Du 18 au 26 août 2023, une autre forme de militantisme est proposée par différents collectifs, dont Bassines non merci, les Soulèvements de la terre et la Confédération paysanne, soutenue par plus de 120 organisations…. Une autre forme ? Plutôt un mode d’action complémentaire destiné à démontrer auprès de l’opinion publique et des institutions l’urgence de stopper des projets totalement déconnectés des réalités et d’amorcer enfin un véritable dialogue associant le public le plus large autour des questions liées à l’eau, mais également à l’agriculture industrielle, l’accaparement des terres, l’artificialisation des sols et la prise en compte du vivant.
par Pierre Grillet. Photos Pierre Grillet & Marie-Do Couturier
Il y avait eu la marche des paysans du Larzac sur Paris en 1978, où quelques paysans partis de leurs territoires se sont retrouvés plus de 40 000 dans la capitale. Celle de Notre-Dame-des-Landes en 2015. Ces deux marches ont finalement été victorieuses… Entre les deux, il ne faut pas oublier la longue marche des Beurs pour l’égalité et contre le racisme en 1983. Aujourd’hui, en 2023, le Convoi de l’eau, une formule inédite dans sa forme, bien décidé à relier Orléans pour demander à l’Agence de l’eau Loire-Bretagne l’arrêt des financements de bassines et l’amorce d’un véritable dialogue. Bien décidé également à rejoindre Paris où se concentrent tous les lieux de pouvoir. Jamais deux sans trois, dit-on… Des raisons d’espérer, il y en a de multiples.
Réunir de 500 à 700 cyclistes de tous âges (selon les jours) sous la canicule, 15 à 20 tracteurs conduits par des paysans membres ou proches de la Confédération paysanne, être accueillis à chaque étape par des centaines de militants locaux eux-mêmes en lutte contre tel ou tel projet destructeur, mais aussi par celles et ceux qui agissent pour engager d’autres façons de vivre. Nourrir toutes ces personnes grâce à l’incroyable organisation des « cantines en lutte », fournir toute la logistique nécessaire pour un tel nombre. Prendre le temps d’échanger, de faire connaissance, prendre soin des uns et des autres lors des trajets et bivouacs, traverser lentement des villages et petites villes pour se rendre compte de l’accueil très positif de la plupart des habitants.
Traverser sous un soleil de plomb des espaces « vides », sans un arbre où domine la monoculture et éprouver le bonheur de se retrouver soudainement dans une petite vallée encore épargnée, bocagère où coule encore un ruisseau (de plus en plus rares à cette époque) dans lequel il est possible de se baigner. La joie de terminer son étape, le soir chaleureusement applaudis et accueillis par les centaines de personnes qui ont consacré leur journée à préparer une jolie réception. Rencontrer nombre d’élus locaux totalement en phase avec l’essentiel des revendications exprimées par le « Convoi »… Voilà de quoi redonner un maximum d’énergie pour continuer, renforcer et sortir victorieux de ces luttes qui s’avèrent indispensables pour assurer l’avenir.
De Lezay (à quelques kilomètres de Sainte-Soline, commune interdite d’accès par la préfecture) à Orléans, terme de la première partie du Convoi de l’eau, les cyclistes parcourent près de 400 kilomètres en huit étapes. Chacune de ces étapes permet de mieux connaître telle ou telle lutte locale. A Lezay, un collectif s’est créé contre un projet de construction d’une usine de méthanisation. Un projet opaque combattu par les élus locaux (la municipalité s’y est fortement opposée). Impossible de savoir quels seront les agriculteurs concernés, ni si les bénéficiaires de la future bassine de Sainte-Soline feront partie des fournisseurs de matière végétale nécessaire pour le bon fonctionnement du système. Le combat engagé depuis des années contre une ferme usine de 1200 taurillons dans le nord de la Vienne à Coussay-les-Bois avec, bien entendu, la construction d’un méthaniseur ! Là encore, malgré l’opposition des locaux et de la municipalité. La question de l’accaparement des terres est illustrée par le rachat récent de 2 100 hectares de terres agricoles par une société composée de trois agriculteurs normands avec l’autorisation de la SAFER de la Vienne. Combien de petits paysans auraient pu s’installer, combien de maraîchers ? Il y a l’accaparement, mais également la destruction par l’artificialisation des sols : ainsi, les problèmes posés par l’installation de gigantesques plateformes logistiques sont évoqués lors de l’étape à Mer. Le Convoi de l’eau dénonce également les prélèvements abusifs de sable dans le lit de la Loire et leurs impacts sur l’ensemble du vivant.
