En juillet 2024, dans le Marais poitevin, la lutte contre les bassines agricoles prendra une dimension qui devrait largement dépasser (on peut rêver) la tenue des Jeux olympiques de Paris, avec une rencontre mondiale contre les bassines agricoles et l’accaparement de l’eau, pour la défense de l’eau, « bien commun planétaire » (1) ! Auparavant, petit rappel (non exhaustif) sur l’évolution de la lutte et la manière dont ont été instaurés les projets de bassines en Poitou-Charentes (2) pour mieux comprendre le comportement d’un État prêt à tout pour imposer ses règles auprès d’une population tout en laissant croire que la démocratie aurait été respectée…
par Pierre Grillet
Historique succinct et très résumé de la méthode étatique et de la lutte
2017-2018 : où comment ignorer les avis des citoyens
Si les premières grandes bassines, localement, ont vu le jour en Vendée depuis une quinzaine d’années, c’est en 2017 que la lutte s’est véritablement organisée en Poitou-Charentes et n’a cessé de monter en puissance. Tout est parti d’un énorme projet de construction de 19 bassines en Deux-Sèvres autour du bassin de la Sèvre niortaise et du Mignon, impactant directement le Marais poitevin.
En février-mars 2017, une enquête publique est ouverte : plus de 70% des avis fortement argumentés sont négatifs. Les commissaires enquêteurs donnent malgré tout un avis favorable sans aucune réserve ! L’arrêté interpréfectoral (la Vienne et la Charente-Maritime sont également concernés) est validé le 23 octobre 2017. Fin 2017, l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne accorde 28 millions d’euros pour le projet.
2018 : l’année du fameux « protocole d’accord » ou « réunion de médiation » mis en place par la préfète
Devant la montée de la contestation, la préfète des Deux-Sèvres décide de réunir les agriculteurs irrigants et promoteurs des bassines, leurs syndicats, les associations de protection de l’environnement, dont le collectif BNM (Bassines Non merci), bref, l’ensemble des acteurs identifiés autour de cette question afin de discuter non pas autour du bien-fondé ou non d’un tel outil, mais bien pour faire accepter le projet en l’habillant un peu de vert. BNM est d’ailleurs rapidement exclu des discussions. Le projet est revu très légèrement à la baisse (16 bassines au lieu de 19), accompagné d’un « protocole d’accord » prévoyant des engagements sans contraintes ni réelles garanties, en matière de pratiques plus respectueuses de la part des agriculteurs usagers de ces bassines. Ce « protocole » est finalement signé en décembre 2018. La Confédération paysanne refuse de s’y associer, mais Deux Sèvres Nature Environnement, membre de France Nature Environnement, accepte de le signer, considérant cet accord comme bénéfique pour l’environnement… Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres, n’hésite pas à en faire l’éloge et tente de convaincre d’une avancée historique qui permettra le développement de l’agro-écologie tout en dénigrant BNM (3)… Le gouvernement se saisit alors de l’opportunité pour faire croire à une démarche exemplaire, un « consensus » qu’il conviendra de reproduire partout sur le territoire national où la question des bassines se posera… Delphine Batho retirera son soutien en 2020, estimant que les agriculteurs concernés ne s’engagent pas suffisamment vers l’agro-écologie ! Puis ce sera au tour de Deux-Sèvres Nature Environnement de se retirer sous la pression de ses adhérents (qui n’avaient pas été consultés lors de la signature !). Le responsable scientifique Vincent Bretagnolle, déclare à son tour en mars 2023 concernant les objectifs de réduction des pesticides : « On est loin du compte »… Ce « protocole » n’aura servi qu’à faire passer un projet décrié.
