) a permis aux autorités communales de démolir plus d’une centaine d’extensions érigées sur l’espace public par des commerçants, des gérants de cafeterias, de fast-foods, de quincailleries, etc. L’opération se poursuit toujours avec des contrôles quotidiens des agents de la commune » (Le Quotidien d’Oran, 15 août 2023). Erigées en violation de la loi, les constructions illicites sont démolies « conformément à la législation et à la réglementation en vigueur », selon les sources officielles.
Les déchets, encore partout
Autre problème d’environnement urbain récurrent : les déchets qui agressent la vue des passants, un peu partout, surtout lorsque l’on quitte les artères centrales des villes. C’est ce qui ressort du récit du correspondant à Annaba du Quotidien d’Oran (6 décembre 2023) : « les habitants de la cité des 700 logements à Sidi Salem, commune d’El Bouni, lançaient un cri de détresse à cause des ordures ménagères amoncelés près du centre de soins, dégageant des odeurs nauséabondes. L’endroit est devenu un foyer pour la prolifération des rats et des chiens errants ». Annaba a été, il n’y a pas longtemps, durant quelques années, une ville pilote pour une expérience de gestion des déchets, financée et mise en œuvre par une institution gouvernementale d’un pays européen. Sans résultat sur le terrain, on le constate.
A l’autre extrême du pays, à l’ouest, à Tlemcen, « les ordures ménagères sont abandonnées dans la nature, au lieu d’être jetées dans les poubelles et bacs du service communal. Des ordures sont carrément déposées sur la voie publique par certains habitants en dehors des horaires de collecte instaurés par la commune, qui a pour mission l’enlèvement des ordures et leur transport au centre d’enfouissement technique (CET) de Saf Saf » (Le Quotidien d’Oran, 25 octobre 2023). A Alger, l’indicateur de l’échec de la politique de gestion des déchets est donné par certains marchés qui n’arrivent pas à sortir de leur insalubrité.
En mai 2023, le ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables a annoncé la révision de la loi relative à la gestion, au contrôle et à l’élimination des déchets, justifiée par sa nouvelle marotte : l’économie circulaire, qui remplace l’ancienne appelée « gestion intégrée des déchets ménagers ». Des organisations internationales et des institutions publiques ou privées étrangères s’en occupent. Elles financent nombre d’études sur l’économie circulaire dont le seul but semble être d’imposer leurs visions particulières sur la gestion des déchets ménagers en Algérie, en rapport avec les intérêts de leurs pays.
Le cas des nuisances sonores, interdites mais tolérées
Concernant les nuisances sonores, les dispositions de la loi disent une chose et c’est exactement le contraire qui est autorisé pour des considérations diverses (activités publicitaires commerciales bruyantes, sponsoring,…) combinées au prétexte d’activités de loisirs, le tout au mépris de la population riveraine des lieux où sont installés les haut-parleurs, équipement central de ces activités. Ce n’est pas tout : des travaux extrêmement bruyants sur la voie publique qui peuvent être faits le jour, sont autorisés et effectués la nuit empêchant les riverains de dormir et leur causant un stress insupportable, en violation de la loi. Un marteau piqueur peut lâcher, la nuit, ses décibels démentiels sous les fenêtres des riverains du chantier sans que l’entreprise de travaux concernée ne soit dérangée. C’est comme si les Algérois étaient moins regardants en matière de cadre de vie. Quant à la pollution lumineuse et à la pollution visuelle, des notions peu connues chez nous, qui agressent en permanence les habitants et les passants. Vouloir y remédier est un luxe encore loin d’être accessible.
