L’écofascisme, s’il reste encore minoritaire au sein de l’extrême droite française, ne cesse de prendre de l’ampleur, animé par des intellectuels qui exploitent l’anxiété de plus en plus ressentie par la population concernant les perturbations et catastrophes écologiques. Ils reprennent, au nom d’une idéologie élitiste et xénophobe, nombre d’arguments dont certains sont développés par les écologistes eux-mêmes. Nous ne pouvons pas feindre d’ignorer ces courants à l’heure où le fascisme et l’extrême droite semblent revenir en force en Europe.
par Pierre Grillet *, Mélissa Gingreau, Laury Gingreau, Marie-Do Couturier & Philippe Véniel
« L’écologie doit redevenir ce qu’elle est ; la science du bien vivre chez soi parmi les siens. Science de l’apaisement du rapport à notre foyer, la terre, la vie animale et végétale, et la succession des générations. Science de l’apprivoisement réciproque entre ceux que nous sommes et toutes les formes de vie qui nous avoisinent, qui partagent notre vie, et sans lesquelles nous ne serons pas. Et par-dessus tout, science de l’émerveillement devant le temps qui passe, la succession des saisons, la vie et la mort, et tout ce qui n’a de prix sur aucun marché du monde ». Ce paragraphe est extrait du blog de Hervé Juvin (1), qui conclut ainsi un long texte consacré au « risque écologique ». Ce monsieur, dont la devise écologique pourrait être résumée ainsi « bien vivre chez soi parmi les siens », ancien conseiller de Raymond Barre et Corinne Lepage, est aujourd’hui le « Monsieur Écologie » du Rassemblement national et n’hésite pas à exploiter à sa manière un tel thème. Rappelons quelques citations de ce « référent écologie du RN » pour qui les nomades ne sont que des pillards et qui prône « une écologie identitaire de l’enracinement » : « Les écosystèmes ne vivent que s’ils sont séparés des autres écosystèmes. Le grand problème d’un écosystème, ce sont les espèces invasives », décrivait-il ainsi à l’AFP. Dans un tel contexte, le thème des espèces exotiques envahissantes tant repris par le monde de la protection de la nature devient, pour les fascistes et le RN, un argument contre celles et ceux qu’ils appellent des « étranger.e.s ». « La suppression des frontières est la plus anti-écologique qui soit. L’écologie, ça passe par des limites, ça passe par des frontières, ça passe par des séparations ». Hervé Juvin écrit beaucoup sur l’écologie et particulièrement à travers son blog. Marine le Pen le complimente ainsi : « C’est un homme qui a une vraie vision, qui sait pertinemment où il va ».
Comment ne pas avoir peur face à de tels propos de la part d’un parti qui semble prendre de l’ampleur actuellement ? Comment échapper à une tendance de repli sur soi face à des problèmes dont on a quelquefois du mal à entrevoir des solutions et empêcher l’arrivée d’un écofascisme dont certaines composantes de l’extrême droite semblent de plus en plus proches bien qu’encore minoritaires ? Ses partisans prônent une écologie radicale, enracinée, locale, racialiste, élitiste, souvent couplée à la critique de la société marchande et du capitalisme. Pentti Linkola, naturaliste, ornithologue et parfaitement conscient des problèmes environnementaux, a participé à la mise en avant de l’expression « écofascisme ». Cet écrivain finlandais prônait la désindustrialisation, l’immigration zéro et la réduction de la population pour protéger la planète. L’auteur, mort en 2020, défendait la mise en place de mesures autoritaires pour maintenir la vie humaine sur Terre. Créé en janvier 1969, le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (Grece) mène, au moins depuis le milieu des années 80, un travail idéologique pour incorporer les thèmes de l’écologie à l’extrême droite sous la férule du philosophe d’extrême droite Alain de Benoist, l’un des fondateurs de ce groupement et très en vue dans certains médias. Il se dit lui-même décroissant et utilise le concept de nature pour légitimer « la sélection, l’inégalité et la hiérarchie » (2). Brenton Tarrant, l’auteur de l’attentat de Christchurch en 2019 en Nouvelle-Zélande, avait écrit dans son manifeste de revendication : « Je me considère comme un écofasciste. » Il associait alors « l’immigration et le réchauffement climatique (qui) sont les deux faces d’un même problème : l’environnement est détruit par la surpopulation, et nous, les Européens, sommes les seuls qui ne contribuent pas à la surpopulation. Il faut tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation, et ainsi sauver l’environnement » (3).