Le Convoi de l’eau permet non seulement de mettre en valeur l’ensemble de ces combats, mais également et surtout de les relier. Il permet de démontrer que tous ces problèmes sont le produit d’un type de société devenu aujourd’hui obsolète. Qu’il ne suffit pas de mettre des capteurs solaires sur des entrepôts, de réhabiliter quelques sites anciennement exploités sur la Loire, de planter quelques haies pour cacher le vide de l’autre côté, de creuser quelques mares pour faire plaisir aux écolos, de laisser croire qu’une transition tranquille et longue résoudra les problèmes, que l’agro-écologie pourrait être industrielle, de créer des labels mensongers et trompeurs comme la Haute valeur environnementale (HVE).
Il faut également mettre fin au déni démocratique affiché par le pouvoir. Dans la plupart des exemples cités, on se rend compte que les enquêtes publiques ne sont, pour l’essentiel, que de pures formalités obligatoires, mais que les avis exprimés par le public ne sont jamais pris en compte. Il en de même pour de nombreuses municipalités qui, alors qu’elles expriment clairement leurs refus, voient certains projets arriver malgré tout avec l’appui total de l’État.
Mais les étapes du Convoi permettent aussi de rencontrer des initiatives paysannes positives, lors de l’étape à la coopérative paysanne de Bellêtre, en Indre-et-Loire, par exemple. Ce sont sept personnes qui font vivre cette coopérative (SCOP, société coopérative de production) et qui travaillent sur un territoire acquis grâce à l’association Terres de liens depuis une dizaine d’années. Une ferme bio en autogestion qui cultive des céréales (blé, seigle, petit épeautre, avoine) sur une soixantaine d’hectares et, pour la plupart, en association de cultures (avec de la féverole ou de la vesce). Les céréales sont transformées à la ferme en farines pour produire du pain au levain naturel. A cette activité, il faut rajouter du maraîchage sur environ 3 hectares produisant des légumes distribués toute l’année en AMAP.
Le maintien des projets de bassines apparaît de plus en plus, y compris pour nombre de scientifiques, comme un mauvais choix, une « mal adaptation ». Ces projets et leurs réalisations déjà opérationnelles pour certaines doivent cesser pour faire place à une vraie concertation : quelles sont nos ressources en eau ? De quoi avons-nous réellement besoin ? Certes, l’eau est indispensable en agriculture : alors, quels sont nos vrais besoins et comment y faire face ? Comment partager entre nos besoins vitaux, les besoins économiques réels et le bon état de nos rivières et nappes phréatiques ? Vouloir exporter toujours plus est-il une solution ? Toutes ces questions n’ont jamais fait l’objet de véritables consultations autrement qu’entre quelques « experts » et parties prenantes très intéressées comme la FNSEA et les principaux irrigants.
Voir et entendre l’ensemble des participants avec la détermination qui les anime incite au partage de cette réflexion de Germaine Tillion, brillante ethnologue, ancienne résistante et déportée : « Pour moi, la résistance consiste à dire non. Mais dire non, c’est une affirmation ! C’est très positif, c’est dire non à l’assassinat, au crime. Il n’y a rien de plus créateur que de dire non à l’assassinat, à la cruauté, à la peine de mort ». Il n’y a rien de plus créateur que de dire non aux bassines, à l’agriculture industrielle destructrice des sols, des paysans et source d’empoisonnements, dire non à l’accaparement des ressources, à la destruction du vivant. Germaine Tillion concluait ainsi : « Quand je vois quelque chose que je ne peux pas supporter : j’agis ».
Ecrit le 21 août 2023 au lendemain de la troisième étape du Convoi de l’eau.
Photo du haut : départ du Convoi de l’eau à Lezay pour la première étape le 18 août 2023.