De 2017 à 2023, six années de luttes, manifestations, recours juridiques et répressions…méga-
En novembre 2017, 1500 personnes à Amuré (Deux-Sèvres) ont permis de former une immense chaîne humaine autour d’un projet de bassines de… 18 ha. En octobre 2020, 5000 personnes se réunissaient pour contester le projet à Epannes (Deux-Sèvres) en présence notamment de Jean-Luc Mélenchon, Mathilde Panot, Loïc Prud’homme, Philippe Poutou, Yannick Jadot et José Bové… Ce dernier cité adoptera par la suite des positions politiques très contradictoires (4) … C’est en septembre 2021, après le démarrage du premier chantier de bassine à Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres) et malgré les moult manifestations et recours toujours ignorés par la préfecture que des actions de désobéissance ont vu le jour avec, en point d’orgue, celle du 6 novembre ,où plus de 3000 personnes ont envahi une bassine illégale pour la démonter à Cram-Chaban (Charente-Maritime) suite à l’appel de BNM, la LPO France, la Confédération Paysanne et les Soulèvements de la terre… Mars 2022, ce sont plus de 7000 personnes qui se réunissent pendant trois jours dans le cadre du printemps maraichin. Au cours de ces journées, des canalisations destinées à une future bassine sont démontées. Fin octobre 2022, se déroule une grande manifestation à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre l’un des plus grands projets de bassines. Malgré l’interdiction par la préfecture et ses multiples intimidations, ce sont plus de 7000 personnes qui se retrouvent et pour certaines, parviennent à pénétrer sur le site en chantier. La répression est brutale et fera de nombreux blessés (5). Suite à cette manifestation, Gérald Darmanin parlera d’écoterroristes concernant les manifestants… Signal d’une future répression visant à criminaliser les défenseurs de l’eau, commencée bien avant Sainte Soline mais qui ne fera que s’accentuer depuis…
Des membres de BNM sont espionnés par la police (caméras cachées, traceurs GPS…), certains sont convoqués par les gendarmes, mis en gardes à vue, inculpés,… Les tribunaux prononcent des peines avec ou sans sursis, des interdictions de séjour dans tel ou tel territoire pour plusieurs années, des représentants syndicaux sont eux aussi inquiétés… Un militant est violemment agressé par des inconnus en rentrant chez lui. En Charente-Maritime, c’est la maison d’un militant qui est assaillie par des membres de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs (J.A.) ! Les contrôles « préventifs » lors de chaque manifestation se multiplient (fichage des personnes contrôlées, fouilles des véhicules, …), la préfète met en place des zones strictement interdites d’accès, mobilise un nombre impressionnant de forces de l’ordre suréquipées, les hélicoptères font désormais partie de l’environnement sonore de chaque mouvement de protestation… Une association de protection de l’eau (l’APIEEE) a même été privée d’une partie de ses subventions à cause de son engagement contre les méga-bassines. Mars 2023, la deuxième grande manifestation contre la bassine de Sainte-Soline, interdite, rassemble néanmoins 30 000 personnes décidées à se rendre vers la bassine défendue par plusieurs milliers de gendarmes très lourdement armés. Les armes de guerre utilisées (malgré les mensonges du ministre de l’Intérieur) feront beaucoup de dégâts : plus de 200 blessés, une vingtaine de personnes avec leur pronostic fonctionnel engagé, trois personnes dont le pronostic vital était engagé (6). Sans oublier la volonté gouvernementale de dissolution du collectif les Soulèvements de la Terre, annulée par le Conseil d’État… En août 2023, ce sont 800 à 1000 personnes qui participent pendant 10 journées au convoi de l’eau de Sainte-Soline (Lezay) à Orléans, siège de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne qui finance pour partie les projets de bassine. Un convoi de vélos remarquablement organisé (sous forte chaleur), sans violences, familial et festif, avec chaque soir des étapes préparées par des centaines de bénévoles sur des lieux en lutte… L’objectif étant d’arriver à Orléans pour y rencontrer les membres de l’Agence de l’Eau et demander l’application d’un moratoire sur les bassines. La réponse est sans ambiguïté : le jour même de la réunion, comme par provocation, la préfecture annonce le début de la construction d’une nouvelle bassine à Priaires (dont le chantier sera suspendu par la justice, suite au recours d’une association, quelques semaines plus tard en raison d’un conflit d’intérêts…)… La lutte ne cesse de s’étendre à travers tout le territoire national, y compris en montagne, où les retenues d’eau se multiplient pour fabriquer de la neige artificielle ! Les opposants contestent également la légalité de certains arrêtés préfectoraux (dont celui autorisant les 16 bassines en 79) : sur la douzaine de recours juridiques déposés contre tel ou tel projet de bassines, au moins 6 ont été gagnés et de nombreux autres sont encore en instance…
