Peut-on dissocier l’écologie du mouvement politique qui prétend la porter ? Olivier Blond (1), le conseiller de Valérie Pécresse, l’affirme : « L’écologie n’appartient ni à la gauche ni à la droite ». Autrement dit, l’écologie (2) pourrait figurer dans tous les programmes de partis, quelle que soit leur conception de la société et leur idéologie. L’écologie est un mot passe partout et chacun y met la définition qui l’arrange. On peut y mettre, a minima, deux conceptions totalement différentes : l’une très environnementaliste qui prône des mesures réelles mais superficielles presque automatiquement soumises à ce fameux « effet rebond » (3) et l’autre plus sociétale visant une sobriété nécessitant alors un changement réel de mode de vie.
par Pierre Grillet (*)
Ainsi, les partis politiques qui défendent « un cadre néolibéral » (4) obligatoirement vecteur d’inégalités, d’exploitation, d’oppression peuvent parfaitement intégrer quelques préoccupations environnementales sans remettre en cause la croissance et la surconsommation. Ils font de l’écologie un simple outil de communication sur la base de quelques réformes dont l’efficacité est quasi nulle.
Ces partis qui, les uns après les autres, ne cessent de proclamer leur intérêt pour l’écologie mais qui ne veulent rien changer, sont pour l’essentiel classés à droite. Une droite qu’il nous faut élargir aux socialistes qui ont fait la preuve, lors de leurs différentes accessions au pouvoir (François Mitterrand, 14 années de présidence, dont deux sous la forme d’une cohabitation, puis Lionel Jospin en tant que Premier ministre pendant 5 années et François Hollande, président pendant 5 années), de leur attachement à ce fameux cadre qui lie les forces de droite. Il faut bien l’admettre : ces soi-disant « alternances démocratiques » n’ont rien (ou très peu) changé pour la société. Depuis 1981, c’est-à-dire en 42 années, le parti socialiste aura donc gouverné 24 ans (22 ans si on enlève la cohabitation entre Mitterrand et Chirac entre 1986 et 1988), soit plus que la droite classique… Pour quels résultats ? Quelle écologie ? Quelle société ?
Cette droite a su dompter en partie certaines préoccupations environnementales sans renier ses objectifs néolibéraux et toutes leurs conséquences négatives sur le vivant. Ainsi, la création des parcs nationaux et celles des parcs naturels régionaux. « Les lois sur les études d’impact – et les espèces protégées, dite loi sur la protection de la nature – (1976) (5), les déchets (1975), les installations classées (1976 et 1992), l’eau (1964 et 1992), l’air (1996), et la charte de l’environnement inscrite dans la Constitution (2004) ont toutes été votées par des majorités généralement très allergiques à l’écologie », mais totalement en phase avec cette domination des « marchés », expliquait Corinne Lepage dans une tribune au journal Libération en 2014 (6). Corinne Lepage disait à propos de Jacques Chirac : « ll fut le Premier ministre des grandes lois environnementales de 1975 et 1976 »… (7) Pourtant, après avoir été elle-même ministre de l’Environnement pendant deux années (1995 à 1997), Corinne Lepage écrivait un livre au titre évocateur : On ne peut rien faire, Madame le ministre…
Sous les mandats de François Mitterrand on relève, outre l’abandon de l’extension du terrain militaire du Larzac, l’instauration de la loi littoral votée en 1985 et une loi sur l’eau en 1992. Les Grenelles de l’environnement ont été mis en place en 2007 à l’initiative et sous la présidence de Nicolas Sarkozy (8). Ils ont débouché sur les « loi Grenelle » en 2009 et 2010 qui sont probablement le point d’orgue de cette droite qui voudrait se montrer écologiste (9). Une belle tartuferie entérinée par Nicolas Sarkozy lui-même lorsqu’il aura l’occasion de déclarer en 2010 : « Je voudrais dire un mot de toutes ces questions d’environnement, parce que là aussi ça commence à bien faire » (10). Sous François Hollande, c’est au tour de Delphine Batho, qui fut ministre de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie, puis limogée un an plus tard, d’écrire un livre Insoumise, pour souligner la connivence entre le sommet de l’État et les lobbies et puissances financières que la « gauche » était pourtant censée combattre. Avec Emmanuel Macron, à son tour président en 2017, Nicolas Hulot est nommé ministre de la Transition écologique et solidaire. Un peu plus d’une année plus tard, Hulot démissionne brutalement en déclarant que « l’écologie n’est pas une priorité du gouvernement » et que les lobbies sont trop puissants.
