La pêche « préventive » est présentée comme un moyen de « sécuriser » la mer pour les usagers, soit principalement pour les surfeurs. Mais les mesures prises pour éradiquer le « risque requin » se sont développées sans aucun fondement scientifique. Depuis 2011, plus de 500 requins tigres ont été abattus à la Réunion. Or, il y a urgence à protéger les deux espèces cibles du programme de pêche réunionnais, le requin tigre et le requin bouledogue, car elles sont inscrites sur la Liste rouge des espèces menacées d’extinction de l’UICN.
par Myriam Goldminc
« Au 7 janvier 2023, déjà quatre requins tigres avaient été pêchés et tués dans la Réserve nationale marine de la Réunion », souligne Myriam Dupuis, de l’association Tendua pour la sauvegarde de la biodiversité, membre du collectif Requins en danger à la Réunion, dont font partie également les associations Sea Sheperd, Requins Intégration, Taille-Vent et Vague. Ces ONG se battent contre cette pêche des requins dite préventive, « une aberration économique et écologique », qui génère en outre des dégâts collatéraux pour d’autres espèces marines. « Quatre requins tigres ont été capturés et tués la première semaine de 2023 : une femelle de 3,20 mètres, un juvénile de 1,20 mètre, un mâle adulte de 2,60 mètres et un spécimen de 1,60 mètre. On tue des individus adultes et des juvéniles, sans distinction, on condamne le présent et l’avenir des espèces concernées, et on ne tient pas compte de l’impact de la disparition des requins sur l’équilibre des océans ».
Cette pêche est présentée comme un moyen de « sécuriser » la mer pour les usagers, soit principalement pour les surfeurs. Mais les mesures prises pour éradiquer le « risque requin » se sont développées sans aucun fondement scientifique. Depuis 2011, plus de 500 requins tigres ont été abattus à la Réunion. Or, il y a urgence à protéger les deux espèces cibles du programme de pêche réunionnais, car elles sont inscrites sur la Liste rouge des espèces menacées d’extinction de l’UICN : le requin tigre (Galeocerdo cuvier) est classé quasi-menacé (NT) et le requin bouledogue (Carcharhinus leucas) est classé vulnérable (VU). Cette dernière espèce a été inscrite en annexe II de la CITES lors de la COP19 de Panama en novembre 2022. Les populations respectives de ces requins diminuent dramatiquement. Actuellement, selon le Livre Rouge de l’UICN, 32 % des 1234 espèces de requins, raies et chimères – soit 394 espèces – sont menacées et classées en danger critique d’extinction, en danger d’extinction ou vulnérable.
Ces prélèvements autorisés dans un but de sécurisation du public provoquent, dans les zones de la réserve marine, la destruction de plusieurs autres espèces marines protégées, considérées comme vulnérables ou en danger. Entre 2018 et février 2023, la capture de 55 requins bouledogues et 350 requins tigres a entraîné celle de 525 prises « accessoires », soit près de 57 % du total des captures officielles. Parmi les victimes collatérales : tortues, requins-marteaux, requins gris, raies-guitares, etc. Certaines prises accessoires sont relâchées mais nombre d’entre elles ne s’en sortent pas vivantes.
Une manne en eau trouble
Tout a commencé en 2012 quand le dispositif de la « sécurisation par la pêche des requins tigres et des requins bouledogues » a été mis en place. Son objectif principal : tuer de manière systématique tout requin qui s’approcherait des côtes réunionnaises. Un massacre rendu possible par l’octroi de subventions publiques. Aujourd’hui, ce sont plus de 2,2 millions d’euros par an destinés au seul fonctionnement administratif du Centre Sécurité Requin (CSR) et financé par l’argent public, soit les contribuables français. Le programme de pêche bénéficie de subventions complémentaires. De nouveau à la tête du programme de pêche depuis 2023, le Comité des pêches ne fournit aucune étude de synthèse sur les prélèvements opérés. L’effort de pêche (c’est-à-dire les moyens mis en œuvre pour cette pêche) est incontestablement démesuré pour un résultat économiquement et écologiquement catastrophique. Cette pêche de sécurisation ne marche pas.
