Julien Le Guet, porte-parole du Collectif Bassines Non Merci, était convoqué mercredi 27 septembre à l’Assemblée nationale dans le cadre de la commission d’enquête relative à « la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements ».
par Pierre Grillet
Etaient présents, outre Julien le Guet, porte-parole du Collectif Bassines Non Merci, Lucile Richard, archéologue et rapporteuse du Collectif auprès de la commission européenne des pétitions (PETI), Anne-Morwenn Pastier, docteure en sciences de la terre,qui a notamment travaillé à démontrer les limites majeures et la partialité des études produites par le BRGM sur commande des porteurs de projet, le docteur Jérémie Fougerat, médecin généraliste, membre de l’équipe médicale de la manifestation autorisée de Melle (à proximité de Sainte-Soline) et Jérôme Graefe, juriste de l’environnement, membre de la Ligue des Droits de l’Homme et observateur de la LDH durant la manifestation de Sainte-Soline.
Ils ont été auditionnés par les parlementaires membres de la commission présidée par le député Les Républicains Patrick Hetzel (Bas-Rhin), avec son rapporteur Renaissance, Florent Boudié, durant 2 heures 30.
L’intitulé de cette commission d’enquête laissait présager les suites. Le président et son rapporteur auront beau soin de préciser qu’l ne s’agit pas d’une commission sur les usages de l’eau ni sur le bien fondé ou non des bassines agricoles, mais uniquement sur les agissements de certains groupes à l’intérieur des manifestations et leur modalités d’organisation, les membres de BNM, ne sont heureusement pas tombés dans le panneau, rappelant, tout en répondant aux questions posées, à chaque occasion qui leur était donnée, le véritable enjeu de la lutte à la fois pour un partage de l’eau et un usage commun. Également pour espérer le rétablissement d’une véritable démocratie de plus en plus défaillante ces dernières années. Les intervenants ont fait le constat : le débat n’existe pas, lorsqu’on demande avec de nombreux arguments et sans violences un moratoire pour enfin amorcer un vrai dialogue, on nous répond par un commencement de travaux d’une nouvelle bassine.
Lorsque des scientifiques souhaitent apporter des éclaircissements sur les impacts des bassines, informer sur certaines études, débattre, participer à des controverses, aucun espace qui permettrait d’aboutir à des mesures n’est prévu pour ça devait rappeler notamment Anne-Morwenn Pastier, en évoquant la fameuse étude très controversée scientifiquement du BRGM. Il faut également mentionner les interventions très émouvantes de Jérémie Fougerat, médecin, et Jérôme Graefe, observateur de la Ligue des droits de l’homme, concernant la nature et le nombre incroyable des blessés à Sainte-Soline, les manques évidents et les fautes graves de l’État lorsque les secours étaient bloqués ou freinés alors que des personnes avaient leur pronostic vital engagé. Ils ont insisté sur la violence et le manque de discernement de la répression jugée par les 12 observateurs de la LDH présents sur le site comme disproportionnée, avec l’utilisation d’armes potentiellement très dangereuses classées comme étant « semi létales »…
Malgré tout, la plupart des députés de droite présents, droits dans leurs bottes, n’ont cessé de questionner autour de l’organisation et de certains participants : comment se fait-il que vous soyez aussi nombreux à Sainte-Soline malgré l’interdiction ? Avez-vous des réseaux particuliers ? Comment avez-vous pu contacter certains groupes en Europe ? Qui vous finance, comment est-il possible de réserver des bus, avec quel argent ? Quelles relations avez-vous avec certains partis politiques présents lors ce ces manifestations interdites ? Vous donnent-ils de l’argent ? Que pensez-vous de la quantité d’armes par destination saisies par les gendarmes avant la manifestation ? Julien le Guet ,répondant à cette dernière question, a pu préciser dans quelles circonstances ces armes par destination ont été récupérées : il s’agit d’objets divers tels des haches ou encore des boules de pétanques et d’autres. « Ces objets ont été récupérés lors des 24 000 contrôles réalisés par les gendarmes et dont les premiers ont débuté 5 jours avant la manifestation. Autant dire que parmi ces objets, une grande majorité d’entre eux appartenait à des personnes n’ayant rien à voir avec la manifestation envisagée et n’était en aucun cas destinés à blesser quelqu’un ».
