On connaissait les groupes d’activistes engagés dans la défense de l’environnement, les ONG de protection de la nature parfois centenaires comme la LPO, celles luttant contre la faim dans le monde ; on signait parfois des pétitions ou on défilait dans la rue contre l’exploitation des animaux à fourrure et on faisait des dons. Mais il manquait toujours une partie de la population qui ne s’engageait pas plus que ça, qui restait sur sa réserve non partisane : le monde scientifique, pourtant le premier à mesurer l’avancée des dégâts faits à la nature, au climat et aux hommes, qui s’en tenait à ses chiffres et pourcentages, même si certains n’en pensaient pas moins en silence.
par Christine Virbel Alonso
Cette époque est peut-être révolue. En effet, 50 ans après le rapport Meadows, la patience des scientifiques de laboratoires, de celles et ceux oeuvrant dans des universités et des institutions dépendantes de l’Etat, parfois même conseillers des décideurs politiques, commence à atteindre ses limites.
Biologistes, entomologistes, mammalogistes, ornithologues et autres spécialistes des sciences de la Terre en ont assez de signaler, d’avertir les décideurs qui donnent encore aujourd’hui la priorité au PIB plutôt qu’à l’urgence de sauver tout simplement la vie sur Terre. Or, faut-il le rappeler, le PIB mesure la production économique d’un pays, la création de « richesses », fussent-elles destructrices des ressources et du vivant. Le PIB a été défini dans les années 1930. Cent ans plus tard, il paraît beaucoup moins pertinent quand la reconstruction d’une zone après un ouragan qui a tout détruit et tué des vies, est considérée comme de la croissance et donc de la création de richesses. Il ne fait pas non plus la différence quand ces richesses se concentrent dans les mains de quelques multimilliardaires qui pensent « voyages dans l’espace », pendant que les personnes en situation de précarité énergétique (en clair, les pauvres ! ) se demandent le matin si elles vont faire augmenter le PIB du pays en payant leurs factures de chauffage ou en choisissant d’acheter à manger.
Les scientifiques (puisque c’est le sujet de ce billet) commencent à s’activer sérieusement, notamment dans des actions de désobéissance civile non violentes, souvent hors de leurs frontières pour ne pas être trop remarqués une fois de retour à leur poste, même si certains ne s’en cachent plus. Un groupe activiste nommé Scientist Rebellion a même vu le jour il y a deux ans en Ecosse et compterait plusieurs centaines de membres en France. Le groupe a mené des actions en Allemagne et en Italie, notamment.
Moins sur le terrain, mais sentant la colère monter en eux, les conseillers et experts scientifiques, parfois membres d’organismes et d’institutions rédigeant des notes à l’attention des décideurs politiques, commencent aussi à changer de ton. Dans leurs notes, ce ne sont plus des chiffres suivis de phrases au conditionnel préconisant les actions que l’on pourrait entreprendre pour diminuer tel ou tel problème, mais des phrases au présent de l’indicatif, mettant les décideurs devant des faits concrets et demandant des indicateurs de suivi réguliers et un bilan de fin des actions entreprises pour remédier au problème.
Bref, après les méga-feux de forêt cet été, cela commence à sentir le roussi autour des décideurs politiques, pas uniquement en provenance de la pinède. Mais cela sent le roussi pour tout le monde en réalité et n’est-il pas un peu tard ? La fenêtre de tir est très étroite (la décennie actuelle) pour inverser la courbe du CO2 dans l’air et arrêter la perte de biodiversité. Avec l’inflation et la pénurie énergétique qui compliquent les choses, c’est à se demander si on ne va pas tous finir comme des personnes en situation de devenir des Amish cet hiver, et pour les mois ou les années à venir.
Un de mes professeurs d’université avait fait cette remarque : « en cas de crise économique, les inventeurs et les poètes sont ceux qui peuvent proposer de nouvelles solutions ». Moi qui n’avais pas suivi de filière scientifique, car au lycée je réécrivais systématiquement les théorèmes mathématiques – n’arrivant pas à retenir leurs mots justes (mais austères et froids), je m’étais sentie libérée ! Libérée des penseurs économistes rigoureux ; libérée des détenteurs de la vérité économique qui nous avaient tout de même menés à la crise de l’époque… Un univers s’était ouvert devant moi. J’avais l’espoir de pouvoir avancer, un jour peut-être, une idée ingénue à défaut d’être ingénieuse, à la manière d’un stagiaire dans une entreprise qui demande : pourquoi vous faites ça comme ça ? Et à qui on répond ben parce qu’on nous a dit de faire comme ça.
Alors, si les scientifiques, sages et mesurés, commencent à faire autrement, c’est qu’il est peut-être temps de penser les choses différemment nous aussi, comme notre place parmi les autres espèces sur Terre, par exemple. Ou bien, nous qui avons la force de changer le climat terrestre, nous pourrions appliquer la règle des super-héros : « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Pour réussir, il faudra peut-être en appeler aussi aux poètes et aux inventeurs. Parce qu’ils vivent déjà autrement dans leur tête et dans leurs rêves.