Etats Généraux des agricultures alternatives : on change de cap ?

Les 3 et 4 février 2024, l’association Renaissance Joigny organisait la 3e édition des Etats Généraux des agricultures alternatives. L’occasion de réunir au cœur de la petite ville bourguignonne le grand public et le monde agricole autour d’une épineuse question : comment faire vivre une agriculture de qualité, locale, résiliente et qui prend soin des agriculteur-ices ?

par Claire Robert

Le hall de la salle Claude-Debussy s’était transformé en petite ruche : stands de producteurs (Jardin des Thorains, La Jovinienne), libraire (Au saut du livre), acteurs locaux (La Cagnole, CPIE Yonne Nièvre, Terre de liens, Réseau Rares). Tables rondes et film étaient au programme du vendredi, le tout animé par la bonne humeur d’Eric Lenoir, pépiniériste atypique et auteur des fameux Petit et Grand Traités du jardin punk.

Dans le hall de la salle Claude-Debussy lors des Etats généraux des agricultures alternatives, à Joigny (Yonne) les 3 et 4 février 2024, les bons produits proposés par la Jovinienne, conserverie bio, locale et artisanale, installée à Saint-Julien-du-Sault © Claire Robert

Agriculture industrielle : un état des lieux alarmant

Le constat est accablant pour l’agriculture industrielle, prisonnière de la PAC : baisse des rendements, pollution des sols et des rivières, destruction de la biodiversité, maladies professionnelles, etc. « Une récente étude de l’Inserm atteste des effets délétères des pesticides agricoles sur la santé humaine », affirme Eric Lenoir. Un tableau bien sombre auquel s’ajoute la débandade des dernières manifestations. « Je me suis réveillé avec la gueule de bois », confie un agriculteur dans la salle. Et Marc Dufumier, agronome et spécialiste des systèmes agraires, d’enfoncer le clou : « Si l’on soustrait ce qui est produit à l’hectare et ce qui est détruit sur la même surface, on obtient une valeur ajoutée minable, le tout pour un « revenu disponible » de misère. Propriétaires d’énormes tracteurs, endettés jusqu’au cou, les agriculteurs vivent pauvres et meurent riches », ironise l’agronome. Un revenu décent, c’est bien ce qui fait défaut à de nombreux agriculteurs désespérés. Et c’est bien pour les accompagner que Philippe Bourgeois est bénévole au sein de l’association Solidarité paysans.

Un modèle obsolète et dangereux

L’agriculture est aujourd’hui prisonnière d’un processus enclenché à la fin des années 1980 avec la mise en place du GATT et de l’OMC. Soumise au libre échange, elle est dans une situation intenable qui génère dumping social et concurrence déloyale. « Victime de la logique néolibérale, l’agriculture doit faire face à de multiples dangers : la toute puissance de l’agro-business, le rachat des terres par les multinationales, le réchauffement climatique », analyse Jacques Caplat, agronome et anthropologue, fils de paysan et défenseur des semences paysannes.

Et les citoyens dans tout ça ?

« Le citoyen doit coopérer avec celui qui produit la nourriture », affirme Véronique Guislain, présidente de Terre de Liens Bourgogne. Tout le monde s’accorde là-dessus : le consommateur doit transformer ses pratiques alimentaires et se tourner vers des produits durables et responsables. Mais comment faire quand la part du budget consacrée à l’alimentation est passée de 36 à 18 % et que, par ailleurs celui du logement a été multiplié par trois, sans parler de l’énergie ? Les écoles de formations doivent également être interrogées, souligne l’agronome et viticultrice Marie-Océane Fekairi, qui a enseigné dans un lycée agricole auxerrois. Pour elle, l’éducation populaire passe aussi par l’accompagnement des publics et des exploitants agricoles à la tête d’immenses propriétés.

Une moisson de solutions

Les initiatives ne manquent pas en France, à l’image de la filière comté du Jura. Véronique Guislain raconte comment la coopérative a réussi à imposer son cahier des charges et à encadrer les prix. Le secteur est florissant, même si les pollutions aquatiques demeurent problématiques. A Saints-en-Puisaye, Henry Ragon, éleveur producteur laitier, témoigne lui aussi de sa démarche. En s’engageant avec la marque « C’est qui le patron ? », il a retrouvé des revenus corrects, un sens à son travail et le sourire. Pour celui qui est à la tête d’une GAEC de 200 hectares, « tout devient possible à partir du moment où on gagne un revenu décent ».

Autre initiative intéressante, celle de Guy Michel Desmartin, agriculteur et membre du Ruban vert. Dans sa région, il a mis en place un outil original : Le Sem’obord. Ce semoir permet de fleurir les bords des champs, d’apporter de la beauté au paysage et de sanctuariser des parcelles de biodiversité. De son côté, Christelle Garnier, paysanne bio à la Ferté-Loupière, propose de relocaliser l’alimentation, la santé, l’énergie. De ce point de vue, élus et collectivités ont un rôle à jouer, à l’image du maire de Béon qui a décidé d’exonérer les agriculteurs en bio de la taxe foncière, de créer une cuisine centrale, d’acheter local et d’installer sur sa commune des producteurs et maraîchers.

Des modèles inspirants

Constatant la baisse de fertilité et de rendement dans ses champs, Thierry Desvaux, paysan agriculteur dans l’Yonne, a opté  en 2010 pour l’agriculture de conservation. Depuis, il ne l’a plus jamais quittée. Son expérience a de quoi redonner du baume au cœur à tous les agriculteurs en quête de changement. Tout comme le film Le chemin des coquelicots de Chantal Notté. La réalisatrice a suivi Michel Leclercq, agriculteur dans la région de Tournai en Belgique, dans sa récente conversion à l’agriculture biologique. Un changement impulsé par l’installation de sa nièce Sophie Cailliau, dynamique maraîchère. En quelques saisons, une belle synergie est née à la ferme avec la création d’une guinguette, d’une boutique et de six équivalents temps plein. Une aventure, saluée par le public de Joigny à l’issue de la projection, et qui a donné lieu à d’émouvants témoignages. Pour Michel Leclercq, le changement est désormais inéluctable : « On n’a plus le choix et on n’a plus le temps », résume-t-il. Un changement de cap qui doit se faire à toutes les échelles, collectives et individuelles, et qui rejoint l’amusante devise de Jacques Caplat : « Conjuguer les grands soirs avec les petits matins ».

Joigny, c’est où ça ?
Joigny est une ville de près de 10.000 habitants située dans l’Yonne, en Bourgogne. Depuis quelques années, il s’y passe des choses inattendues et inspirantes : ceinture de vergers autour de la ville, fournisseur d’accès Internet coopératif, AMAP, Repair Café, fablab, tiers-lieu la Caserne Bascule…

 

Photo du haut :de gauche à droite, Chantal Notté, Sophie Cailliau, Eric Lenoir et Michel Leclercq. Chantal  Michel  et Sophie sont venus de Belgique pour la projection à Joigny de leur film Le Chemin des coquelicots © Claire Robert