D’ailleurs, face à l’inefficacité des prélèvements de requins menés depuis 12 ans, le préfet de la Réunion a reconduit en 2023 l’arrêté d’interdiction de la baignade et de la plupart des activités nautiques comme le surf, hors des zones surveillées (à l’exception de la plongée bouteille et de la pêche sous-marine).
Un espoir pour les associations
En janvier 2023, la Cour d’appel administrative de Bordeaux a tranché en faveur des associations de protection de l’environnement notamment en jugeant que l’association Sea Shepherd était légitime pour demander l’annulation d’un arrêté du préfet de la Réunion autorisant la pêche post-observation de requins en zones de protection renforcée 2B de la réserve marine. La Cour ’appel a reconnu l’impact du caractère global et non local de ces pêches post-observation, dû à des espèces migrantes qui affectent directement la zone de protection de la réserve marine. Cet arrêt confirme celui du Tribunal administratif de la Réunion qui, déjà, en mars 2022, avait suspendu l’arrêté préfectoral autorisant cette pêche en zone sensible de la réserve marine et que la préfecture a finalement abrogé en mars 2023. Ces deux conclusions de justice constituent une victoire et un espoir pour les associations. Le collectif a d’ailleurs déposé en février 2023 un nouveau recours auprès de la Cour d’appel de la Réunion, pour demander, encore une fois, l’arrêt complet et définitif du programme local de pêche des requins-cibles. Un combat qui risque de se prolonger pour les associations qui, pour autant, ne baissent pas les bras car ces top-prédateurs sont une clef de voûte des écosystèmes marins.
Une histoire de gros sous
« La pêche aux requins à la Réunion ? Une affaire financièrement juteuse ! » dénonce Didier Dérand, président de l ‘association Vagues et représentant du collectif Requins en danger à la Réunion.
« Alors même que le Centre Sécurité Requin (CSR) a reconduit la destruction des requins pour encore 4 ans, par un nouvel appel d’offre publié le 18 mars 2022 avec un montant record de plus de 5 millions d’euros TTC, est-il vraiment raisonnable de consacrer autant d’argent à tuer des requins pour une illusion de sécurité, en ces temps de disette financière que la crise sanitaire que nous venons de vivre et le contexte de guerre en Ukraine ont considérablement aggravée ?!
Faut-il rappeler que le budget annuel du CSR – de 2,2 millions d’euros pour 2021, et dont le principal objet est de tuer des requins, y compris dans la Réserve naturelle marine – représente plus du double de celui de la Réserve marine (950 000 euros en 2021) qui, elle, avec sa vocation d’Aire Marine Protégée, est d’intérêt général. Qui plus est, nous sommes désormais confrontés, dans ce dossier considéré comme ultra-sensible par l’administration, à une opacité et à un secret de plus en plus affirmés autour des opérations de pêche et de contrôle : toute information est soigneusement filtrée par le directeur du CSR, qui décide seul de ce qui doit « être communiqué » ou non.
Témoins, les avertissements explicites et les engagements obligatoires de tous les attributaires, dans le cahier des clauses administratives particulières de l’appel d’offres 2022-2026, et l’amende de 500 € (!!) qui punit chaque manquement des pêcheurs aux obligations liées à la confidentialité.
Témoin aussi la disparition des rapports trimestriels des observateurs publiés jusqu’à ce jour par le CSR sur le site www.info-requin.re, et seule information plus ou moins objective du public.
Témoin enfin, le retard systématique et de plus en plus important pris dans la publication des synthèses mensuelles de pêche, toujours sur le même site, seul élément d’information restant à disposition du public.
La pêche, celle des requins tigres en particulier, ne sert plus désormais qu’à justifier l’existence même du CSR et les subventions exorbitantes qui lui sont allouées. Alors que faudra-t-il pour remettre enfin en question ce programme absurde ? »
En conclusion, il n’y a aucune justification sécuritaire valable à continuer de massacrer des requins tigres et bouledogues à La Réunion.
Photo du haut : requin tigre (Galeocerdo cuvier) © Myriam Dupuis