Ce 14 novembre, l’UICN a fêté les 75 ans de sa création, en 1948, dans le château de Fontainebleau où elle est née. Après toutes ces années, la dame a pris de l’envergure, rassemblant plus de 1 400 organisations membres et près de 15 000 experts (biologistes, économistes, juristes, spécialistes de la communication et de l’éducation…) dans 160 pays, ce qui en fait le plus vaste réseau au monde d’acteurs et de spécialistes engagés dans la protection de la nature.
par Christine Virbel Alonso
L’Union a ainsi gagné en influence et a conservé toute sa ténacité dans le but de protéger le vivant sur Terre, humains compris. Ainsi, l’UICN est à l’origine de la Convention de Ramsar (1971), prônant la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides ; de la Convention sur le patrimoine mondial, culturel et naturel de l’UNESCO (1972), préservant des sites pour leur valeur universelle exceptionnelle ; de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), qui permet d’interdire ou de réguler le commerce international des animaux et des plantes inscrits dans ses Annexes et d’agir contre le trafic (1973). L’Union a aussi joué un rôle primordial dans la Convention sur la diversité biologique, traité international juridiquement contraignant concernant la conservation de la biodiversité, son utilisation durable et son partage juste et équitable avec les peuples traditionnels (1992). La création la plus connue de l’UICN demeure toutefois la Liste rouge des espèces menacées (1964), devenue depuis la source de données la plus importante sur le risque d’extinction des espèces à l’échelle mondiale.
Malgré toutes ces avancées qui entraînent des réussites, comme la sortie de la menace d’extinction de 26 espèces en Australie cette année, l’Union constate que le vivant a continué à diminuer drastiquement sur Terre aussi bien pour les espèces rares que les espèces communes partout dans le monde, en raison de l’intrusion de plus en plus importante et généralisée des infrastructures humaines dans les territoires naturels terrestres et marins, des multiples pollutions dues à nos activités et du temps long pour obtenir la mise en application de ses avis et recommandations par les décideurs aux niveaux mondial et national. La perte de biodiversité mondiale est par ailleurs accentuée par les effets dramatiques actuels (qui touchent aussi les humains) du bouleversement climatique (canicules, méga-feux, inondations…) et – cercle vicieux – cette perte de biodiversité renforce ces effets. En effet, plus la nature est affaiblie, plus elle a du mal à réguler ses cycles naturels. Une espèce disparue ne peut toujours pas être ressuscitée. Essayer de restaurer une zone naturelle prend des décennies, voire des siècles. Pourtant, les accords internationaux sont indispensables car ils permettent aux pays de s’entendre pour avancer sinon rien ne serait fait individuellement, par peur d’être moins compétitif que le pays voisin ou sous la pression des citoyens et des entreprises nationales voulant faire du « business as usual ».
C’est pourquoi l’Union continue de proposer des solutions et des idées nouvelles pour encourager les décideurs politiques, les entreprises et les particuliers à sauvegarder le vivant. En 2013, elle a présenté les Solutions fondées sur la Nature (Sfn), destinées à répondre aux grands enjeux mondiaux que sont le changement climatique, la sécurité alimentaire, l’approvisionnement en eau et la santé en protégeant ou en restaurant la nature partout où cela est encore possible. Les Sfn ont été reconnues par l’assemblée des Nations Unies en mars 2022. Le dernier Congrès mondial de l’UICN à Marseille (2021) a permis de demander un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins et d’obtenir l’adoption du nouveau traité sur la protection de la haute-mer. L’Union est aussi intervenue pour que la criminalité organisée sur l’environnement soit traitée comme une infraction grave. Parallèlement en France, des formations ont été menées auprès des magistrats, afin qu’ils prennent mieux en compte les conséquences de la destruction de la nature et adaptent leurs sanctions.* D’autres mesures ont été prises, notamment auprès du personnel des aéroports et des douaniers contre le trafic illégal de viande de brousse (voir notre article ici).
Au-delà des avancées internationales, l’UICN s’efforce aussi d’agir localement. Depuis bientôt 20 ans, son Comité français a lancé le Programme des petites initiatives pour protéger l’environnement en Afrique et a notamment engendré le Réseau des Acteurs de la Sauvegarde des Tortues Marines en Afrique Centrale (RASTOMA) ou l’Alliance pour la conservation des Grands Singes en Afrique Centrale (Alliance-GSAC). Dans la foulée, des filières vertes et la valorisation des produits naturels comme le miel blanc d’Oku (récolté au Cameroun), la mangue sauvage, l’huile de coco ont été créées, qui contribuent au développement local tout en protégeant les ressources naturelles. Des initiatives avec et pour les peuples traditionnels sont aussi menées, comme en Polynésie française auprès de la jeunesse afin qu’elle connaisse la biodiversité spécifique de son territoire ainsi que la culture ancestrale qui y est associée.
Enfin, l’Union actionne un levier plus difficilement quantifiable mais crucial ayant pour objectif de développer la conscience de l’importance de la biodiversité pour la vie, en suscitant l’intérêt, en faisant découvrir et aimer la nature. Dans l’Hexagone, le Comité français a, par exemple, créé en 2006 la Fête de la Nature, qui s’est ensuite exportée à l’international. En 2021, les notions d’éthique, de bienveillance envers la nature ont abouti à la parution d’un manifeste éthique intitulé « L’avenir du vivant – Nos valeurs pour l’action ». D’autres initiatives et animations sont en cours de préparation pour renouer des liens avec la nature.
Alors, que peut-on souhaiter à l’UICN pour son anniversaire ? Que la ténacité des membres qui l’ont constituée en 1948 et de celles et ceux qui la constituent aujourd’hui provoque prochainement un point de basculement dans les consciences des décideurs politiques, des grands industriels et des citoyens du monde pour assurer un avenir à tous. Que la dame de 75 ans devienne une « influenceuse » avec des millions de « suiveurs » ? La défense et la reconnaissance des langues de tous les peuples comptent aussi parmi les objectifs de l’UICN.
* Le Comité français envisage de proposer des formations aux journalistes et médias généralistes qui le souhaitent pour affiner leurs compétences de fins limiers en matière de biodiversité.
Photo du haut : le 75e anniversaire de l’UICN, le 14 novembre 2023 au château de Fontainebleau © Alezane