Mais le point fort des questionnements parlementaires, c’est cette insistance à vouloir absolument dissocier les manifestants. Pour le rapporteur, Florent Boudié, il s’agirait d’un point essentiel : à plusieurs reprises, il a questionné sur la présence de « ces groupes violents apparus dans les années 90 et qui se joignent à chaque manifestation uniquement dans le but de casser et se battre ». Un questionnement repris par d’autres députés du même bord qui n’hésitent pas à parler de « casseurs ». Certains ont donné l’exemple de manifestations syndicales qui seraient aujourd’hui systématiquement noyautées par des groupes extérieurs n’ayant rien à voir avec l’objet du défilé. En gros, il y aurait dans les manifs, d’un côté les gentils qui défilent bien sagement et de l’autre côté des méchants sans conviction revendicative et qu’il faudrait impérativement réprimer pour « protéger les gentils ». Ces parlementaires auraient bien aimé entendre les porte parole de BNM se dissocier de ces « éléments violents et sans retenue » tels que ces députés les nomment.
Seulement voilà, la situation n’est pas aussi simpliste qu’il n’y paraît. Ces questionnements montrent tout le fossé qui sépare ces parlementaires, dont la plupart n’ont jamais participé à de tels rassemblements, d’une partie de plus en plus importante de la population et plus particulièrement des jeunes générations. Le système défendu par ces parlementaires nous conduit inexorablement à une impasse. Tout le monde le sait, y compris eux-mêmes. On ne fait rien contre, bien au contraire et surtout on n’hésite plus à mentir de la part de l’État et des grosses multinationales pour nous faire croire que des solutions seraient en œuvre et que le progrès résoudra tout (ce fameux cornucopianisme). Même lorsque les manifestants sont très nombreux dans les rues, ce qui a été le cas lors de la réforme des retraites, l’État passe en force. Que reste-t-il pour se faire entendre ? Non, messieurs et mesdames les députés-es, les manifestants qui sont prêts à se battre ne sont pas tous des méchants irresponsables. Lorsqu’on vit les manifestations, on peut s’en rendre compte en discutant avec eux. Ils sont prêts à se battre par conviction et avec de multiples arguments car vous êtes arrivés à les exaspérer par vos postures et vos agissements. Très peu choisissent de se défendre par plaisir. C’est vous, qui avez fabriqués celles et ceux que vous qualifiez d’irresponsables et on peut parier qu’ils ne cesseront d’être de plus en plus nombreux tant que vous resterez sans vraies réponses par rapport à leurs préoccupations qui concernent leur propre avenir. Ces gens-là pourraient être (sont peut-être) vos propres enfants et petits-enfants, pensez-y.
Point ultime de ce déphasage parlementaire: comme il leur est difficile de remettre en cause le rapport des observateurs de la Ligue des droits de l’homme, un élu n’a pas hésité à le critiquer violemment … sur la forme. Il fallait oser. « Un rapport qui n’est même pas rédigé en français… de l’écriture inclusive partout ! ». Le gros mot est lâché. Même pas capables de comprendre pourquoi certains-es veulent changer des modalités d’écriture. Incapables de se poser la simple question sur le pourquoi de la domination du masculin sur le féminin, sur les origines de ces distinctions. Comme si la langue et sa grammaire ne pouvaient pas évoluer. Comme si eux mêmes refusaient tout changement, toute évolution…
Cette commission d’enquête nous laisse un goût bizarre. Comme si, très officiellement, éclatait cette confrontation entre deux mondes. Deux mondes qui n’ont plus grand-chose en commun et qui s’affrontent. Un affrontement qui promet de s’amplifier encore dans les mois et années à venir. Quelle tournure prendra un tel conflit ? Soit, on le reconnaît comme tel et on organise de véritables espaces de discussions, confrontations, controverses pour parvenir à de vrais compromis et on fait alors de la démocratie comme cela a été demandé par BNM lors de cette audition, soit on continue de vouloir l’ignorer et le pouvoir ne pourra alors qu’accentuer la répression tout en durcissant le régime avec le risque de déboucher sur des drames de plus en plus nombreux. C’est pour l’instant la voie très dangereuse choisie par Emmanuel Macron et sa bande. Pour combien de temps encore et vers quelle issue ?