Les eaux usées, ça et là
Les médias continuent de rapporter des informations concernant l’évacuation, en dehors des réseaux d’assainissement, d’eaux usées urbaines qui partent dans la nature. La chaîne de télévision de privée Ennahar TV (9 octobre 2023) a montré les images d’habitants de Bach Djerrah (Alger) se plaignant du déversement des eaux usées dans l’oued-égout, qui s’infiltrent ensuite dans leurs habitations. Une autre fois, c’est à Saida : « des eaux usées se sont déversées dans plusieurs quartiers de la ville », ce qui prête à croire, selon un confrère, que « les canalisations sont complètement éventrées, laissant les eaux usées se répandre dans la place publique » (Le Carrefour d’Algérie, 5 juillet 2023). Les eaux usées passent parfois sur des trottoirs défoncés, résultat des malfaçons dans les opérations de réfection et du manque d’entretien de la voie publique.
La pollution de l’air
Dans le milieu urbain, le trafic automobile est la source de pollution de l’air prédominante. Pour y remédier, des mesures ont été prises. Dans plusieurs villes, des moyens de transport public « propres » (métro, tramway, téléphérique) ont été mis en place. A Alger, un réseau ferroviaire électrifié dessert la grande agglomération. L’utilisation du gaz de pétrole liquéfié (GPL-carburant) par les automobilistes – autour du million de véhicules – est en progression grâce à des mesures incitatives : exemption de la vignette automobile; réduction de la TVA pour l’ensemble des équipements de conversion; grosse différence avec les prix des autres carburants. Depuis juillet 2021, l’essence sans plomb est l’unique essence sur le marché national. Mais, la consommation de diesel (polluant) est en hausse, largement en tête.
La pollution de l’air en milieu urbain reste incontrôlée et son impact sous-estimé. A Alger, il y avait un réseau de surveillance de la qualité de l’air, appelé Samasafia (ciel pur), inauguré par le président de la République en mai 2002. Le réseau surveillait en continu la qualité de l’air à travers la mesure des principaux polluants urbains : oxydes d’azote, dioxyde de soufre, oxyde de carbone, hydrocarbures, poussières fines et ozone. C’était un outil d’alerte pour réduire les émissions de pollution en zone urbaine, une base de données des épisodes de pollution et un outil pédagogique devant informer le large public sur la qualité de l’air en temps réel. Mais, en août 2009, le réseau Samasafia ne mesurait plus rien, et sur ses panneaux d’affichage, posés en divers endroits d’Alger, l’écran était noir. Puis, les panneaux d’affichage ont été enlevés. Plus de Samasafia. Jusqu’à aujourd’hui, les pouvoirs publics n’ont pu relever le défi de mettre en place une politique cohérente, visant à réduire la pollution de l’air dans les grandes agglomérations urbaines.
La transformation écologique
Au plan écologique, le redressement est difficile, mais possible : la transformation en profondeur qui s’opère à Alger le prouve. Les plaies environnementales de la capitale sont soignées une à une. C’est le cas de Oued El Harrach, qui se faisait remarquer par ses odeurs nauséabondes, ou de l’immense décharge « mixte », publique-sauvage de Oued Smar, qui était le cauchemar de ses riverains. Les Sablettes, sur le littoral algérois, qui étaient un lieu repoussant et dangereux, sont devenues une destination pour le repos et la détente. De l’autre côté, en contrebas de Bab El Oued, les plages artificielles et les esplanades d’El Kettani ont été créées pour offrir des espaces aérés qui permettent aux familles de sortir de l’atmosphère confinée de leurs quartiers densément peuplés. Récemment, les Algérois et les visiteurs de la capitale ont vite fait d’occuper les esplanades ouvertes pour la villégiature, au port d’Alger, près de la place des Martyrs. Ces réalisations post-indépendance qui s’ajoutent au Jardin d’Essais et aux forêts urbaines qui entourent Alger, sauvent l’honneur de la capitale longtemps terni par le triptyque bruit-saleté-pollution de l’air. Encore faut-il en prendre soin de ces infrastructures et entretenir leur vocation écologique : propreté, calme, pas de bruit, air pur.
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du lundi 5 février 2024.
Photo du haut : la plage El Kettani, avec au fond, à droite, la basilique Notre Dame d’Afrique © M’hamed Rebah