Les vers de terre sont frappés de disparition des sols agricoles, la communauté scientifique ne cesse d’alerter. Trois études chocs en 2023, une première, avec l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) en tête de pont, montrent que les pesticides affaiblissent dangereusement les populations des champs cultivés. Mais l’État reste inflexible et ne veut pas savoir.
par Christophe Gatineau
Ils vont finir par avoir leur peau
Coup de tonnerre la semaine dernière, en coupant la tête de ce grand ministère de la Transition écologique et énergétique, le gouvernement de Gabriel Attal offre une carte blanche à la puissance industrielle. Concrètement, la voix de la planète et des écosystèmes sera désormais absente des grandes décisions sur la politique énergétique. Au revoir l’écologie et l’agroécologie, l’énergie est passée cette semaine sous la coupe du ministre de l’Économie, c’est un basculement considérable.
Mais ce bouleversement soudain touche aussi l’agriculture, puisqu’aujourd’hui de nombreux d’exploitants agricoles ont la double casquette, puisqu’ils produisent aussi de l’énergie : gaz et électricité. Pour eux, comme pour leurs fournisseurs de semences, d’engrais chimiques et de pesticides, ce sera moins de contraintes environnementales et plus de liberté.
Une bouffée d’air qui bénéficiera également aux industriels des énergies fossiles, de l’éolien, du nucléaire ou des champs solaires, l’énergie primant sur l’écologie au nom de la souveraineté énergétique. Or, séparer l’énergie de l’écologie revient aussi à la séparer des terres nourricières, à l’heure où les énergies issues de la biomasse sont en plein essor ! Des énergies issues de cette partie du sol d’où provient notre alimentation et où habitent les vers de terre.
Il y a un avant et un après
La disparition des vers de terre débute avec l’arrivée de la chimie dans l’agriculture. Avant, tous les agriculteurs nourrissaient de facto la vie dans leurs sols, puis les engrais chimiques ont pris le relais, favorisant la pratique des sols nus, l’érosion et la destruction de l’habitat des vers de terre. Une chimie également à l’origine de la disparition des oiseaux comme le suggère cette synthèse de 37 ans de données scientifiques puisées dans 28 pays européens, une méta-analyse réalisée conjointement par le CNRS, l’université de Montpellier et le Muséum national d’histoire naturelle. Publiée le 15 mai 2023, elle désigne l’intensification agricole comme la première cause de la disparition des oiseaux en Europe, et le réchauffement climatique comme la seconde. L’intensification est basée sur un usage accru de la chimie ! Et qui décide d’intensifier ? L’État !
Outre l’intoxication directe par les pesticides, beaucoup d’oiseaux se nourrissent de vers de terre, alors même qu’ils accumulent les pesticides dans les chairs. En 2022, une expertise scientifique INRAE-Ifremer pointait « que l’ensemble des milieux terrestres, aquatiques et marins – notamment côtiers – sont contaminés par les produits phytopharmaceutiques ». Plus le temps passe, plus ces produits s’accumulent dans la nature, une expertise qui confirme la vaste étude publiée l’année précédente et qui signalait déjà que 92 % des vers de terre étaient contaminés par au moins un pesticide en France … et qu’un sur trois était infecté par 5 pesticides et plus ! En 2022, une autre étude prouvait « une forte bioaccumulation de glyphosate dans les vers de terre ».
2023 : trois études chocs !
Mai 2023. Conduite par l’INRAE et l’université de Bordeaux, une étude inédite révèle une persistance inattendue de certains pesticides dans les sols. Une persistance bien supérieure à leur temps de dégradation théorique… et à des concentrations bien supérieures à celles prévues en théorie. Quarante-sept sites étudiés, entre 2019 et 2021, et 111 substances recherchées : « Au total, 67 molécules différentes ont été retrouvées, majoritairement des fongicides et des herbicides. Les parcelles de grandes cultures sont les plus contaminées, avec jusqu’à 33 substances différentes retrouvées dans un seul site, et une moyenne de 15 molécules dans les sols ». (Extrait du communiqué de presse de l’INRAE). Également inattendus, les 32 pesticides retrouvés là où ils n’ont jamais été mis… à l’instar des sols forestiers.
Juin 2023. Aucune synthèse n’avait été jusqu’alors publiée pour quantifier l’impact réel des pesticides sur la faune du sol dans des conditions naturelles. Et la faune qui domine sous la terre, ce sont les vers de terre. Une méta-analyse où les auteurs passent au peigne fin toute la littérature scientifique sur le sujet depuis 1990. Léa Beaumelle, principale auteure : « En compilant les résultats de nombreuses études, nous avons montré que les pesticides réduisaient la diversité et l’abondance de la faune du sol. Ils représentent donc une menace non négligeable. » (Beaumelle et al., 2023)
Décembre 2023. Une étude conjointe de l’INRAE et de l’Université de Wageningue aux Pays-Bas démontre que le processus d’évaluation des risques des pesticides est inadapté pour prévenir des menaces futures sur la biodiversité. À une heure où elle s’effondre, les chercheuses suggèrent aux autorités de moderniser de toute urgence les modalités de mise sur le marché afin d’éviter de possibles sous-estimations des risques. L’étude s’appuie sur une intoxication des vers de terre.
En résumé, d’un côté, l’État encense les vers de terre, et de l’autre, il leur tourne le dos. Mais la semaine dernière, il a franchi un nouveau cap en préférant faire confiance à l’industrie et à la technologie plutôt qu’à la terre nourricière ; il a préféré faire confiance à la bourse plutôt qu’aux bouses de vers de terre, un choix non durable qui engage notre civilisation dans une impasse.