Contrairement aux affirmations gouvernementales, les recours auprès de la justice ne sont pas du tout épuisés… Et mardi 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Poitiers confirmait l’annulation des deux arrêtés préfectoraux portant sur la création et l’exploitation de 6 méga-bassines de la Pallu en Vienne et de 9 méga-bassines de l’Aume Couture (dont 7 en Charente et 2 en Deux-Sèvres) suite à la plainte portée par Poitou-Charentes Nature, l’UFC, la LPO, la Confédération paysanne et l’Association de protection et avenir du Patrimoine en Pays d’Aigre et en Nord Charente (APAPPA)…
Des scientifiques qui contestent le bien-fondé des bassines
En avril 2022, le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) publiait une étude réalisée à la demande de la Société coopérative anonyme de l’eau des Deux-Sèvres (ou Coop de l’eau), porteur du projet des 16 bassines… Le BRGM a ainsi et selon ses propres mots « simulé l’impact du projet sur les eaux souterraines et sur les cours d’eau ». Selon cette étude, les prélèvements hivernaux réalisés pour remplir les bassines n’auraient qu’un impact négligeable sur les nappes phréatiques et les cours d’eau, voire même un impact positif. Une conclusion qui fit le bonheur de la Coop de l’eau, du gouvernement et reprise dans toute la presse… Pourtant, une chercheuse, autrice d’une thèse en hydrologie et géologie, Anne-Morwenn Pastier, réalisait en 2023, à la demande du collectif BNM, une contre-expertise (7) aux conclusions sans appel : l’étude du BRGM est « bâclée » avec une présentation des résultats « peu rigoureuse ». Parmi les nombreuses critiques adressées, l’utilisation d’un modèle non adapté à l’échelle de l’étude, des niveaux de crue et d’étiage mal estimés et l’absence de prise en compte du changement climatique. Le BRGM finira par reconnaître les biais et ira jusqu’à regretter une utilisation exagérée de son rapport par les commanditaires… Magali Reghezza, géographe et membre du Haut conseil pour le climat (HCC) ainsi que Florence Habets, directrice de recherche au CNRS en hydrométéorologie, parlent de « maladaptation » concernant les bassines et précisent dans la conclusion d’un article commun : « On traite les symptômes (pénurie d’eau) au lieu de s’attaquer à l’origine du problème (déséquilibre entre les besoins et la disponibilité de la ressource) à ses racines (pratiques, usages, partage) » (8). Les hydrologues Emma Haziza et Jonathan Schuite, ou encore Christian Amblard, directeur honoraire de recherche au CNRS, spécialiste des écosystèmes aquatiques et signataire de la tribune des Scientifiques en rébellion : « les mégabassines sont une maladptation aux sécheresses et aux enjeux agricoles » (9), sont ouvertement opposés au développement des bassines…
Juillet 2024 : un grand rassemblent mondial pour la défense de l’eau …
Plus que jamais, la lutte continue en 2024. La mobilisation citoyenne sans cesse croissante depuis plus de six années démontre à elle seule la nécessité pour l’État d’un changement total de stratégie. Oublier l’autoritarisme dont il fait preuve au profit d’une vraie discussion avec l’ensemble des citoyens afin de permettre cette fois un débat pour engager des réflexions profondes, réellement démocratiques, concernant les usages de l’eau et son partage, ainsi que sur les orientations agricoles… Un tel changement passe obligatoirement par l’instauration d’un moratoire, comme cela a été officiellement soumis par le groupe LFI à l’Assemblée nationale en fin d’année 2023. La Confédération paysanne, un important syndicat agricole défenseur des petits paysans et d’une agriculture non industrielle, est pleinement engagé dans cette lutte. De nombreuses actions non programmées pour le moment sont à prévoir entre janvier et juillet 2024 et le mieux est de s’informer régulièrement sur le site de BNM.