Communiqué des Soulèvements de la Terre : Pourquoi nous n’avons pas répondu à la commission d’enquête parlementaire sur les « groupuscules »
Nous étions convoqués aujourd’hui à 14h30 en vue d’être auditionnés par une commission d’enquête parlementaire. Un questionnaire nous a été adressé. Nous avons choisi d’y répondre par écrit, comme l’ont fait nos camarades de la Confédération paysanne. Ces 18 questions portent sur des faits qui font déjà l’objet de poursuites judiciaires ou administratives : le procès pour organisation et participation à la manifestation de Sainte-Soline et la procédure de dissolution administrative en cours à l’encontre des Soulèvements de la terre. Main dans la main, les députés LR, LREM et RN se prennent pour des policiers enquêteurs, des procureurs et des juges. Un inacceptable régime de confusion qui témoigne d’une situation dans laquelle la séparation des pouvoirs n’est plus de mise. Le parlement, rendu superflu par l’autoritarisme présidentiel, se rabat sur des œuvres de basse police.
L’intitulé de la commission donne le ton : « commission d’enquête parlementaire sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023 ainsi que sur le déroulé de ces manifestations ».
Ce titre en dit long. Il y aurait donc des « groupuscules ». Ils seraient « structurés ». Ils seraient « auteurs de violences » commises entre le 16 mars et le 3 mai 2023. Or que c’est-il passé entre mars et mai 2023 ? Après des semaines de grèves et de mobilisation historique, le gouvernement dégaine le 49-3 pour passer au forceps une loi. Une loi rejetée par l’ensemble des syndicats. Une loi rejetée par une immense majorité de la population. Une loi à laquelle s’opposent la majorité des députés, au point que le gouvernement n’ose pas la soumettre au vote.
Nous sommes la seule démocratie occidentale dans laquelle le Parlement est à ce point décoratif. 5 ans de présidentialisme brutal, de règne arbitraire et solitaire d’un homme mal élu, voilà ce qui caractérise l’autoritarisme à la française. Et si c’était cela qui était le déclencheur de l’éphémère embrasement de mars ? Une explosion de colère populaire, des feux de poubelles qui se répandent partout dans les grandes métropoles et les petites villes de campagne. En réponse un déferlement de violences policières. Comment le justifier ? En agitant le spectre de la « violence des groupuscules » !
Le 25 mars, le gouvernement a fait tirer massivement sur la manifestation de Sainte-Soline. 200 blessées, de nombreuses personnes mutilées, certains manifestant-e-s échappent in extremis à la mort. Deux se retrouvent dans le coma en urgence vitale absolue. Après des années d’alertes lancées par Bassines Non Merci, la Confédération paysanne et les associations environnementales, le gouvernement préfère tirer à vue plutôt que de suspendre les travaux pour rouvrir le dialogue. Des recours administratifs contre les bassines sont pourtant en cours d’examen.
Cette commission d’enquête déshonore un peu plus le Parlement. Celui-ci n’emploie pas ses capacités d’enquête à éclaircir le rôle du cabinet Mc Kinsey ou du fonds de pension Black-rock dans la destruction des systèmes de solidarité. Il ne les emploie pas à analyser les conséquences hydriques du réchauffement climatique et des sécheresse pluri-annuelles sur la pérénité du modèle agricole.Il ne les emploie pas à interroger les dérives de la cellule Démeter. Il ne les emploie à faire la lumière sur l’usage des armes prétendument « non létales » par le maintien de l’ordre.
Nous savons déjà ce qu’augure cette commission : une loi sécuritaire de plus. On ne les compte plus. Des interdictions administratives de manifester calquées sur le modèle des interdictions de stade. Des moyens nouveaux pour censurer les réseaux sociaux en situation de mouvement social. De nouveaux leviers pour interdire et réprimer les manifestations. Une loi de plus à laquelle il faudra s’opposer en actes.