D’animal sauvage, le sanglier est devenu animal cynégétique, nous disent les auteurs, tous les deux géographes. Ce changement de statut puise ses racines dans les années 1970. A cette époque, apercevoir la « bête noire » faisait encore partie de la quête des naturalistes. Le sanglier était l’emblème du sauvage. Aujourd’hui, le «.cochon » est partout et les naturalistes ne s’y intéressent plus vraiment sauf ceux qui siègent dans les commissions administratives comme la commission départementale de chasse et faune sauvage (CDCFS). L’évolution du nombre des animaux abattus annuellement sur l’ensemble du territoire est significative : 35 000 individus au début des années 1970, 800 000 en 2020 « soit une multiplication par 23 en cinquante ans », soulignent les auteurs. Une augmentation qui pose question d’autant qu’une telle évolution est tellement « contraire aux tendances observées pour la plupart des espèces sauvages aujourd’hui. »
La responsabilité des chasseurs ne fait aucun doute. Lorsque le petit gibier (perdrix, lièvres, lapins) a commencé à disparaître à cause de l’agriculture indistrielle et l’utilisation massive des pesticides, il était urgent de proposer aux chasseurs potentiels du gibier à tirer. Pourquoi pas du gros, sangliers et cervidés ? L’idée a fait son chemin et tout a été fait pour que ce gros gibier se multiplie. Côté sanglier, tout était bon pour arriver à un tel résultat : préservation des géniteurs et des femelles, élevage, croisement avec les cochons domestiques, importation. Opération réussie au-delà de toute espérance puisque, aujourd’hui, les chevreuils et surtout les sangliers pullulent au point d’être un réel problème pour l’agriculture et la foresterie et un casse-tête pour les chasseurs qui n’arrivent plus à gérer l’espèce d’autant que les indemnisations sont à leur charge. En effet, dans les années 1970, pour pouvoir gérer l’espèce comme ils le souhaitaient, c’est à dire la multiplier, ils se sont engagés dans ce sens. Ils ont bien engagé un recours pour changer ces règles préalablement établies mais sans succès.
Les sangliers sont partout même dans les espaces urbains. Ils sont devenus un enjeu public au-delà des instances du monde cynégétique d’où le sous-titre de l’ouvrage. Que faire ? Les auteurs préconisent une gestion adaptative pour répondre à l’évolution des situations localement – la menace de peste porcine africaine (PPA) est un réel enjeu sanitaire – de façon à respecter l’autonomie et la diversité des modes d’existence de la faune sauvage. Mais la position des chasseurs restent ambiguë : ils régulent certes mais dans le souci permanent de préserver la ressource attractive et limiter l’érosion du nombre de chasseurs qui eux, veulent avoir beaucoup de gibier à tirer !
Entre chaque chapitre, Raphaël Mathevert et Roméo Bondon proposent un cours texte « à la hauteur de l’animal », une tentative de percevoir le monde à la manière de ces animaux dont le comportement reste encore finalement assez méconnu malgré les progrès des scientifiques qui disposent désormais de nombreux outils (GPS, pièges photos, etc.) pour affiner les connaissances. Ce livre qui fait le point sur le « problème sangliers » en France est assurément un ouvrage essentiel qui vient combler un vide sur ce sujet épineux devenu réellement politique.
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Éditions Actes Sud, collection Mondes sauvages, 208 pages, 22 € – www.actes-sud.fr
Contact presse : Émanuèle Gaulier. Tél.: 01 55 42 63 24 – e.gaulier@actes-sud.fr
(Danièle Boone)
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