« Nous ne nous battons pas contre les agriculteurs, nous nous battons contre un système agricole qui détruit le vivant et qui fait disparaitre les petits paysans ». Cette phrase a souvent été entendue de la part des intervenants avant le départ en manifestation de quelque 7000 à 10 000 personnes et notamment par le porte-parole national de la Confédération paysanne, Nicolas Girod. Un syndicat agricole, certes minoritaire, mais qui représente de nombreux agriculteurs, pour la plupart des petits paysans fortement menacés par les projets actuels visant à maintenir une agriculture industrielle pourtant obsolète.
par Pierre Grillet
Samedi 29 octobre, le collectif Bassines non merci (BNM), soutenu par plus d’une centaine d’organisations nationales diverses ainsi que de nombreuses personnalités, a permis un rassemblement qui marquera très certainement la suite de la lutte par son importance, son déroulement et l’attitude de l’Etat. L’ État soutient le développement de plus d’un millier de ces bassines dans toute la France. Il s’agit d’immenses réservoirs de plusieurs hectares (celle qui a motivé ce rassemblement à Sainte-Soline fera plus de 14 hectares). Les JNE ont organisé il y a quelques mois un débat sur ce sujet, Il s’agit de réserves d’eau puisée dans les nappes phréatiques (l’eau de pluie étant largement insuffisante pour assurer leur remplissage) en hiver afin d’assurer l’irrigation des cultures, dont notamment le maïs en été. Outre les impacts négatifs sur les nappes phréatiques, de tels « outils » sont particulièrement coûteux autant en termes de finances publiques (financées à 70 % par les Agences de l’eau et l’Etat) qu’en termes énergétiques : alors que l’agriculture industrielle utilise déjà beaucoup trop d’énergie, quel sera le coût énergétique de ces réserves qui, rappelons-le, sont des bassins de 10 à 14 mètres de profondeur, couvrent plusieurs hectares, sont totalement recouverts par du plastique pour assurer leur étanchéité, nécessitent un important matériel de pompage et des kilomètres de canalisations pour alimenter les exploitations agricoles concernées et dont il faudra bien assurer un entretien régulier. Au service d’une minorité d’agriculteurs, ces outils, exigés par la FNSEA et fortement soutenus par le gouvernement, ne serviront qu’à permettre la prolongation artificielle d’un type d’agriculture destructeur et dépassé.
Le collectif BNM avait prévenu : « si le chantier démarre à Sainte-Soline, un mois après nous appellerons à un grand rassemblement national sur le site pour empêcher les travaux ». Promesse tenue. Ce rassemblement a donc été organisé en moins de 30 jours ! Face à la mobilisation affichée, l’État, par l’intermédiaire de la Préfète des Deux-Sèvres, a décidé de museler la contestation en décrétant non seulement l’interdiction de la manifestation, mais également toute circulation sur un large périmètre pendant plusieurs jours. La Préfète n’a cessé peu avant la date annoncée de se répandre dans tous les médias pour rappeler son interdiction et les risques encourus, de manière à dissuader le plus grand nombre de personnes, dont plus particulièrement les familles, d’y participer. Ce sont plus de 1500 gendarmes et au moins 6 hélicoptères qui ont été mobilisés pour l’occasion. Malgré ces manœuvres, 7000 personnes ont bravé les interdits pour se retrouver le 29 octobre sur un terrain prêté par un agriculteur, à environ kilomètres du site de la bassine. Cet ancien irrigant dénonce aujourd’hui le gâchis engendré par de tels outils. Grâce à ce paysan, ce terrain restera à disposition du collectif jusqu’au printemps prochain…
Répartis en trois cortèges prenant chacun des itinéraires différents avec comme objectif commun la « prise de la bassine », des milliers de personnes se sont donc élancées l’après-midi bien décidées à atteindre le but fixé malgré les multiples barrages policiers mis en place sur les parcours. Ce qui s’est déroulé après souligne le degré d’irresponsabilité de la préfecture qui a délibérément, par son attitude agressive et disproportionnée, mis en danger autant les gendarmes que les manifestants. En pleine campagne, alors qu’il n’y avait rien à défendre (y compris sur le chantier de la bassine, immense désert de cailloux et duquel les entreprises avaient retiré tout leur matériel), les manifestants se sont heurtés à de nombreux barrages de police et ont été constamment aspergés de gaz tout au long des parcours. Certains, dont une députée pourvue de son écharpe tricolore, se sont fait matraquer. Une véritable ambiance de guerre provoquée et voulue par l’Etat. Si certains manifestants se sont défendus en répondant à ces agressions par des lancers de pierres, il s’agissait en fait de se défendre et protéger l’ensemble des groupes qui continuaient d’avancer malgré tout. Finalement, l’un de trois groupes a réussi à pénétrer sur le site de la bassine et à y rester quelques instants, montrant ainsi à la préfecture toute la détermination de citoyens en colère.
Cette journée restera très certainement une date marquante. Autant par l’attitude de l’État qui refuse encore une fois d’écouter le peuple que par la détermination des opposants. Tout est mis en place du côté des autorités pour parvenir à un accident grave. Le 29 octobre, un tel accident aurait pu se produire. Nous sommes passés tout près d’une catastrophe. Que va-t-il arriver par la suite ? Le 30 octobre, les manifestants restés sur place sont arrivés à démonter des tuyaux qui pompent dans la nappe au niveau du Bignon, un cours d’eau à sec comme de nombreux autres au vu du niveau de sécheresse et de la crise climatique. Pour fonctionner, la future bassine risque d’utiliser certains de ces réseaux tout en rajoutant plus de 18 kilomètres de canalisations. Au moment où ces lignes sont écrites (nuit du 30 eu 31 octobre), les gendarmes n’autorisent la sortie des véhicules stationnés à l’intérieur du camp de base qu’à la condition de payer une amende de 135 euros, voire plus, si plusieurs passagers sont à l’intérieur… Les interdictions préfectorales prennent normalement fin le lundi 31 octobre, mais les autorités ont fait savoir que la préfète prendrait très certainement de nouveaux arrêtés. La préfecture communique sur le fait que des dizaines de gendarmes auraient été blessés et oublie de mentionner les dizaines de manifestants qui l’ont été, dont certains assez sérieusement pour se retrouver à l’hôpital. Plusieurs interpellations de manifestants ont également eu lieu.
Il est important que les JNE se mobilisent pour suivre ces actions en cours. L’information joue un rôle primordial, tant les fausses nouvelles répandues par l’État non seulement sur le déroulé de la manifestation mais aussi sur le fonctionnement de ces bassines (notre ministre de l’Agriculture a encore, il y a quelques jours, prétendu que les bassines seraient remplies directement par l’eau de pluie, sans se faire contredire par le journaliste). Le ministre de l’Intérieur pour qui les mots perdent totalement leur sens, parle lui d’ « écoterrorisme » au sujet de la manifestation du 29 octobre. Le mouvement pour une autre agriculture et contre les bassines prend de plus en plus d’ampleur. Jusqu’où l’État refusera-t-il de l’admettre ?
Pour comprendre comment l’État a imposé les bassines en Deux-Sèvres, lisez un autre article de Pierre Grillet en cliquant ici.
* Membre des JNE et auteur de Protection de la nature et capitalisme : incompatibles, Éditions Atlante.
Photo du haut : la manifestation du 29 octobre 2022 à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre les méga-bassines agricoles © Pierre Grillet