Les habitués de la plage du quartier de La Poudrière (certains l’appellent improprement Le Plateau), à Bologhine (proche banlieue ouest d’Alger), et particulièrement les plus anciens, ont eu deux grosses surprises cet été : une canicule qu’ils n’ont jamais connue auparavant, et qu’ils ont partagée avec une bonne partie du reste du monde, et la pollution, sans précédent dans leur mémoire, de leur belle plage dont les eaux étaient, certains jours, d’une saleté telle qu’on pouvait les assimiler à des eaux d’égouts, avec une prolifération inquiétante d’algues.
par M’hamed Rebah
Des plages du littoral algérois ont vu la couleur de leurs eaux virer au marron foncé, en plus du trouble qui empêche de voir le sable au fond. Seule la bafane, comme certains l’appellent encore, pour désigner le vent violent qui soulève les vagues, a pu chasser la pollution.
Sans surprise, l’emballage plastique occupe une place prépondérante dans la pollution marine en Algérie. Le sachet plastique a eu raison de toutes les promesses officielles – sincères ou démagogiques- annonçant sa disparition prochaine, faites par les ministres qui se sont succédé, sur une vingtaine d’années après 2000, à la tête du département de l’environnement.
De couleur prédominante noire, il sert à tout emballer, du produit que l’on vient d’acheter aux ordures ménagères que l’on va jeter. Plus spécialement, il est la marque de l’argent sale qu’il transporte. Son opacité facilite aux opérateurs du marché parallèle, leurs transactions financières illicites. Pour les écologistes, il est le parfait symbole des batailles perdues dans la guerre menée aux pollutions et nuisances qui empoisonnent la vie quotidienne des Algériens.
La canicule
Mais ce que les Algériens ont bien senti durant l’été 2023 – qui restera un mauvais souvenir, ce sont plutôt les menaces que porte le changement climatique dans tous les secteurs, impactant aussi bien leurs activités économiques que leurs loisirs. La canicule du mois de juillet 2023 a particulièrement frappé les esprits. Et cela n’a pas l’air de se terminer. Les experts sont affirmatifs : le changement climatique augmente la fréquence des épisodes caniculaires et également leur intensité.
Alors que sur le calendrier, l’été tirait à sa fin, la canicule persistait dans plusieurs wilayas du pays, notamment au Centre et à l’Est, où des températures atteignant localement 43 degrés Celsius ont été enregistrées. Un bulletin météorologique spécial (BMS), émis par l’Office national de la météorologie (ONM), a annoncé la vague de chaleur qui a touché, dimanche 16 septembre 2023, les wilayas d’Alger, Blida et Tipaza, avec des températures maximales entre 39° C et 41° C.
L’été 2023 a imposé le changement climatique parmi les préoccupations quotidiennes des Algériens. Les paysans l’avaient déjà découvert à leurs dépens : ce phénomène est la cause des rendements faibles de leurs cultures. La sécheresse et le gel les surprennent parce qu’ils interviennent à des moments inattendus. La sécheresse (non couverte par l’assurance agricole) a fini par faire reculer les réticences des paysans à réutiliser l’eau usée épurée. Ce sont eux qui, maintenant, la réclament.
Autre constat amer : l’apparition des parasites et des maladies est accélérée par les conditions climatiques inhabituelles. Les paysans ne peuvent rien d’autre que déplorer les pertes énormes, notamment dans l’arboriculture et dans les zones montagneuses, mais aussi en céréaliculture et maraîchage. Au final, ils se plaignent de récolter des produits agricoles de mauvaise apparence et de qualité médiocre, difficilement, voire non commercialisables. Chez les apiculteurs, le recul dans la production de miel depuis 2018 à l’échelle nationale, est imputé également, en bonne partie, au changement climatique. Un apiculteur a expliqué que les abeilles sont désorientées par le dérèglement climatique.
La canicule, perçue comme exceptionnelle en juillet 2023, est devenue familière aux Algériens qui n’étaient pas habitués – en dehors de quelques localités du sud du pays – à vivre avec des températures au-dessus de 40° C durant plusieurs jours consécutifs, et des pointes à 45° C et même plus. L’Algérie et sa région ne sont pas les seules touchées. C’est ainsi, un peu partout dans le monde. Pour les chercheurs, « les récentes vagues de chaleur ne sont plus des événements exceptionnels » et celles qui adviendront « seront encore plus intenses et plus courantes si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites rapidement ». Cela concerne aussi la sécheresse et les inondations.