La tentation est forte de laisser croire que l’écologie, l’environnement, la prise en compte du vivant pourraient être présents dans tous les courants politiques et même liés très fortement aux soutiens financiers des plus brillants destructeurs capitalistes du vivant… En 2023, presque toutes les multinationales destructrices du vivant s’engagent dans l’écologie et soutiennent des associations environnementales. Il suffit de consulter leurs sites internet…
Certes, des mesures ont permis le retour de certaines espèces suite à leur protection (loi de 1976), la conservation de quelques milieux qualifiés de « naturels », des actions permettant de limiter certains effets négatifs comme on entend souvent dans les milieux écolos et il ne s’agit pas de nier ces aspects bien réels. Mais qu’ont-elles changé en profondeur ? Ont-elles été radicales, c’est-à-dire ont-elles permis de résoudre les problèmes à la racine ? Ou au contraire, ont-elles permis, même involontairement, de contribuer au renforcement des actions néfastes pour le vivant ? Lorsque ce sont celles et ceux qui profitent du système inégalitaire, capitaliste, consommateur et destructeur qui décident des mesures qui vont être mises en œuvre pour réduire leurs impacts, que peut-on en attendre ? Ces mesures permettent de laisser croire auprès de l’opinion publique que les enjeux identifiés seraient bien pris en compte, ce qui est faux pour le moment. Elles permettent donc, avant tout, de continuer comme avant, le fameux « business as usual » … Au niveau européen, le « Green New Deal » en est une parfaite illustration !
Le résultat est là : en 1992, à l’issue du Sommet de la Terre à Rio, 1700 chercheurs s’alarmaient de la « trajectoire de collision » entre les humains et le monde naturel. Vingt-cinq ans plus tard, en 2017, plus de 15000 scientifiques de 184 pays signaient un appel contre la dégradation catastrophique de l’environnement, affirmant que « pour éviter une misère généralisée et une perte catastrophique de biodiversité, l’humanité doit adopter une alternative plus durable écologiquement que la pratique qui est la sienne aujourd’hui ». Trois ans plus tard, en 2020, dans notre pays, ce sont plus de 1000 scientifiques qui nous disaient dans une tribune publiée dans le journal Le Monde : « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire… il faut des changements radicaux, sans quoi on va vers des événements catastrophiques ». Près de 80 % des insectes volants ont disparu au cours des trente dernières années dans les zones naturelles protégées allemandes – « un taux qui peut plausiblement être généralisé à l’ensemble de l’Europe, et sans doute au-delà » (11). Les effets du changement climatique sont de plus en plus visibles avec des conséquences désastreuses. En 2023, nous sommes confrontés à une situation d’urgence écologique. Qu’avons-nous fait au cours de ces six dernières décennies alors que la plupart des alertes étaient déjà connues ?
Il ne suffira pas « d’encadrer le capitalisme », comme le suggère Brice Lalonde (12). On ne peut pas parler d’écologie tout en incitant à toujours plus de consommation et en exploitant toujours plus les humains… C’est un leurre, une tromperie. Si nous persistons dans des formes de collaboration avec les décideurs actuels, nous ne parviendrons jamais à repenser nos relations avec l’ensemble du vivant humain et non humain. Si nous voulons obtenir de véritables changements, alors il faut revendiquer une véritable politique de gauche qui prenne en compte, à la fois le vivant non humain comme le vivant humain. Il faut une politique radicale pour des changements réels. Lors des dernières élections présidentielles, un seul parti a proposé un véritable programme allant dans ce sens, même si tout n’est pas parfait. Il s’agit de la France insoumise (13). Alors pourquoi ne pas travailler avec un tel mouvement pour en améliorer les propositions et prendre franchement parti pour celui-ci plutôt que de se laisser leurrer par des organisations pour qui l’essentiel est de paraître pour faire semblant ? Nous en avons la preuve après plus de 60 ans de lutte… Les générations actuelles qui se révoltent aujourd’hui contre l’inaction climatique, les désastres écologiques, les inégalités croissantes et une démocratie qui devient de plus en plus autoritaire choisissent des méthodes de lutte de plus en plus directes allant jusqu’à la désobéissance, prenant des risques accrus pour eux-mêmes. De quel droit pourrions-nous condamner leurs actions ? Nous sommes, nous aussi, responsables de la situation actuelle.
