C’est comme si la nature se battait pour reprendre ses droits face au réchauffement climatique provoqué par les activités humaines. Avec un retard de près d’un mois sur le calendrier, du fait du déphasage dans l’alternance des saisons, l’hiver a fini par amener son lot de pluies, de neige et de froid dans sur une grande partie de l’Algérie.
par M’hamed Rebah
Vendredi 20 janvier 2023, un bulletin météorologique spécial (BMS), émis par l’Office national de la météorologie (ONM), a annoncé, pour le nord du pays et les hauts plateaux, des chutes de neige sur les reliefs dépassant les 800 mètres d’altitude, évoluant localement vers des altitudes plus basses en soirée. Durant la période de validité de ce bulletin – deux jours au moins – l’épaisseur de la neige devait osciller entre 10 et 20 cm. La Protection civile a accompagné le BMS d’un message appelant les automobilistes à davantage de prudence et de vigilance et à suivre les consignes de sécurité lorsqu’ils conduisent leurs véhicules. Cet épisode glacial a surpris les Algériens, qui avaient commencé à s’accommoder d’un hiver aux allures printanières, voire carrément d’été. Une impression plus forte encore sur le littoral avec une mer calme, un ciel ensoleillé et des températures élevées en fin d’année.
De la mi-décembre 2022 à la mi-janvier 2023, au centre d’Alger, les terrasses des cafés étaient pleines, les jardins publics aussi et les rues commerçantes grouillantes de monde. A la campagne, l’ambiance était à l’inquiétude chez les agriculteurs qui redoutent toujours le spectre de la sécheresse préjudiciable à leur activité. En raison de la faible pluviométrie, la prière pour la pluie (salat El-Istisqa) a été accomplie à travers les mosquées du pays. Chez les spécialistes du climat, par contre, il n’y pas eu de signe de panique. Salah Sahabi-Abed, directeur de l’exploitation météorologique et de la climatologie à l’ONM, indiquait à l’APS (Algérie Presse Service) que, de décembre 2022 à février 2023, « l’on s’attend à une saison plus chaude que la normale climatique habituellement observée ». Mais, prudent, il avertissait que « l’hiver de cette année pourrait connaître des épisodes de pluie intense de courte durée avec des quantités de pluies localisées très importantes susceptibles d’engendrer des inondations ». Salah Sahabi-Abed, qui est aussi expert auprès de l’Organisation mondiale de la météorologie (OMM), invitait « les populations et les autorités locales à accorder plus d’attention aux avertissements et bulletins météorologiques émanant de l’ONM ». Au passage, il confirmait ce que l’on savait déjà: les phénomènes extrêmes, accentués par le changement climatique, font, depuis quelque temps, le quotidien de chacun. Les incertitudes, dans le monde, sur la capacité à lutter contre le changement climatique, et le scepticisme exprimé par des spécialistes sur l’efficacité, voire l’utilité des COP (Conférences des Nations unies sur les changements climatiques) n’incitent pas à l’optimisme.
La hantise de la sécheresse
Les études montrent que les scénarios futurs du climat mettent en évidence tantôt des pluies intenses de courte durée et parfois des périodes de sécheresse prolongée. C’est exactement ce qui se passe en Algérie. Les Algériens commencent à s’y habituer. Les agriculteurs sont attentifs aux périodes de sécheresse. Sans précipitations, ils auront moins d’eau, ou pas du tout, pour leurs cultures. C’est particulièrement vrai pour la céréaliculture qui dépend des pluies. Dans cette ambiance d’inquiétude, le responsable de l’organisation et de la régulation des filières agricoles, au ministère de l’Agriculture et du développement rural, Ali Zoubar, a tenu des propos rassurants sur la filière des céréales. « La situation n’est pas alarmante », affirmait-il alors que les médias lançaient leurs alertes sur la sécheresse. Il compare avec la saison agricole passée : en 2022, « il y avait un manque des pluies en décembre et janvier et les précipitations des mois de mars et avril ont permis aux céréales de se développer et d’assurer une bonne récolte avec plus de 40 millions de quintaux produits ». En fait, le même phénomène météorologique avait été observé durant trois années consécutives (2019, 2020 et 2021), avec un retard des pluies attendues en décembre et janvier jusqu’aux dix derniers jours du mois de février, et des intempéries en février et mars incluant même des chutes de neige.
Pour la chargée de communication à l’ONM, Houaria Benrekta, la météo actuelle dans les wilayas du nord du pays, considérée comme hivernale par excellence, était attendue depuis des semaines, selon les modèles numériques de suivi météorologique. Sa sérénité est partagée par des responsables de l’agriculture qui estiment que les pluies de ces derniers jours contribuent à sauver la saison agricole. Il y va de la sécurité alimentaire qui subit, en plus du changement climatique, les menaces liées aux fluctuations internationales sur le marché des produits agricoles, entraînées par les conflits géostratégiques dans le monde. La réduction de la vulnérabilité du pays aux facteurs de dépendance externe et le renforcement de ses atouts de souveraineté, dépendent en grande partie des efforts prioritaires à déployer pour assurer la sécurité alimentaire, d’où l’insistance des autorités sur le développement des filières stratégiques, les céréales et les cultures industrielles. Préalable à ce programme : la mobilisation des ressources en eau pour l’irrigation, qui constitue l’appoint nécessaire à la céréaliculture quand les pluies font défaut.
