Au milieu des années 1990, les JNE avaient eu le privilège de recevoir Mikhaïl Gorbatchev pour un petit déjeuner organisé par notre président de l’époque, Claude-Marie Vadrot. L’un de nos adhérents, qui l’a (un peu)connu par la suite, témoigne sur son engagement (dont les médias français n’ont guère parlé lors de son décès) en faveur de la planète.
par Yves Paccalet
Mikhaïl Gorbatchev est mort.
Vladimir Poutine, le tyran de toutes les Russies, n’a pas assisté à ses funérailles. Il s’est contenté d’un instant et d’un geste, seul devant le cercueil : il a fait un signe de croix pour la télé…
Mikhaïl Gorbatchev…
J’ai une pensée un peu émue pour ce bonhomme au caractère et au destin complexes, qui a tenu un moment les lendemains de notre espèce sous son doigt proche du « bouton rouge ». Le monde se souvient plutôt de lui comme d’un bâtisseur de paix, inquiet pour notre futur collectif, et persuadé que l’humanité ne s’en sortira jamais sans préserver son unique vaisseau spatial.
Voici comment j’ai (un peu) connu Gorbatchev – que j’ai eu l’honneur de pouvoir appeler « Gorby ».
En 2006, je travaille pour la revue Terre sauvage, dans lequel je publie mes « Sentiers » et mes « Humeurs sauvages ». J’ai quitté formellement (mais pas en conflit d’idées) la Fondation Cousteau en 1992. J’éprouve le besoin de militer dans une structure associative. Je retrouve mon ami Bertrand Charrier, un autre ancien des « Bonnets rouges » et de la Calypso. Bertrand me dit qu’il collabore avec une autre célébrité mondiale : Mikhaïl Gorbatchev.
« Ce n’est plus le Gorbatchev dont tu as entendu parler, me dit-il. Il a abandonné toute ambition politique depuis qu’il a perdu le pouvoir en Russie, à la suite des coups fourrés de Boris Eltsine et du complexe militaro-industriel. Il est devenu un citoyen du monde, moralement secoué par le désastre nucléaire de Tchernobyl, dont il a pris la mesure et tiré les leçons… »
Mikhaïl Gorbatchev dirige l’Union soviétique en 1986, quand l’un des réacteurs nucléaires de Tchernobyl explose en nuage radioactif, près de Kiev, en Ukraine. Après le collapsus du camp communiste, en 1989, et sa vaine tentative pour bâtir une URSS de la glasnost (« transparence ») et de la perestroïka (« reconstruction »), « Gorby » crée une ONG internationale, calquée dans sa structure sur la Croix rouge, et qu’il consacre aux problèmes humains de la paix, en insistant sur la gestion de l’eau. Il appelle Green Cross (« Croix verte ») cette « Croix rouge de l’environnement », dont il devient président en 1994, et à laquelle il confie la mission de prévenir les conflits transfrontaliers liés aux ressources naturelles, aux énergies et à l’approvisionnement de tous les citoyens de la Terre en eau, à la fois molécule de vie et objet de toutes les convoitises…
Mikhaïl Gorbatchev contribue à l’écriture de la « Charte de la Terre », pour une écologie humaine, globale, pacifique et respectueuse des différences entre les hommes. Ce document est présenté en 2002, au Sommet de la Terre de Johannesburg. Les Nations unies sont à deux doigts de l’adopter, mais le lobbying des grandes puissances réussit à le faire rejeter, au terme d’une longue et ultime nuit de négociations.
Bertrand Charrier travaille depuis 1994 à Green Cross International, comme directeur général, puis vice-président. En 2006, il m’apprend que la branche française de Green Cross a besoin d’un président. Il me demande si je voudrais tenir ce rôle. J’accepte.
Il en résulte des actions à la fois ambitieuses et concrètes, dans le domaine essentiel de l’eau et de la paix, qui nous conduisent par exemple en Israël et en Palestine, avec Gérard Collomb, alors maire de Lyon, dont la ville s’investit financièrement et appuie notre combat pour une plus juste répartition des ressources hydriques de la contrée…
De nombreuses autres missions s’ensuivent, mais en 2008, Mikhaïl Gorbatchev décide de quitter sa fonction de président mondial de Green Cross. Il veut faire élire à sa place un Polonais, un nouveau riche nommé Jan Kylczyk, qui a fait fortune (entre autres) dans le pétrole et la bagnole. Pour Bertrand Charrier comme pour moi, il paraît inimaginable de porter à la tête d’une organisation écologiste internationale un oligarque de cet acabit.
Une réunion de crise est organisée à Moscou. Je me revois entrer avec Bertrand Charrier dans l’immeuble qui fut celui du Comité central du Parti communiste de l’Union Soviétique. En passant les portillons et les chicanes, j’ai l’impression de vivre le destin d’un futur prisonnier de la Loubianka…
Mikhaïl Gorbatchev est d’un abord humain très ouvert. Il nous parle de sa tristesse et de sa colère après Tchernobyl. Des sécheresses et des famines qu’il a vécues quand il était enfant… Je suis impressionné de côtoyer ce personnage historique, qui a permis la chute du mur de Berlin et l’effondrement du camp communiste !
Sauf qu’il lui reste quelques réflexes acquis lors de ses années de Politburo, à Moscou… À un moment de notre Assemblée Générale, l’un de ses lieutenants tire d’un dossier un « document », un faux manifeste, une lettre prétendument signée par Bertrand, et qui nous met en cause lui et moi… Selon cette « preuve accablante », nous ne serions que de fieffés conspirateurs, stipendiés par des ennemis de l’écologie afin de nuire à Green Cross et aux nobles causes que cette organisation défend…
Je signerai ma lettre de démission dans la foulée, mais je ne connaîtrai jamais les humiliations et les tortures des condamnés de la Loubianka ! Je n’oublie pas que c’est, quand même, grâce à « Gorby » que cette trop fameuse prison stalinienne a cessé d’accueillir les dissidents d’un régime politique dictatorial, absurde et cruel, qui se voulait le libérateur du prolétariat et des masses opprimées, et qui n’a réussi qu’à les humilier et à les appauvrir davantage !
NB 1. Je raconterai cette rencontre avec plus de détails dans mes Mémoires, qui avancent au contraire de ce que pensent tous mes proches et mon éditeur !
NB 2. Je tiens à ajouter que Green Cross continue de travailler en tant qu’ONG, pour la justice et la paix dans le monde, et surtout pour la préservation et le partage des ressources en eau. Celui qui m’a succédé au poste de président pour la France n’est autre que Jean-Michel Cousteau, le fils aîné du Commandant au bonnet rouge…