Du 23 au 27 août 2023 , le Festival de la coopérative Oasis a réuni 600 personnes dans l’écovillage de Sainte-Camelle, en Ariège. Cinq jours pour découvrir une centaine d’écolieux. Et pour débattre et s’informer lors d’ateliers plus centrés sur les modalités pratiques (gouvernance, aspect juridique et financier, etc.), et de conférences et tables rondes davantage axées sur la question politique. Avec cette question récurrente : comment vivre ensemble plus sobrement, plus relié au vivant, développer des relations sociales plus riches sans renoncer à transformer la société ?
par Jean-Claude Noyé
Une foule bigarrée composée pour part égale de jeunes et moins jeunes qui se réunissent dans des chapiteaux en bois de forme octogonale, plusieurs zomes, tipis et autres constructions légères. Avec, cinq jours durant, une nourriture végétarienne de rigueur pour se sustenter. Des toilettes sèches posées ici et là pour soulager ses besoins. Et sa propre tente pour dormir dans les champs annexes. Ce rassemblement dans les collines ariégeoises, à quelques kilomètres de Pamiers, avait comme un air de Woodstock. Avec une différence de taille : toute consommation de produits illicites y fut expressément prohibée. Et la vente d’alcool limitée à de rares plages horaires. Ce qui n’a pas empêché les soirées festives de se succéder. « Ce festival est un évènement réussi d’abord parce que nous avons fait la fête pour célébrer la joie d’être ensemble. Mais aussi parce que nous faisons réseau et que celui-ci s’agrandit. Pourtant ce réseau a besoin de jouer un rôle politique plus important, de s’ ouvrir à d’autres partenaires, d’autres actions pour mieux dialoguer avec l’en-dehors, et nous avons pris le temps d’y réfléchir », a résumé lors de son mot d’envoi Mathieu Labonne, le président de la coopérative Oasis, initiatrice de l’évènement (lire ci-dessous).
Comment travailler à l’avènement d’une société post-capitaliste ? S’investir dans des activités et structures militantes, quitte à en créer de nouvelles, tout en préservant assez de temps et d’énergie pour soigner le vivre ensemble : se donner le temps d’échanger, de mûrir des décisions collectives. D’inventer des rapports sociaux plus égalitaires ? Des rapports qui échappent aux relations de pouvoir ? Intitulée « Démasquer les mécanismes de la violence dans les collectifs », la conférence de Sophie Rabhi aura été l’un des temps forts de cette interrogation. Éducatrice, écrivaine, fondatrice de l’Oasis de Poul’Ar, la fille de Pierre Rabhi a raconté comment elle et son compagnon ont été chassés, suite à un référé, par des habitants de l’éco-hameau des Buis (Ardèche), un écolieu qu’ils ont pourtant créé et où ils ont vécu pendant 20 ans. Expérience douloureuse dont elle tire la conclusion que nulle recette ne ne saurait garantir la pérennité d’une oasis. Ni la pratique maîtrisée des outils de communication et de gouvernance non-violentes, ni l’examen minutieux des nouveaux candidats ou la mise en place de période de probation longues avant des les intégrer. Seul compte l’effort pour déloger les mécanismes de la violence relationnelle en soi, a-t-elle fait valoir. Dit autrement : pour réussir un écolieu, il faut disposer d’une forte maturité émotionnelle et d’un bon équilibre psychique. Avis aux candidats !