L’éclairage du professeur Noureddine Yassa
Dans une interview accordée à la chaîne 3 de la radio algérienne (16 septembre 2023, «L’Invité de la rédaction»), le professeur Noureddine Yassa, commissaire aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique (CEREFE), auprès du Premier ministre, également vice-président du Groupe de travail III sur l’atténuation au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), a mis l’accent, en se référant aux rapports du GIEC, sur le lien direct entre les événements climatiques extrêmes, comme la canicule, et le changement climatique. Or, maintenant, a-t-il expliqué, on parle de bouleversement climatique et de chaos climatique, voire d’effondrement climatique. D’où une plus grande fréquence des événements extrêmes et leur plus grande intensité.
Les conséquences peuvent aller jusqu’à la disparition de certaines villes, voire de pays. Le Pr Yassa cite la ville libyenne de Derna, en Méditerranée. Il ne s’agit pas de pays insulaires, mais des deux rives de la Méditerranée, précise-t-il. Au sud du bassin méditerranéen, la Libye, et au nord, la Grèce, ont été touchées par des inondations, fait-il remarquer. Il rappelle que la Méditerranée a été classée à haut risque climatique. Autrement dit, on va observer dans cette région tous les phénomènes climatiques extrêmes : la sécheresse, les vagues de chaleur, les incendies de forêts, les inondations…
Pour le Pr Yassa, la riposte consiste à renforcer les systèmes d’alerte précoce, c’est-à-dire les services climatiques, renforcer également les capacités d’adaptation ainsi que la résilience, et réduire la vulnérabilité. Beaucoup de pays n’en ont pas les moyens. A la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques de Copenhague en 2009 (COP15), les pays développés ont convenu de mobiliser à terme 100 milliards de dollars par an en faveur des pays en voie de développement pour qu’ils puissent financer la lutte contre le changement climatique. C’était le fameux Fonds vert pour le climat, sous l’égide de l’ONU. En 2015, la COP21, à Paris, a renouvelé cet engagement et l’a inscrit dans l’Accord de Paris.
En septembre 2023, la déclaration de Nairobi, issue du premier sommet africain sur le climat, en est encore à demander aux pays développés de tenir leur engagement de financer le climat chaque année à hauteur de 100 milliards de dollars. On parle maintenant du Fonds sur les pertes et préjudices, dont les pays développés acceptent le principe, mais ne se pressent pas de le rendre opérationnel, à cause de la compensation financière qu’ils seraient amenés à verser aux pays en développement.
Le feuilleton des énergies renouvelables
La canicule est un danger pour la santé de tous, avertissent les spécialistes. Pour s’en prémunir, les Algériens se sont massivement équipés de climatiseurs et ont hissé la consommation d’électricité à un niveau record dépassant pour la première fois les 18 000 mégawatts (MW), le mardi 11 juillet 2023. Face à la demande exceptionnelle en électricité, l’Algérie, suffisamment dotée en gaz naturel qui sert à produire cette énergie, n’a pas connu les situations vécues par d’autres pays, où les autorités ont dû procéder à des coupures d’électricité dans les moments de grande chaleur.
Les ressources de l’Algérie en gaz naturel, jugées « considérables », expliquent sans doute la lenteur du rythme de réalisation du programme de développement des énergies renouvelables (EnR). Le gouvernement s’est donné comme objectif pour le quinquennat (2020-2024), 4 gigawatts (GW) en puissance installée. Or, en décembre 2022, selon le bilan établi par le CEREFE, on en était à 597 MW depuis le lancement du premier programme en 2011. Pour le Pr Noureddine Yassa, 2024 est une année charnière pour rattraper et atteindre les 4 GW.
Dans ce véritable feuilleton des énergies renouvelables en Algérie, il est bon d’avoir un résumé des épisodes précédents. Adopté en février 2011, le programme national de développement des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique avait pour objectif 22 GW à l’horizon 2030, dont 12 GW pour couvrir environ 40 % de la production d’électricité destinée à la consommation nationale.
Le programme est mis à jour en 2015. Il consiste cette fois à « installer une puissance d’origine renouvelable de l’ordre de 22 GW à l’horizon 2030 pour le marché national, avec le maintien de l’option de l’exportation comme objectif stratégique, si les conditions du marché le permettent ». Deux différences par rapport au programme de 2011 : 27 % de la production d’électricité destinée à la consommation nationale, seront d’origine renouvelable (et non pas 40 %) ; le programme est fortement dominé par le solaire.
Nouveau réajustement en 2020 : l’objectif est ramené à 15 GW (au lieu de 22 GW) et l’échéance éloignée à 2035 (au lieu de 2030). Une nouvelle société publique, SHAEMS, initie le projet SOLAR1000. Des appels d’offres sont lancés en décembre 2021, mais le délai de remise des offres par les entreprises, fixé au 30 avril 2022, est prolongé, début avril 2022, de 45 jours, puis prorogé encore à la mi-juin 2022, et ensuite plus rien, jusqu’à mars 2023 quand la filiale, fraîchement créée, Sonelgaz-Energies Renouvelables, du Groupe Sonelgaz, lance un appel d’offres national et international pour la réalisation du « premier projet énergies renouvelables (EnR), de grande envergure », selon les termes de son communiqué.
