L’éditorial d’Olivier Nouaillas, « Twitter, nouveau relais du climato-scepticisme ? », a suscité une vive réaction de notre adhérent Roland de Miller. Voici son texte, suivi d’une réponse d’Olivier Nouaillas.
Bonjour Olivier,
Ton éditorial récent « Twitter, nouveau relais du climato-scepticisme ? » dans la Lettre d’infos des JNE du 27 février m’a fortement interpellé. Puisque tu sollicites notre réponse de membres, je te donne la mienne.
Bien sûr, je partage entièrement ton intention de combattre le climato-scepticisme croissant, il n’y a aucun doute là-dessus. Encore faut-il le faire avec des arguments qui ne soient pas boiteux ! Tu cites un article du Monde écrit par « quatre scientifiques du CNRS ». Je ne suis pas compétent pour juger de leur enquête sur les « 400 millions de tweets » (d’autant que je ne pratique pas ce genre de sport et que je me méfie des réseaux anti-sociaux pour leurs « ravages décivilisateurs »), en revanche je suis indigné de leurs conclusions biaisées que tu reproduis, hélas, sans aucune analyse critique. Affirmer que « ce courant climato-sceptique se relie à une tendance de fond complotiste » me paraît abusif, injustifié et scabreux. Cela reflète bien la tendance de fond du journal conformiste Le Monde qui cherche depuis trois ans à fustiger « le complotisme ». C’est dans l’air du temps ! Cela fait bien ! C’est « politiquement correct » ! Compte-tenu des accusations calomnieuses qui ont été proférées à tort contre les « complotistes », ne penses-tu pas que ce terme ambigu serait plutôt à éviter dans une publication des JNE (dont, je te rappelle, l’emblème de la feuille de houx évoque les piquants des lanceurs d’alerte et de la contestation écologique !) ? Je me permets de te signaler, si tu ne le connais pas encore, le livre de Lance de Haven-Smith : Aux origines de la « théorie du complot » (Préface de Ariane Bilheran et Jean-Dominique Michel. Éditions Yves Michel, 2022) qui a définitivement prouvé l’origine sulfureuse et machiavélique de cette notion. Ce n’est pas la première fois que je remarque la condescendance avec laquelle les JNE s’alignent trop facilement sur les propos lénifiants tenus dans Le Monde. Je n’ai aucune tolérance pour ces propos « anti-complotistes » parce qu’ils sont fondés sur une logique mensongère et dégagiste (du style « je détiens la seule vérité et vous n’avez le droit que de vous taire »).
Mais quand je lis, sous ta plume, l’amalgame entre les tweets « climato-sceptiques », les « tweets anti-vax par rapport au Covid 19 » et les « tweets pro-Poutine », je suis proprement horrifié ! Certes, à l’évidence, ce n’est pas toi qui a fait l’amalgame en premier mais ces prétendus « scientifiques du CNRS » (leur statut n’est pas un gage de vérité !). Je ne peux pas accepter que dans une publication des JNE on puisse insinuer une attaque contre les personnes dites « anti-vax », c’est carrément inadmissible quand on sait l’échec, les revers, l’ineptie et l’absurdité de la politique vaccinale officielle anti-Covid. Quel crédit accorde-t-on aux médecines naturelles ? Je ne peux pas admettre le mépris ou la méconnaissance des arguments contre les vaccinations ! Ne pas oser en juger c’est comme ne pas oser se prononcer sur le danger des pesticides. Où accepte-t-on de mettre le curseur entre ce qui est « scientifique » et ce qui ne l’est pas ? Car il viendra un jour où la défense de la santé humaine sera enfin reconnue comme le corollaire de la défense de la nature !
Certes, il faut être passablement dérangé pour prendre la défense de Poutine, mais ce qu’on lit rarement c’est la dénonciation des graves fautes commises par l’Ukraine. Mais c’est un autre débat.
D’une façon générale, les écologistes ont rarement critiqué la gestion technocratique de la crise du Covid par le gouvernement français. Quand est-ce qu’ils intégreront la préoccupation éthique dans chacune de leurs réflexions ? Chez les journalistes dépendants de leurs supports de presse, est-ce de la censure ou de l’auto-censure ? Certains JNE se sont aplatis devant les mesures gouvernementales anti-Covid et ont refusé de voir leur incompatibilité avec l’Écologie. Par exemple, affirmer « sans ces mesures, je ne serais pas allé au Congrès de l’UICN à Marseille », comme je l’ai entendu dire, m’a fait bondir !
