Le Comité Français de l’UICN a publié un « manifeste éthique » ayant pour titre L’avenir du vivant, nos valeurs pour l’action, proposant une vision désirable des relations entre les humains et la nature. Ce manifeste est fondé sur la science et propose des valeurs pour habiter autrement la Terre et protéger la vie sur Terre. Patrick Blandin, ancien professeur d’écologie du Muséum national d’Histoire naturelle, fondateur, au nom du Muséum, du Comité Français de l’UICN dont il est président d’honneur, nous a présenté le manifeste et ses idées-forces.
par Christine Virbel Alonso *
Patrick Blandin a d’abord souligné que le questionnement éthique a traversé depuis très longtemps les mouvements de conservation de la nature, avec des tensions entre des tendances explicitement utilitaristes (« conserver les ressources naturelles pour pouvoir en bénéficier durablement ») et des tendances « culturelles », voire « spirituelles » (« la contemplation des beautés de la nature élève l’âme »). L’UICN n’y a pas échappé. Le besoin d’une réflexion éthique s’est traduit par la constitution d’un groupe de spécialistes au début des années 1980, qui est devenu l’Ethics Specialist Group, rattaché à la Commission mondiale du droit de l’environnement. Ce groupe a produit des textes d’orientation éthique dans les années 1990. Après le Sommet de Rio de 1992, plusieurs de ses membres ont travaillé à l’élaboration de la Earth Charter, un texte international issu de la société civile, qui a été adopté comme référence éthique générale par l’Assemblée générale de l’UICN en 2004. Par la suite, l’Ethics Specialist Group a élaboré une Biosphere Ethics Initiative, texte affirmant des valeurs et des orientations d’action qui a été adopté par le Conseil de l’Union en 2010. Ces différents textes ont influencé fortement l’écriture de la vision de la Stratégie Nationale pour la Biodiversité de 2011-2020.
Dans le cadre de la préparation du Congrès Mondial de la Conservation de Marseille, le Comité français, en lien avec des membres de l’UICN de plusieurs parties du monde, a tenté de faire passer l’idée que la crise écologique résulte d’une crise de gouvernance à toutes les échelles, et que cette crise à sa source dans une crise éthique. Autrement dit, parce qu’il y a perte de « valeurs-repères » et de visions de l’avenir motivantes. Le Comité français s’est engagé à proposer une vision cohérente d’un monde désirable, une vision qui puisse générer espérance et engagement grâce au manifeste.
Ainsi, le Manifeste attribue à tout organisme vivant trois valeurs :
– une valeur d’existence, à savoir que cet organisme fait partie du monde vivant, qu’il y tient une place et en est un acteur par les interactions qu’il a avec d’autres organismes;
– une valeur de mémoire car il est issu d’une histoire, d’une évolution enracinée loin dans le passé et dont il garde un bout de mémoire dans les séquences de ses gènes;
– une valeur d’avenir car il transmet à sa descendance son patrimoine génétique et contribue ainsi à la diversité génétique des générations suivantes, donc à leur capacité d’adaptation à des circonstances nouvelles. Et même s’il ne se reproduit pas, tant qu’il vit, il contribue au fonctionnement du système écologique dont il fait partie et donc à son maintien dans la durée. Et une fois mort, il y contribue encore, en tant que proie, ou en tant que matière organique que d’autres êtres vont décomposer.
Les auteurs du Manifeste ont tenu à étendre ces trois valeurs aux systèmes écologiques que composent les organismes vivants. Plus grande est leur capacité d’adaptation, plus l’avenir de la vie est assuré.
L’idée du Manifeste est donc que les humains, s’inspirant des valeurs qu’il propose, agissent ensemble pour changer leurs relations avec la nature, dont ils sont tous parties prenantes. En effet, un humain, au regard de l’histoire de la planète et de son fonctionnement écologique actuel, n’est pas différent des autres vivants. Il est comme chacun d’eux un résultat de la dynamique évolutive. Ce constat nous invite à la modestie, à l’abandon de l’arrogance. Les autres vivants sont tous nos cousins, proches ou très éloignés; ils sont en ce moment même nos compagnons écologiques, et nous sommes ensemble le matériau du futur de la vie.
Ceci invite à dépasser la notion d’appropriation individuelle, et même celle de bien commun, pour donner une pleine dimension au concept de « droit de la nature », dont on sait les avancées récentes, avec par exemple la personnalité juridique accordée à des fleuves. Il en résulte un passage du respect à la solidarité, de la solidarité à la convivialité, de la convivialité à la co-construction de projets collectifs de vie, impliquant négociation et délibération démocratiques, dans le respect de la diversité des autres vivants. Cela se décline par le principe d’interférence minimale. C’est-à-dire que toute action devrait être conçue et conduite de telle manière qu’elle interfère le moins possible avec les processus biologiques et écologiques spontanés. Cela pose en particulier le problème des manipulations génétiques. Pour arriver à une interférence minimale, il faut penser les projets au niveau des territoires et procéder à une cohabitation à « bénéfices réciproques ». C’est ce que font par exemple des collectivités locales qui s’engagent dans la transition écologique. Mais chaque situation appelle une réponse particulière.
De façon concrète et en ce qui concerne les JNE, il s’agit de se saisir des valeurs du manifeste pour indiquer la valeur derrière l’action dans les articles et les reportages. Il est aussi très important d’amener les interlocuteurs à exprimer et expliciter les valeurs qu’ils portent et justifient leurs actions.
* Membre des Journalistes-écrivains pour la nature et l’écologie (JNE), Présidente de la Commission Éducation et Communication à l’UICN France