Il s’agit, rappelons-le, de la réalisation de 15 centrales solaires photovoltaïques, réparties sur 11 wilayas du sud et des hauts plateaux, pour une puissance totale de 2 GW. La cérémonie de remise des offres et d’ouverture des plis (NDLR : passations de marchés publics), initialement prévue fin mai 2023, a été reportée à la fin juin. Finalement, l’ouverture des plis a eu lieu fin juillet dernier.
La commission ad hoc a approuvé 77 offres techniques sur 90, soumises par des entreprises algériennes et étrangères. Selon un responsable de Sonelgaz, l’opération suivante, consistant en l’étude et l’évaluation des offres techniques, devait avoir lieu « dans un ou deux mois au plus tard » (c’est-à-dire, au plus tard, à fin septembre 2023), pour « connaître les délais et le montant de réalisation ainsi que le prix du kilowatt proposé par chaque opérateur ». En même temps, était annoncée pour ce mois-ci (septembre 2023), l’ouverture des plis du projet SOLAR1000 de la société SHAEMS, dans l’attente du lancement ultérieur d’un programme de 3 GW annoncé pour début novembre 2023, par Sonelgaz. On en est là.
Dans la sphère institutionnelle concernée par les énergies renouvelables et plus largement la transition énergétique, c’est une sorte de labyrinthe. Seul invariant : le discours sur l’avantage « solaire », de l’Algérie, exprimé en heures d’ensoleillement par an, et celui de proximité par rapport au marché européen. Depuis septembre 2022, la composition du gouvernement ne comporte pas de référence explicite à la transition énergétique, alors que les énergies renouvelables ont été déplacées vers le ministère de l’Environnement qui a repris une appellation – ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables (MEER) – apparue pour la première fois en mai 2017 jusqu’à juin 2020. Dans la configuration institutionnelle actuelle, le ministère de l’Energie et des Mines apparaît comme le chef de file de la transition énergétique.
Au plan juridique, le cadre en vigueur est jugé incomplet par les professionnels et les spécialistes. L’incitation à utiliser les énergies renouvelables, notamment par les particuliers, reste faible. Des dispositions réglementaires sont attendues dans ce sens. Les établissements publics, comme les écoles et les administrations, et les installations industrielles, mais également les particuliers, devraient pouvoir alimenter le réseau de distribution de Sonelgaz et lui vendre l’électricité solaire qu’ils produisent en surplus. Le dispositif réglementaire devra lui-même être complété par un dispositif technique de contrôle qui vérifie l’origine renouvelable de cette électricité proposée à Sonelgaz. D’autres textes sont attendus pour couvrir tous les besoins en matière de réglementation dans les énergies renouvelables.
L’irruption de l’hydrogène vert
Entretemps, l’hydrogène vert a fait irruption dans la politique énergétique algérienne, avec Sonatrach, comme opérateur principal, et le partenariat international, comme voie incontournable. L’hydrogène vert obtient vite sa feuille de route. Il dispose d’une stratégie nationale pour son développement. Des projets pilotes sont annoncés dans cette filière pour la production d’hydrogène vert à partir de l’électrolyse de l’eau. Rien n’est impossible, dit-on officiellement.
En décembre 2021, un accord stratégique a été passé entre Sonatrach et son partenaire italien Eni sur un projet de développement de l’hydrogène, dont l’hydrogène vert. En mai dernier, GIZ, agence gouvernementale allemande de coopération internationale, qui est en Algérie depuis le milieu des années 1970, a annoncé un nouveau projet dans les énergies renouvelables et l’hydrogène vert, en partenariat avec le ministère de l’Energie et des Mines.
Autre élément nouveau, révélé à la faveur de la visite du président Abdelmadjid Tebboune en Chine en juillet 2023 : le partenariat algéro-chinois s’étend maintenant aux domaines des énergies nouvelles et renouvelables, particulièrement l’énergie solaire photovoltaïque, l’hydrogène, l’énergie éolienne et la géothermie, ainsi que la fabrication des équipements et l’exploitation des ressources minérales utilisées dans l’industrie des énergies renouvelables.
Cet article a été publié, en deux parties, dans La Nouvelle République (Alger) du jeudi 21 septembre et du samedi 23 septembre 2023.
Photo : la plage de La Poudrière, à Bologhine (proche banlieue ouest d’Alger), quand elle est calme et propre © M’hamed Rebah