Le Front national (NDLR : aujourd’hui rebaptisé Rassemblement national) est doté d’un « monsieur écologie », même si, pour le moment, ce parti ne considère pas encore l’écologie comme un thème central. Des courants plus ou moins proches, tout particulièrement au sein de la « Nouvelle droite », y réfléchissent et développent avec soin des idées semblables à celles que nous défendons depuis des décennies. L’idée d’écrire un texte sur ce sujet à l’intention des JNE fait suite à une conversation récente avec un grand ami écologiste, de ma génération, à qui je faisais part de mes inquiétudes. Nous évoquions cette Nouvelle droite qui sait parfaitement argumenter sans se découvrir et peut ainsi tromper nombre de personnes qui voudraient s’engager dans les combats pour la défense du vivant. À mon grand étonnement, celui-ci me répondit que, probablement, il nous faudra un jour, lutter avec eux… Une telle attitude est difficilement compréhensible car elle signifierait qu’on s’associe à leurs idées fondamentalement racistes, xénophobes, homophobes et identitaires, en les considérant comme secondaires ou que l’on choisisse de les ignorer … Cette tribune soutient l’idée que « l’écologie » ne peut en aucun cas être dissociée du mouvement politique qui prétend la porter.
par Pierre Grillet
Le Front national et l’écologie
En 2019, Marine le Pen mettait en avant le localisme, « une révolution de proximité, pierre angulaire de notre projet, cette révolution qui nous conduit à initier ce que Hervé Juvin appelle la civilisation écologique ». Hervé Juvin était, jusqu’à ces derniers temps, le monsieur écologie du FN (1). Cet ancien conseiller de Corinne Lepage, lorsqu’elle était ministre de l’Environnement, déclarait sur France Culture : « L’écologie, science des systèmes vivants complexes, devrait être la science de référence de tout projet politique ». Le 16 décembre 2019, Hervé Juvin écrivait à l’issue d’un débat organisé à Bruxelles : « L’uniformisation des modes de vie sur un modèle énergétivore — quel drame que la climatisation généralisée ! – est directement à l’origine des urgences environnementales.… Nos concitoyens sont de plus en nombreux à vouloir une alimentation saine, des chants d’oiseaux dans les jardins et des abeilles autour des fleurs, parce qu’ils sentent que le contact direct avec la nature… notre écologie politique rendra désirable ce qui est nécessaire, et qui peut être vital. Voilà pourquoi la science de l’écologie est la référence de nos choix politiques et économiques. Cette science enseigne d’abord que la diversité collective est un bien supérieur ; supérieur au développement, supérieur aux Droits individuels, supérieur à la démocratie libérale, parce qu’il est le trésor de l’humanité, un trésor que l’uniformisation détruit… Nous ne sommes pas des hommes hors sol, en orbite dans le virtuel, pas plus que des êtres artificiels, et c’est le lien avec la nature, un climat, une terre, qui nous libère et qui donne tout son sens à notre liberté politique » (2).
L’ensemble de ces extraits montre bien que même au sein du mouvement FN, on prend soin d’aborder la question écologique avec des mots choisis. On dénonce le libre-échange, les start-up, l’ultralibéralisme, les milliardaires, les marchés, la tendance à l’unification du monde, on revendique le local, l’alimentation saine, la diversité, les oiseaux, les abeilles, un lien fort avec la nature…
On peut en revanche assez facilement déceler toute l’idéologie d’une extrême droite nationaliste, identitaire et xénophobe en détaillant les écrits de monsieur Juvin. L’écologie nous « enseigne que tout écosystème durable doit sa stabilité à sa séparation d’avec les autres écosystèmes, ce que réalisent la frontière dans l’espace, l’identité dans le temps ». Alors que nombre de solutions face aux problèmes écologiques doivent au contraire largement dépasser les frontières et trouver des réponses internationales, les solutions écologiques, pour ce monsieur, sont « nationales et locales ». Il n’hésite pas non plus à faire un parallèle entre la lutte menée contre certaines espèces végétales et animales dites invasives et la lutte contre l’immigration : « Le grand problème d’un écosystème, ce sont les espèces invasives », décrit-il ainsi à l’AFP. « L’homme doit défendre son biotope contre les espèces invasives », donc contre les migrants. Il défend une « écologie des civilisations » louant les frontières contre ce qu’il appelle « les espèces invasives ». Celui pour qui les « nomades » ne sont que des pillards fut encensé par Marine le Pen qui n’hésitait pas à dire : « Un homme qui a une vraie vision, qui sait pertinemment où il va » ! (3)
Plus « écolo » que le Front National : la Nouvelle droite !