Le philosophe Pierre Madelin vit et travaille dans l’État du Chiapas, au Mexique. Dans la revue Terrestres (4), il parle ainsi de l’écofascisme : « par éco-fascisme, il faudrait alors entendre une politique désireuse de préserver les conditions de la vie sur Terre, mais au profit exclusif d’une minorité ». Une ségrégation qui s’apparente à cette « écologie de l’arche de Noé » comme l’écrit et le dénonce Malcom Ferdinand dans son ouvrage Une écologie décoloniale : « sous couvert de bons sentiments, cette écologie de l’arche de Noé reproduit les mécanismes d’asservissements et de domination entre ceux qui rentrent dans l’arche et ceux qui n’y rentrent pas. Entre les élus et les exclus ». Ne nous y trompons pas : le discours fasciste sur l’écologie peut séduire de nombreuses personnes à l’heure où l’extrême droite revient en force dans de nombreux pays dont la France. Certains colloques organisés par l’extrême droite font apparaître sur des stands consacrés à l’écologie, côte à côte, à la fois les livres les plus fascisants de Alain De Benoist et ceux sur l’effondrement de Pablo Servigne, alors que ces deux auteurs sont en totale opposition. Pierre Madelin nous met en garde : « Nous ne sommes pas suffisamment préparés à combattre cette alliance criminelle entre le brun et le vert, ni conceptuellement ni politiquement. » Nous avons déjà évoqué ce risque au cours de nos écrits et nous le réitérons ici car cette question ne doit pas être mise de côté (5). Ne nous leurrons pas : des exemples et propositions provenant d’écologistes peuvent, pour certains, se retrouver dans des argumentaires utilisés par ces courants de l’extrême droite qui prônent aussi la fin du capitalisme. Il ne faut pas se le cacher ou feindre de l’ignorer. Mais il nous faut affirmer que nous n’avons rien de commun avec des revendications dont les fins sont élitistes, et xénophobes. Elles prônent un repli sur soi, la haine de l’autre, la supériorité de la race blanche, en se fabriquant des identités qui seraient liées à tel ou tel terroir et qui ne sont que des illusions sans fondement. Il y a un demi-siècle déjà, André Gorz nous incitait à choisir entre une écologie intégrée par un capitalisme toujours triomphant, récupérateur et encore plus exploiteur et une écologie débarrassée de ce système destructeur quelle que soit son intention : « … Que voulons-nous ? Un capitalisme qui s’accommode des contraintes écologiques ou une révolution économique, sociale et culturelle qui abolit les contraintes du capitalisme et, par là même, instaure un nouveau rapport des hommes à la collectivité, à leur environnement et à la nature ? Réforme ou révolution ? » Nous pourrions dire, en le paraphrasant, que voulons-nous ? Une écologie fascisante adepte de cette « écologie de l’arche de Noé » ou une écologie centrée sur de meilleures relations entre les humains et avec les non humains sans exclusion et l’existence d’une diversité de mondes ayant des relations entre eux ? Nous avons fait notre choix !
« Seul est digne de toi ce qui est bon pour tous. Seul mérite d’être produit ce qui ne privilégie ni n’abaisse personne. Nous pouvons être plus heureux avec moins d’opulence, car dans une société sans privilège, il n’y a pas de pauvres ». Cette phrase de conclusion d’André Gorz dans son très beau texte « Leur écologie et la nôtre » (6) nous semble une réponse parfaite face à une écologie élitiste qui serait fondée sur l’élimination des plus faibles : il faut arrêter de toujours vouloir se hisser au-dessus des autres !
(1) Hervé Juvin, né en 1956, se présente ainsi sur son blog : essayiste et écrivain français. Membre du Conseil scientifique de la Fondation Transcultura, fondée par Umberto Eco, et du Conseil Supérieur de la Formation et de la Recherche Stratégique (CSFRS). Depuis trente ans, développe une activité de réflexion, de conseil aux entreprises et de propositions aux pouvoirs publics. A accompagné des organisations bancaires, des sociétés d’assurance, des sociétés industrielles, des institutions, en France, en Europe, au Maroc, à Madagascar, en Asie et en Afrique.
(2) Lire l’enquête détaillée de Reporterre : Enquête sur l’écofascisme : comment l’extrême droite veut récupérer l’écologie . Gaspard d’Allens. Février 2022.
(3) Extrait de l’article de Benjamin König : De l’écofascisme à l’écologie d’extrême droite. L’Humanité. 5 novembre 2020.
(4) Pierre Madelin. 2020. La tentation éco-fasciste : migrations et écologie. Revue Terrestres.
(5) « Si l’extrême-droite paraît à première vue hostile à toute politique environnementale, il existe bien un risque écofasciste s’adossant à une véritable conviction écologique ainsi qu’à de robustes bases idéologiques. Contrairement à sa conception politique courante, l’écologie n’est donc pas naturellement de gauche. Le discours écologique doit être clarifié pour échapper aux différentes formes de fascisation de l’écologie. » Texte extrait de la présentation par l’éditeur du livre d’Antoine Dubiau : Écofascismes, Editions Grévis. 2022.
(6) André Gorz. 1974. Leur écologie et la nôtre. Ce texte, est paru en avril 1974 dans le mensuel écologiste Le Sauvage. Il est consultable ici sur le site du Monde diplomatique.
* Membre des JNE
Image du haut : la couverture de Leur écologie et la nôtre, anthologie de textes d’André Gorz, éditions Seuil, 2020.