Les responsables algériens estiment que les conditions climatiques sont le seul obstacle ayant empêché de réaliser plus tôt l’autosuffisance en matière de production de céréales, un objectif « à la portée de l’Algérie », estiment-ils. L’apiculture également subit la contrainte des conditions climatiques. Le président de l’Association nationale des apiculteurs professionnels, Slimane Tali, a fait savoir récemment que la production de miel enregistre un recul depuis 2018 en Algérie en raison notamment du changement climatique. Le rendement de la ruche a chuté de 10 kg en 2018 à 5 kg durant l’actuelle saison. Certes, parmi les causes de ce recul, il y a aussi l’utilisation anarchique des pesticides et la régression des aires de prairies mellifères du fait des incendies de forêts.
Le changement climatique et la sécheresse ont la plus grosse part dans le recul des rendements des activités agricoles. Cette situation est particulièrement dramatique pour les petits agriculteurs et les coopératives agricoles familiales. Les spécialistes algériens s’efforcent de trouver des remèdes à travers des solutions tendant rationaliser l’utilisation de l’eau disponible et à préserver les ressources hydriques destinées à l’agriculture. Les chercheurs pensent à la création de dispositifs de surveillance de l’humidité du sol qui aident les agriculteurs à irriguer à moindre coût. L’ONM, qui possède un service vigilance et études climatiques, œuvre à développer ses produits destinés au secteur agricole, notamment par le biais d’indicateurs climatiques pour suivre les cultures stratégiques tels le blé et l’orge, et fournir des bulletins qui aident les agriculteurs à prendre des décisions en temps opportun.
La politique de l’eau
L’attention particulière accordée par le président Abdelmadjid Tebboune à la sécurité hydrique est confirmée par les orientations et directives qu’il donne à ce sujet lors des conseils des ministres. Quant aux spécialistes, se référant aux études internationales consacrées aux ressources en eau dans la région, ils rappellent, à chaque occasion, que l’Algérie, pays aride, va encore connaître des périodes de sécheresse. Pour assurer la sécurité hydrique, ils ont suggéré de se libérer de la contrainte imposée par le réchauffement climatique et réduire la dépendance de la pluviométrie pour les ressources en eau. La stratégie de mobilisation des eaux non conventionnelles – dessalement de l’eau de mer et réutilisation des eaux usées épurées – va dans ce sens. Selon l’objectif fixé par le président Tebboune, le dessalement de l’eau de mer doit fournir 60 % de l’alimentation en eau potable, le reste serait partagé, 20 % chacun, entre les eaux superficielles (barrages) et les eaux souterraines (nappes phréatiques). Il s’agit de préserver les réserves stratégiques nationales en eau.
Un vaste programme de production d’eau dessalée a été lancée par l’AEC ( Algerian Energy Company, filiale de Sonatrach) au début des années 2000. A cette époque, le Comena (Commissariat à l’énergie atomique) avait proposé d’utiliser l’énergie nucléaire dans ce programme. Créé en décembre 1996, le Comena a pour mission de promouvoir l’utilisation de l’énergie nucléaire dans les secteurs de l’agriculture, l’hydraulique, l’industrie, la santé, l’aménagement du territoire ou les travaux publics. Pour rappel, l’Algérie dispose de deux réacteurs implantés à Draria, près d’Alger, et à Ain Oussera, au sud d’Alger, d’une capacité de 1 mégawatt (MW) pour le premier, Nur, et de 15 MW pour le second, Es Salem. C’est dérisoire par rapport à l’ambition algérienne caressée en 1974 (il y a presque 50 ans !) d’une ou plusieurs centrales de 600 à 900 MW, qui devaient assurer l’alimentation en énergie électrique et se substituer au gaz et au pétrole plus facilement exportables. En mars 2020, parmi les orientations données par le président Abdelmadjid Tebboune en Conseil des ministres, figurent l’introduction de l’énergie nucléaire dans le projet énergétique et la maitrise de la gestion et du traitement des déchets nucléaires.
Avec l’électronucléaire, le dessalement nucléaire est dans la vocation du Comena, un peu comme l’AEC qui a pour activités principales, la génération d’électricité et le dessalement d’eau de mer. Selon la définition de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), « le dessalement nucléaire est la production d’eau potable à partir de l’eau de mer dans un complexe intégré où le réacteur nucléaire et le système de dessalement se trouvent sur le même site, où les installations et les services pertinents sont mis en commun, et où l’énergie utilisée pour le dessalement est produite par le réacteur nucléaire ». Ce n’est pas une nouveauté pour l’Algérie. « Les activités de recherche et développement dédiées au dessalement nucléaire ont été initiées dès 1991 », peut-on lire sur le site du Comena. Le souci était déjà de « préserver la source d’énergie privilégiée qu’est le gaz naturel, en faisant appel à d’autres sources d’énergie telles : les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire ».
Les chercheurs du Comena, en collaboration avec le personnel technique de l’AEC, ont bouclé une étude sur le dessalement nucléaire il y a une quinzaine d’années. On apprend sur le site du Comena que « les résultats des études engagées dans le domaine du dessalement nucléaire à l’échelle nationale ont été valorisés sous forme de rapports internes, de publications et de communications présentées dans différentes manifestations scientifiques de rang international et national ». L’eau produite par les stations de dessalement sera utilisée pour les processus d’électrolyse nécessaires à la production d’hydrogène, ce qui permettra d’économiser les ressources en eau conventionnelles (superficielles et souterraines) du pays. C’est l’instruction donnée par le président Tebboune en Conseil des ministres, le 25 décembre dernier. L’hydrogène vert sera donc probablement issu du dessalement nucléaire.
Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du dimanche 22 janvier 2023.
Photo en haut : Alger, pluie et 10° C, vers midi, 24 janvier 2023 © M’hamed Rebah