Craintes et optimisme se mêlent alors que la population mondiale va atteindre, selon les calculs de l’ONU, 8 milliards d’individus le 15 novembre 2022. Ce nombre appelle réflexion. Stop ou encore ? Qu’on soit nataliste ou malthusien, on considère de façon opposée les statistiques démographiques.
par Michel Sourrouille
Sur le site du Fonds mondial de l’ONU pour la population, on trouve cette réaction : « Le franchissement de ce seuil s’accompagnera sans doute de discours invoquant avec alarmisme le terme de « surpopulation ». Se laisser aller à de telles paroles serait une erreur. ».
Une erreur ? Depuis 1972 et le rapport au Club de Rome sur les limites à la croissance (réédité en 2022, lire notre recension ici) les rapports scientifiques s’accumulent pour montrer que nous avons déjà dépassé par notre nombre et notre consommation la capacité de charge de la planète. Le calcul de l’empreinte écologique de l’humanité montre par exemple que nous utilisons actuellement 1,7 planète pour satisfaire nos besoins. Ainsi la France avait, à partir du 5 mai dernier, consommé plus de ressources naturelles que les écosystèmes ne peuvent en produire. Cela n’est rendu possible que par le fait que nous consommons une partie du capital naturel au lieu de nous contenter de ses dividendes. Aujourd’hui, face aux crises mondialisées, notamment le changement climatique, la dégradation des ressources naturelles, les pandémies et les guerres, notre présent est menacé. Avec un plus grand nombre de personnes, c’est sans doute la promesse de plus de souffrances encore dans l’avenir. Examinons de plus près les chiffres donnés par l’ONU.
La fécondité moyenne mondiale est de 2,3 enfants par femme alors qu’il faudrait favoriser, ce qui est loin d’être fait, le planning familial et la baisse de la fécondité pour arriver progressivement en dessous du taux de renouvellement (soit approximativement 2,1). N’oublions pas que ce taux n’est qu’une indication conjoncturelle reposant sur les comportements féminins de l’année en cours ; cela ne dit rien de l’avenir. De plus, l’inertie démographique est telle qu’une maîtrise de la fécondité à un moment donné n’a des effets que longtemps après. La croissance d’une population dépend en effet de la proportion de jeunes. Trop important, c’est inquiétant, et c’est le cas encore dans plusieurs pays dont l’Inde, le pays qui sera le plus peuplé en 2023. Le taux moyen de croissance de la population mondiale, soit 1 %, veut dire quand même un doublement tous les 70 ans. D’autant plus que cette moyenne mondiale cache des disparités importantes. Il y a vieillissement dans certains pays, mais explosion démographique dans d’autres contrées. Malthus, une référence historique depuis son Essai sur le principe de population, indiquait dès 1798 que « lorsque la population n’est arrêtée par aucun obstacle, elle va doubler tous les vingt-cinq ans, et croître de période en période selon une progression géométrique ». Cela correspond à un taux d’accroissement annuel de 2,8 %. Or selon les statistiques de la Banque mondiale, ce taux est actuellement dépassé par quatorze pays.
Rappelons que, depuis la révolution industrielle, la croissance annuelle de la population mondiale a toujours été positive, signe d’une évolution exponentielle, très rapide, trop rapide. C’est une complète anomalie dans l’histoire longue de l’espèce humaine où taux de natalité et taux de mortalité étaient le plus souvent très proches. Notons que l’ONU nous annonce un « ralentissement de la croissance », mais la date du 15 novembre 2022 pour le passage de 7 à 8 milliards fait de ce dernier milliard le pas qui a été franchi le plus rapidement, en 11 ans. On estime qu’il y avait 1 milliard d’habitants sur Terre en 1800, 2 milliards en1930 et, depuis les années 1960, une augmentation de 1 milliard environ tous les 12 ans. Le poids du nombre sur nos conditions de vie présentes et futures s’alourdit de période en période. L’Afrique concentrera l’essentiel de la croissance. La pression démographique, les conflits et les effets du réchauffement climatique vont multiplier les transferts de population, ce qui va accroître les déséquilibres géopolitiques. Les mouvements migratoires seront de plus en plus difficiles à gérer.
Les projections à plus long terme restent défavorables. Même si l’ONU table sur 10,4 milliards de personnes en 2100 (au lieu de 10,9, projection de 2019), cela fait 2 milliards 400 millions de personnes en plus à nourrir, à loger, à permettre de vivre dignement… Ce qui est impossible sur une planète qu’on a abondamment pillée sans se soucier du sort de nos générations futures et du maintien de la biodiversité. Le pic de population semble, d’après les courbes présentées, se profiler entre 2080 et 2100. Encore faut-il que la dernière phase de la transition démographique, une baisse de la fécondité, soit facilitée par un développement socio-économique dont les bases sont de plus en plus fragiles. Un pic ne veut pas dire forcément stabilisation, cela peut être un retournement de tendance, les prémices d’un effondrement de la population. Cette hypothèse, déjà abordée dans le rapport de 1972 cité plus haut, est mise en avant aujourd’hui par les quelques rares analystes comme Yves Cochet et Pablo Servigne qui montrent que nous avons déjà largement dépassé l’optimum de population.
Dans un contexte démographique de surpopulation, il n’existe à notre connaissance en France qu’une seule association, Démographie Responsable, qui s’inquiète du passage aux 8 milliards d’êtres humains. C’est étonnant.