Le 25 novembre 2023.
* Pierre Grillet est l’auteur de Protection de la nature et capitalisme : incompatibles. Éditions Atlande (2021)
(1) Conseiller régional en Ile-de-France, délégué spécial à la santé environnementale et à la lutte contre la pollution de l’air. Ancien journaliste, auteur, militant écologiste, il enseigne la santé environnementale à l’Université catholique de Paris. Il dirige également un think tank, l’Institut Brunoy pour une écologie des solutions…
(2) Ce mot apparu en 1866, puis en français dès 1874, a été créé par Ernst Haeckel (1834-1919), qui fut un biologiste et philosophe allemand. Celui-ci définissait lui-même l’écologie comme étant « la science des relations des organismes avec le monde environnant ». Haeckel devint par la suite l’un des principaux idéologues germaniques du racisme et du nationalisme, membre de la Ligue Pangermanique, puis membre d’honneur de la Société pour l’Hygiène de la Race (Gesellschaft für Rassenhygiene) !
(3) « Changer un frigo pour un autre plus efficace – en terme énergétique – dans un mode de vie orienté vers le « toujours plus » de croissance et de consommation, conduit presque toujours à un effet rebond négatif, atténuant voire inversant le gain global attendu ». Lire l’article très complet sur ce concept de Fabrice Flipo. 2023 (24 novembre). « Efficacité, effet rebond, sobriété ». AOC. La citation est extraite de ce texte.
(4) C’est Frédéric Lordon qui parle de « cadre néolibéral » soutenu et défendu par les forces de droite.
(5) La loi sur la protection de la nature fut adoptée en 1976 sous Giscard d’Estaing. Mais ce politique, partisan de réconcilier écologie et économie, grand chasseur dans les ex colonies, fit adopter cette loi sous la contrainte associative très forte à ce moment-là et non par conviction personnelle !
(6) www.liberation.fr/france/2014/08/…/40-ans-d-ecologie-en-france_10843
(7) Corinne Lepage. 2019 (27 septembre) « Il fut le premier ministre des grandes lois environnementales de 1975 et 1976 ». Le Monde. https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/27/corinne-lepage-il-fut-le-premier-ministre-des-grandes-lois-environnementales-de-1975-et-1976_6013264_3232.html
8 « À ce stade-là, pour gagner une petite marge de manœuvre, on va mettre 18 sur 20 », disait Nicolas Hulot qualifiant Sarkozy de sincère sur ses engagements écologiques. La plupart des associations présentes lors des Grenelles en 2007 et notamment la Ligue pour la protection des oiseaux, par l’intermédiaire de son président Allain Bougrain Dubourg, ne se sont pas privées de déclarations élogieuses à l’égard de ce président de la République… « On a vécu quelque chose de tout à fait historique. Enfin on n’est plus dans le constat, on est dans la volonté d’action », déclarait-il en mai 2007 suite à une rencontre de préparation des Grenelles avec Sarkozy.
(9) La liste des différentes lois environnementales n’est en rien exhaustive. Celles qui sont citées, le sont à titre d’exemple.
(10) Certes, les Grenelles ont débouché sur des lois. Mais la phrase prononcée par Nicolas Sarkozy au Salon de l’agriculture en 2010 et les suites ont démontré toute l’inefficacité et la tromperie d’une telle démarche.
(11) « More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas ». Hallmann CA, Sorg M, Jongejans E, Siepel H, Hofland N, Schwan H, et al. (2017) PLoS ONE12(10). e0185809. https://doi.org/10.1371/journal
(12) Victor Cazale. 2021 (22 juillet). Brice Lalonde : « L’écologie ne doit pas être le monopole d’un parti ». Entreprendre. https://www.entreprendre.fr/brice-lalonde-ecologie-ne-doit-pas-etre-le-monopole-un-parti/
(13) La lecture effective et objective de tous les programmes politiques présentés lors des dernières élections ne laisse aucun doute. LFI est le seul parti à avoir traité en profondeur la question écologique. Même si plusieurs points appellent des précisions et des débats, refuser ce constat, c’est refuser tout changement réel de société pourtant indispensable pour éviter le pire.