Le Département de la santé des forêts, qui dépend du ministère de l’Agriculture, a présenté fin 2022 un bilan des plantations effectuées durant l’hiver 2021-2022. Ce bilan est sans appel : 38 % d’échecs (c’est-à-dire un taux de reprise inférieur à 80%) pour les plantations effectuées au niveau national !
par Jean-Claude Génot *
Ce suivi porte sur 1033 plantations, 860 sites, concernant 55 espèces et un peu plus de 100 000 plants observés. Depuis 2007, année où ce suivi a démarré, 2022 est la pire au niveau des reprises de plantations. 92 % de la mortalité des plants est due à une origine abiotique (comprenez à la sécheresse estivale, aux fortes températures et éventuellement au gel) ou complexe (qualité de la plantation, concurrence avec d’autres végétaux). Les espèces les plus sensibles ont été le sapin de Bornmüller, le mélèze hybride, le douglas et les chênes sessile et pédonculé : 3 exotiques et 2 autochtones dont un, le chêne pédonculé ,supporte mal les fortes sécheresses estivales. Ce bilan permet de voir que le chêne rouge d’Amérique et le robinier sont toujours plantés alors que ce sont des espèces exotiques envahissantes avérées. Quant au douglas, il est considéré comme envahissant en Allemagne. Le taux de plantation en échec est le plus élevé en Méditerranée, dans les Alpes, le Jura et le Grand Est semi-continental.
Dans l’introduction de ce bilan, une phrase en dit long sur le risque de la plantation en forêt : « La plantation est une phase délicate de la vie d’un peuplement forestier. Les plants quittent la pépinière, milieu très favorable à leur croissance, pour la parcelle forestière, milieu beaucoup plus hostile. » Oui la nature est « hostile » à tout ce qui est artificiel, donc tout ce qui est contre nature est risqué… Le ministère de l’Agriculture croit, comme un de ses récents ministres (Denormandie) l’avait dit haut et fort, qu’une forêt ça se cultive, d’où le soutien inconditionnel de l’Etat aux plantations, notamment dans le cadre du volet forestier du plan de relance. Une forêt n’a pas besoin de plantation car elle se régénère naturellement, sinon cela s’appelle un champ d’arbres, hostile au monde vivant, comme cela peut se voir à grande échelle dans le Morvan, le Limousin ou les Landes. La vision industrielle de la forêt fondée sur des plantations récoltées par coupes rases à l’aide d’abatteuses, ce qui met le sol à nu, est un anti-modèle condamné à court terme dans le contexte du changement climatique.
La plupart de ces plantations concernent des conifères sensibles aux incendies comme on l’a vu en 2022 dans le sud-ouest et aux sécheresses comme le montre ce bilan des plantations, alors même que le monde productiviste de la forêt nous présente la plantation de nouvelles espèces résineuses comme « la » solution pour faire face au réchauffement climatique. Seul le maintien des forêts feuillues, encore majoritaires en France, dans des peuplements à canopée dense (ce qui nécessite une sylviculture douce, avec un délai entre les coupes plus important qu’aujourd’hui) permettra à la forêt de mieux résister aux fortes températures et à se régénérer naturellement en cas de mortalité. Cela permettra de ne pas dépenser inutilement les fonds publics pour enrichir les coopératives forestières qui font la promotion d’un modèle « court termiste » anti nature qui accélèrera la crise d’extinction des espèces. Il est intéressant de noter que la Commission européenne a publié en mars 2023 un guide pour le boisement, le reboisement et la plantation d‘arbres respectueux de la biodiversité, dans lequel elle tente de dissuader les Etats d’avoir recours aux espèces exotiques, notamment en soulignant les risques liés à l’emploi de ces arbres allochtones et en rappelant que la biodiversité forestière associée aux espèces allochtones était plus faible que celle associé aux espèces autochtones. Mais le ministère de l’Agriculture français n’a certainement pas consulté ce guide.
* Ecologue
Photo du haut : plantation de douglas « ratée » avec des semis rougis par la sécheresse en forêt privée dans les Vosges (88) © Jean Poirot