Depuis l’effondrement du beau-livre consécutif à la crise des subprimes de 2008, ce semble toujours un miracle quand un confrère sort un ouvrage dans cette catégorie. Surtout abordant « la forêt » ! Certes, le sujet est devenu un créneau depuis ces dernières années, alors que les institutions, la culture, et les médias français, il n’y a pas si longtemps, résistaient pour aborder ce thème. Reste qu’aujourd’hui, ils y viennent pour ne pas être à la traine, en jouant sur des référentiels de savoirs et de goûts pas trop déconcertants et retenus par l’ignorance perceptuelle. En réponse, cet ouvrage donne des bases fortes d’impressions paysagères pour susciter l’envie touristique (la marche avant tout) avec des rudiments en savoirs naturalistes et forestiers de première approche. L’ensemble donne ainsi à ce livre un ancrage commercial dans les habitudes de réceptivité encore prévalentes aujourd’hui. Mais il y a dans Stéphane Guiraud, à l’évidence un amour de la forêt allant au-delà quand, l’éveil sensible se fait transfuser par de telles ambiances. C’est-là qu’il faut rencontrer sa part essentielle.
À noter en passant la notoire présence des brumes forestières propres aux montagnes insulaires. L’auteur résidant en Corse a aussi pu appréhender en quinze ans toutes les saisons de la forêt. Il y a énormément de variations de lumière propres à des instants uniques. Ce livre est à l’image de la forêt corse : il faut le temps de visiter ses pages pour prendre le temps d’être intérieurement voyagé par les perceptions. Son approche visuelle pourrait s’entrevoir en filiation avec celles des photographes nord-américains et japonais comme David Muench ou Schinzo Maeda, mais selon un mode, où la photographie numérique a rattrapé la photographie à la chambre d’antan. Pour Stéphane Guiraud l’arbre est une œuvre d’art. Puisse en retour notre société faire œuvre de son regard quand elle aborde une forêt. C’est à mon sens la vocation implicite et première de ce livre, car tout s’ensuit après dans la façon dont nous traitons la forêt…
La topographie corse a permis quelques sursis pour sa forêt par rapport à un machinisme sylvicole d’abord adapté à des logiques intensives de marché. D’où l’espoir de voir la gestion forestière insulaire rebondir sur d’autres desseins. On comprend la Corse comme un socle paysager à très fort potentiel d’ambiance, si on permet à ses forêts de s’y décliner selon toutes ses variations de maturité et de naturalité possibles. La forêt corse semble sortir l’âme du lieu de chaque sol qu’elle occupe, avec à la clé, une remarquable diversité de milieux. Une synthèse photographique à l’instar de ce livre en donne une intuition vive et prégnante, et je la vois interpeller tous les acteurs de son territoire dans un accompagnement de valorisation à une époque où d’autres menaces se profilent ( les incendies, le réchauffement climatique et ses effets induits, les excès de sylviculture, le BTP invasif sur la côte, etc.). La part artistique d’un ouvrage de forêt comme celui-ci est justement très importante pour syntoniser les perceptions dans des délibérations interprofessionnelles.
Il sera toujours nécessaire de témoigner des forêts sur le mode contemplatif en veillant comment sera vécue et ménagée la nature, face à la déferlante de besoins de compensation inhérents au mal-être croissant de notre société. Ce sera ce qui nous incombe à nous tous par-delà des ouvrages de ce type, car tout ce qui est beau est vulnérable, à mesure que les êtres humains deviennent de plus en plus puissants et nombreux.
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Éditions Alain Piazzola, 192 pages, 38 €
Contact presse : Marie.do.piazzola@orange. Tél.: 06 09 53 38 48
(Bernard Boisson)
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