Intitulée « Comment faire société ensemble ? », la table ronde du dimanche matin a poursuivi ce débat. Avec, à la clé, une question récurrente : peut-on vraiment dialoguer avec les tenants de la mégamachine, dirigeants de multinationales et autres politiques arcboutés sur le vieux monde ? Mouts, réalisateur français connu pour l’émission télévisée Nus et culottés, qu’il co-anime avec son ami Nans, a répondu par l’affirmative, invoquant les trésors cachés en chaque homme, fût-il criminel. Cécile Renouard, religieuse, philosophe et fondatrice du Campus de la Transition, s’est appuyée sur l’Evangile pour affirmer qu’il ne faut pas mettre tous les hommes dans le même sac et que le dialogue avec les multinationales, même s’il est difficile, n’est jamais inutile. Ne serait-ce que pour obtenir, comme elle a pu le faire, des informations clés permettant de mettre en défaut leur rhétorique. Economiste, instigatrice du revenu de transition écologique, Sophie Swaton était pour sa part plus circonspecte, comme, du reste, une partie de la salle composée de personnes, habitant.e.s d’écolieux ou non, à la posture militante radicalement antisystème et anticapitaliste, moins disposé.e.s à admettre que toutes les formes de mobilisation (y compris les COP) sont valables et nécessaires pour faire avancer les choses.
Comment articuler le «contre» (le militantisme ad extra) et le «pour » (la construction d’alternatives crédibles), c’était encore l’objet de la table ronde intitulée « Oasis et luttes locales et sociales ». Professeure agrégée de philosophie et auteur des livres Etre écoféministe. Théories et pratiques (Ed. L’Echappée) et ReSisters (Ed. Tana), Jeanne Burgart-Goutal s’est taillée un vif succès d’audience en faisant valoir que l’oppression des femmes et la destruction de la nature sont deux facettes indissociables d’un modèle de civilisation, d’un système capitaliste-patriarcal-colonial qu’il faut dépasser. Justement, les écolieux ne permettent-ils pas, à l’échelle locale, dans un climat de confiance préalable, d’expérimenter activement d’autres rapports hommes-femmes ? De permettre à chacun-e d’acquérir de nouvelles compétences et de vivre une répartition des activités (des rôles, des métiers) non genrée ? Nombre de féministes présentes pendant ces cinq jours ont regretté que cette question ait été sous-traitée. Et demandent qu’elle soit davantage prise en compte lors de l’édition 2024 du festival de la coopérative Oasis.
« Oasis » : quézaco ?
Ecohameaux, écolieux, habitats participatifs, fermes collectives, tiers-lieu, ZAD, etc. Autant de de lieux où s’inventent un mode de vie plus écologique et solidaire, en réponse aux défis du temps. D’abord promu par Pierre Rabhi avec son concept « oasis en tous lieux », le terme «oasis» a été redéfini en 2014 par Mathieu Labonne – lui-même habitant d’un écolieu, l’écohameau du Plessis, et alors directeur de l’association Colibris – pour inclure très largement cette diversité de lieux collectifs et écologiques. C’est aussi le nom de la coopérative créée en 2018 pour porter le développement de ce réseau. Celle-ci fédère et accompagne plusieurs centaines de projets : aide à la levée de fonds, conseils juridiques, stages de formation avec insertion temporaire dans un écolieu, etc. Chaque année, elle accompagne autour de 60 nouveaux projets d’écolieux. Quatre-vingt d’entre eux ont été présentés à Sainte-Camelle par leurs membres ou des vidéos, ainsi que par des visites sur place dans plusieurs oasis situées dans la région.
L’écovillage de Sainte Camelle
L’écovillage de Sainte Camelle (Ariège) s’étend sur 18 hectares de forêts et de prairies. Fondé en 2011, il compte une vingtaine de membres. « Nous mettons beaucoup de coeur à développer un relationnel harmonieux entre nous car nous avons expérimenté que c’est la base du vivre ensemble. Bien sûr, cela demande l’effort d’un réel travail intérieur pour chacun. C’est-à-dire d’être conscient de ses points forts et de ses points faibles (…) Nous avons tous choisi de travailler sur le lieu afin de recréer une économie locale », est-il écrit sur le site de ce collectif. Celui-ci est largement ouvert sur l’extérieur par le biais de stages, du café associatif La Luciole, de l’accueil d’évènements tel le Mantrafest (1200 personnes), etc. Sa vision est sous-tendue par la conviction qu’il faut d’abord se transformer pour transformer le monde.
Photo du haut : le festival Oasis à Sainte-Camelle (Ariège), du 23 au 27 août 2023 © Tullia Bousquet