D’ores et déjà, une date est à inscrire sur tous les agendas des JNE motivés : il s’agit d’un grand rassemblement international pour la défense de l’eau du 14 au 19 juillet dans le Marais poitevin, avec un temps fort de mobilisation prévu les 20 et 21 juillet au même endroit. Moments de réflexions, d’échanges, de soutien aux luttes engagées dans d’autres régions et d’autres pays et de combat contre un modèle agricole industriel productiviste et accapareur aujourd’hui obsolète. Moment fort destiné à imposer enfin ce moratoire sur les bassines et présenté ainsi sur les sites de BNM et des Soulèvements de la terre : « Préparez-vous dès maintenant à revenir en masse autour de la Venise verte en péril du Marais Poitevin, des étendues agricoles épuisées du Poitou, mais aussi de ses multiples repères et terres toujours fertiles. Préparez-vous à faire fleuve, par équipes, par rivières et par bassins versants. Car fin juillet prochain, alors que les regards du monde entier se porteront sur le démarrage des Jeux Olympiques à Paris, il s’agira de nous allier pour remporter la plus essentielle des épreuves : trouver les gestes communs pour que l’eau soit enfin protégée dans ce pays et partout ailleurs ». Peut-être l’occasion pour les JNE d’organiser un séjour à l’intention des journalistes adhérents qui souhaiteraient couvrir cette grande olympiade anti-bassines ?
Ce texte a été relu par Laury Gingreau, Mélissa Gingreau et Philippe Véniel, du collectif BNM. Ces trois personnes animent un site très documenté autour des relations entre humains et entre humains et non humains. Une véritable source de multiples informations pour les journalistes (entre autres) : https://boisseliere79.wixsite.com/monsite/contact
Pour tout savoir sur les bassines, leurs dimensions, les volumes d’eau concernés, leur fonctionnement et leurs impacts, vous pouvez consulter le fichier réalisé par BNM : https://bassinesnonmerci.fr/index.php/les-bassines-cest-quoi/ et/ou le guide anti-bassines de Noël.
(1) « L’eau est indivisible, c’est un bien commun planétaire ». Riccardo Petrella. https://youtu.be/FeiuwmEUw_8?si=dGXKDKs_FCZ1BS2j
(2) Il est possible de consulter un historique très détaillé et documenté sur le site de Bassines Non Merci.
(3) La députée des Deux-Sèvres, parmi les propos tenus lors de la signature de ce protocole, avait aussi déclaré que BNM était un « groupuscule à dérive totalitaire » !
(4) José Bové apportera en effet un soutien inattendu en 2021 auprès d’Alain Rousset, président socialiste de la Nouvelle Aquitaine… au prétexte qu’il serait, selon José Bové, « le candidat qui a l’ambition de mobiliser rapidement le plus d’entreprises et le plus d’exploitations agricoles, vers une transition écologique ». Pourtant, Alain Rousset s’est ouvertement prononcé en 2022 pour les bassines. Et il n’a jamais fait preuve d’un réel et authentique engagement écologiste.
https://www.sudouest.fr/elections/regionales/elections-regionales-jose-bove-soutient-alain-rousset-3797599.php
https://www.charentelibre.fr/politique/nouvelle-aquitaine/video-pour-les-regionales-jose-bove-ex-eurodepute-vert-soutient-alain-rousset-5984029.php
https://www.lanouvellerepublique.fr/vienne/nouvelle-aquitaine-alain-rousset-se-positionne-en-faveur-des-bassines
(5) Mgr Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, s’est exprimé suite à la manifestation de Sainte- Soline : il déplore que « des agriculteurs poursuivent un modèle qui a été encouragé, et qui l’est encore par des directives politiques et des aides financières ». Dans son texte publié par La Croix, il critique le système des bassines « qui privatise ce qui est un bien commun, avec le soutien de fonds publics » et dont le « dérèglement climatique met en cause la viabilité ». « Il n’y avait pas que des violences à Sainte-Soline, loin s’en faut, écrit l’archevêque de Poitiers. Il est désormais impératif que tout soit mis en œuvre pour que cela soit soutenu. »
(6) Un groupe des JNE était présent lors de ces journées.
(8) Magali Reghezza & Florence Habets. 2022 (25 août, mis à jour en mars 2023). « Les méga-bassines sont-elles des solutions viables face aux sécheresses ? ». Bon Pote. https://bonpote.com/les-mega-bassines-sont-elles-des-solutions-viables-face-aux-secheresses/