Apparue dès 1969 avec la fondation du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE), la Nouvelle droite regroupe des intellectuels engagés dans divers mouvements d’extrême droite. L’un de leurs chefs de file actuels, Alain de Benoist, passe, aux yeux de certains, pour un brillant intellectuel qui se démarque du Front National jugé par cet auteur comme dépourvu de réflexions et pensées : « À la tête du FN je crois qu’il y a un mépris total des idées… » (4). L’écrivain de la Nouvelle droite multiplie, depuis les années 80, les discours autour de la décroissance et de l’écologie. Cet intellectuel, défenseur de l’identité et la pureté de la civilisation européenne, est capable dans une même interview de citer des auteurs et philosophes qu’aucun écologiste de gauche ne renierait et qu’il a très probablement lu : les pensées de Günther Anders, d’Aldo Leopold, d’André Gorz, l’écologie profonde et biocentrique d’Arne Næss ou l’écocentrisme de John Baird Callicott, les textes de Jean Giono, Robert Hainard, Bernard Charbonneau, Jacques Ellul, Serge Latouche, les thèses défendues par les collapsologues comme Pablo Servigne et d’autres…
Une extrême droite qui tente de se rapprocher de certaines luttes écologistes…
En 2014, le journal Reporterre (5) alertait sur la récupération de l’écologie par certains mouvements d’extrême droite qui n’hésitaient pas à revendiquer leur soutien à des combats développés au sein de ZAD : « Des militants de Midi-Pyrénées du MAS (6) et de la revue Rébellion sont allés afficher leur soutien à la Z.A.D. de Sivens », confirme un des textes du mouvement. Parlant de Notre-Dame-des-Landes, l’article cite également une phrase émanant de ces groupes : « Il nous faut comprendre que ce combat est aussi et avant tout le nôtre. » Rébellion est une revue d’extrême droite créée en 2002. « Refusant la logique de destruction de la Nature au nom du profit, nous affirmons l’importance d’une prise de conscience écologique révolutionnaire. Nous sommes opposés à la déshumanisation de nos vies voulue par le marché au nom du « progrès », et combattons l’aliénation par la technique (rejet du transhumanisme et toutes formes de manipulation du vivant) ». Parmi les « penseurs » cités par la revue et impliqués dans des articles, on retrouve David L’Epée, un ancien proche d’Alain Soral, qui a participé à un colloque du Rassemblement national en janvier 2023 (7), ou encore Lucien Cerise (8), un grand admirateur d’Alain Soral (9)… Dans l’article de Reporterre, Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême-droite, explique : « Ils empruntent la phraséologie de l’anticapitalisme et de l’altermondialisme avec une forte mobilisation sur les enjeux de localisme et d’écologie… Ils ont tenté de développer des AMAP ou un village communautaire, mais sans grand succès. »
Force est de constater qu’un certain discours écologiste peut parfaitement se marier avec des personnes et groupes qui prônent la défense de la civilisation européenne contre les envahisseurs et considèrent que chacun serait lié par des racines propres à son lieu d’origine et qu’il devrait s’y sentir contraint et investit d’une mission visant à défendre ce territoire contre tout étranger susceptible de le remplacer… Les idées proches de concepts liés à la vie plus saine, à un corps plus sain, au végétarisme, au retour à la terre, étaient déjà très en vogue dans les milieux d’extrême droite à la fin du XIXe et au début du XXe siècle (10). Les promoteurs du bio en France juste après la Seconde Guerre mondiale, ont été également, pour certains, très proches des milieux collaborationnistes et réactionnaires.
Alors, doit-on ignorer les clivages politiques comme ils tentent systématiquement de le faire pour mieux attirer nombre de sympathisants dans leurs rangs ? Faut-il collaborer avec ces personnes et groupements au seul prétexte qu’ils tiendraient des discours écologistes peu éloignés des nôtres au final ?
Le terreau pour l’écofascisme ?
L’écofascisme en constitue l’aspect le plus extrême, même si ce terme est rarement revendiqué par celles et ceux qui en sont les vecteurs, car il peut aussi se traduire par des actes terribles qui visent à détruire des vies au prétexte de sauver le monde. Brenton Tarrant, en 2019, abattait en Nouvelle Zélande 51 personnes dans deux mosquées en se revendiquant écofasciste « L’immigration et le réchauffement climatique sont deux faces du même problème… tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation et ainsi sauver l’environnement » (11). Patrick Crusius exécuta 22 immigrés mexicains à El Paso aux États-Unis en 2019 en revendiquant « de réduire le nombre de gens qui consomment des ressources » pour que « notre mode de vie [puisse] devenir un peu plus viable sur le long terme ». En 2022, Payton Gendron tuait 10 personnes dans un supermarché de Buffalo (Etats-Unis) fréquenté par des Afro-Américains en déclarant : « Le nationalisme vert est le véritable nationalisme ».