C’est quand même pas difficile de comprendre que le combat contre les mensonges du climato-scepticisme (justifiant l’inaction climatique) est convergent avec le combat contre les politiques vaccinales mensongères et nuisibles parce que, derrière les deux, il y a le même techno-capitalisme du désastre et de la désinformation !
Comme la propagande des grands médias vante la prétendue « efficacité des vaccins », insinuerais-tu que les comptes tweets ont tort de contester cette efficacité ? Ton propos est la question du climat mais, dans un esprit de convergence des luttes, tu pourrais au contraire d’une part te réjouir qu’un grand nombre de gens aient enfin les yeux ouverts sur les aberrations des politiques vaccinales et, d’autre part, t’interroger sur la manière de combattre les manipulations de masse et le greenwashing institutionnel. Il serait temps que les journalistes reconnaissent qu’ils peuvent être, même à leur insu, les jouets de manipulations de masse.
Il me paraît plus intéressant de débusquer les racines patriarcales profondes du climato-scepticisme comme le fait le livre récent de Cara Daggett Pétromasculinité (Wildproject, 2023), parce que, comme le dit la préfacière Fanny Lopez, « cerner la profondeur du phénomène du déni climatique nécessite de questionner les matrices de domination qui le sous-tendent ». En effet, Cara Daggett a défini en 2018 le terme de « pétromasculinité » pour mieux appréhender comment l’extraction et la consommation de combustibles fossiles tel le pétrole sont emblématiques de la société conservatrice occidentale et de la masculinité hégémonique. C’est très visible dans l’extrême droite américaine, à la fois misogyne, raciste et climato-négationniste, mais aussi en France où, derrière le lobby des énergies fossiles qui freine la transition écologique, il y a la volonté de maintenir la domination masculine capitaliste. Le meilleur exemple de cela est la manière scandaleuse dont l’activiste suédoise Greta Thunberg a été conspuée dans une partie de la presse pour ses alertes climatiques. L’écoféminisme est là pour relever ce défi et nous devons lui donner toute la place qu’il mérite.
J’espère que tu reconnaîtras et admettras ma position critique. Elle peut être publiée librement. Est-ce que tu feras une synthèse des réponses reçues ?
Bien cordialement,
Roland de Miller
Voici la réponse d’Olivier Nouaillas
C’est un fait que, d’après l’étude du CNRS, 60 % des tweets climatosceptiques sont l’oeuvre de gens qui sont également antivax et pro Poutine.
Il n’y a qu’aller sur le site du CNRS pour le vérifier. Ce qui ne veut évidemment pas dire – et Roland a raison de le souligner – que tous ceux qui sont antivax sont climatosceptiques ou/et pro Poutine.
Cela dit, et même si ce n’est pas le débat posé par l’étude du CNRS, dans ce qu’on appelle les antivax, il y a à boire et à manger.
Des gens sincères et d’autres plus « conspirationnistes ». Car je suis moins optimiste que Roland sur l’influence du complotisme, que je ne confonds évidemment pas non plus avec les lanceurs d’alerte, si utiles par leur travail de révélation sur les lobbys, y compris ceux de l’industrie pharmaceutique.
Même si c’est d’avantage une nébuleuse qu’un mouvement organisé, le « complotisme » – c’est-à-dire l’accusation sans preuve, les infos fausses et non vérifiées, les amalgames, la recherche du coupable fantasmé, le rejet de la science, le goût pour les thèses les plus délirantes sur tous les sujets, etc… –
est, en effet, devenueune envahissante réalité, notamment sur Internet. C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis où on a vu, dans une époque récente, les nombreuses passerelles entre le mouvement QAnon et les partisans de Trump, ce qui a mis gravement en danger les valeurs démocratiques.
Et c’est loin d’être fini…
Image du haut : deux années d’échanges Twitter passées aux macroscopes par l’équipe du Climatoscope (CNRS)