L’extrême droite et l’écologie : un piège dangereux qu’il faut combattre
Pour conclure, référons-nous à deux auteurs ayant publié récemment des livres sur ce sujet, Pierre Madelin et Antoine Dubiau.
Les mots utilisés par Pierre Madelin (12) sont très clairs : « ll faut être attentif à ce que l’intérêt légitime pour le local et les territoires ne soit capté par des affects identitaires. Pour cela, il demeure primordial de maintenir une boussole universaliste et d’associer l’écologie à un anti-racisme intransigeant, ainsi qu’à l’accueil des personnes migrantes qui est du reste la norme dans de nombreuses Zads et autres lieux collectifs ».
Antoine Dubiau, doctorant à l’université de Genève, parle de « l’écologisation du fascisme » (13). Dans sa conclusion d’un article pour Basta (14), le chercheur nous pose une question qui semble essentielle : « une fois que tous les partis sont devenus écolos, pour qui allez-vous voter ? Quel projet politique allez-vous défendre ? Parce que finalement, c’est bien la question qui se pose toujours ». Une vie différente pourvue d’un autre rapport avec l’ensemble du vivant passe aussi par le refus d’un repli sur soi, la recherche de solutions pour qu’il n’y ait plus de personnes précaires, la fin de l’appauvrissement des populations, la reprise en main des travailleurs sur leur outil de travail, le droit et le devoir de choisir nos productions, l’accueil de toute personne venue d’ailleurs comme si c’était nous qui arrivions, le détachement de ces soi-disant attaches racinaires et le refus de cette folle idée d’une identité qui nous serait commune parce qu’habitant un même lieu… Il faudrait sans cesse l’affirmer : l’écologie ne peut en aucun cas être dissociée du mouvement politique qui prétend la porter.
Le 26 novembre 2023
(1) Monsieur Juvin a été condamné en octobre 2022 pour violences conjugales en appel. Il a été mis en retrait du FN depuis..
(2) Green deal. Site d’Hervé Juvin : https://hervejuvin.com/green-deal-ecologie-humaine/
(3) 2021 (23 mai). « Hervé Juvin, l’écologie des frontières contre les « espèces invasives ». Le Point. https://www.lepoint.fr/politique/herve-juvin-l-ecologie-des-frontieres-contre-les-especes-invasives-23-05-2021-2427711_20.php
(4) Keucheyan, R. (2017). Alain de Benoist, du néofascisme à l’extrême droite « respectable »: Enquête sur une success story intellectuelle. Revue du Crieur, 6, 128-143. https://doi.org/10.3917/crieu.006.0128
(5) Marie Astier. 2014 (21 novembre). « L’extrême-droite tente de s’infiltrer dans les combats écologistes ». Reporterre. http://reporterre.net/L-extreme-droite-tente-de-s
(6) Un groupuscule nationaliste-révolutionnaire et néo-solidariste français, qualifié de néofasciste.
(7) Nicolas Massol, Maxime Macé et Pierre Plottu. 2023 (13 avril). « Contre le wokisme, le RN enrôle un compagnon de route de nombreux antisémites ». Libération. https://www.liberation.fr/politique/elections/contre-le-wokisme-le-rn-enrole-un-compagnon-de-route-de-nombreux-antisemites-20230413_724NYNLU6JAC5CDEOY5SX6SRDU/ n
(8) « Des millions d’Européens autochtones sont ainsi envahis par les peuples d’autres continents et paralysés moralement à la simple idée de se défendre contre ce « génocide par substitution ». Lucien Cerise pour le journal Breizh Info (2021). https://www.breizh-info.com/2021/10/05/171735/lucien-cerise-blancs-conscience-raciale/
(9) Alain Soral a créé le site d’extrême droite Egalité et réconciliation qui se réclame de « la gauche du travail » et de « la droite des valeurs » contre le Système composé de la gauche bobo-libertaire et de la droite libérale.
(10) Avant la Seconde Guerre mondiale, le principe d’une alimentation « saine et naturelle », axé le plus souvent autour du végétarisme, est porté par de nombreux médecins qui s’engagent en faveur des bonnes habitudes alimentaires, du sport, de la forme physique et de l’air pur en tant que « préconditions à la santé nationale et à la pureté raciale ».
(11) Arnaud Gonzague. 2023 (18 août). « Pierre Madelin : « Pourquoi l’écofascisme nous menace ». L’Obs. https://www.nouvelobs.com/ecologie/20230818.OBS77033/pierre-madelin-pourquoi-l-ecofascisme-nous-menace.html
(12) Pierre Madelin. 2023. La tentation écofasciste. Écologie et extrême droite. Montréal, Écosociété.
(13) Antoine Dubiau. 2022. Écofascismes. Éditions Grévis.
(14) Antoine Dubiau. 2023 (28 avril). « Existe-t-il un risque écofasciste ? » Basta.