Il y a 50 ans à Stockholm, le message écologique de l’Algérie

En juin 1972, dix ans après le recouvrement de son indépendance, l’Algérie faisait son entrée sur la scène environnementale internationale, en même temps que 113 autres pays réunis à Stockholm (Suède) pour la première conférence mondiale sur l’environnement convoquée par l’Organisation des Nations unies (ONU).

par M’hamed Rebah

Cet événement de dimension planétaire marquait alors un grand tournant dans l’attitude des hommes à l’égard de la nature. Une décennie auparavant, seuls quelques pays développés se préoccupaient des dégâts causés par les pollutions et accordaient un intérêt à la gestion de leurs ressources naturelles.

La délégation algérienne à la Conférence de Stockholm, conduite par le Secrétaire d’Etat au Plan, Kemal Abdallah Khodja, a pris une part active aux travaux, saisissant l’occasion de ce rendez-vous historique pour exposer à grands traits, une théorie de l’environnement directement inspirée des conceptions « tiers-mondistes » en vogue à l’époque. Dans sa déclaration politique, le représentant algérien annonce la couleur : « Les problèmes de l’environnement en Algérie procèdent directement pour la plupart de l’état de sous-développement dans lequel s’est retrouvé le pays du fait de l’exploitation coloniale ». Il en déduit que « le processus de développement est le cadre de résolution de toutes nos préoccupations majeures en matière d’environnement ».

Le ton moralisateur caractéristique de l’idéologie tiers-mondiste n’est pas absent de ce discours : « A quoi serviraient des réserves naturelles préservées dans un monde où règnent l’inégalité économique et l’injustice sociale ? », lance Kemal Abdallah-Khodja. En d’autres termes : « A quoi servirait un environnement viabilisé quand la majorité des sociétés humaines demeure à l’écart des grandes décisions qui régissent le monde et subit la loi d’arrangements et de compromis contractés par-dessus leurs têtes ».

A l’adresse des pays occidentaux initiateurs de la Conférence de Stockholm, l’Algérie émet quelques doutes sur la vague « écologique » qui commençait à se dessiner : « Il nous paraît anormal qu’au nom d’un humanisme qui sous-tend le courant actuel de l’environnement, on se préoccupe exclusivement de l’avenir d’une minorité de générations futures quand le sort des trois-quarts des générations présentes est délaissé ».

Quand le projet de Déclaration de Stockholm est discuté, le délégué algérien interviendra en faveur de son amendement par l’adjonction d’un point précis : « l’absence de conflit entre la notion de sauvegarde de l’environnement et celle de développement dans les pays pauvres ». Cette conception est imprégnée de la revendication du fameux nouvel ordre mondial, dont le président Houari Boumediene se fera, deux ans plus tard, l’ardent défenseur du haut de la tribune de l’Assemblée extraordinaire des Nations unies.

Le rêve algérien de la décennie 1960

Dans la première décennie de l’Algérie indépendante, la préoccupation environnementale n’est pas absente. En relisant les premiers Codes communal et de wilaya, promulgués l’un en 1967 et l’autre en 1969, on peut en trouver trace. Le Code communal fait obligation aux pouvoirs publics dans la commune de  « prévenir et prendre les dispositions nécessaires pour lutter contre les maladies épidémiques ou contagieuses », généralement provoquées par une mauvaise hygiène du milieu. Quant au Code la wilaya, il insiste sur « les actions susceptibles de favoriser la lutte contre la désertification et d’assurer la défense et la restauration des sols » et sur « la rénovation rurale, l’aménagement des espaces ruraux et les opérations de reboisement ».

Le rêve algérien de la décennie soixante – bâtir une « économie intégrée » indispensable à « l’indépendance économique », garante de la souveraineté nationale – comprend une dimension écologique comme l’atteste la création en juillet 1974, en pleine  « fièvre industrielle », du Comité national de l’environnement (CNE), premier acte institutionnel de l’Algérie. Son champ d’action se résume en quelques mots : cadre de vie, ressources biologiques, pollutions et nuisances. Il est présidé par un ministre d’Etat, sans portefeuille, Cherif Belkacem, qui remplit au sein de l’Exécutif un rôle essentiellement politique.

Salah Djebaïli, un pionnier

Le secrétariat général du CNE a été confié au Dr Salah Djebaïli, qui avait auparavant apporté une contribution précieuse à la participation de l’Algérie à la Conférence de Stockholm. Il sera assassiné plus tard par les terroristes islamistes, le 31 mai 1994, alors qu’il sortait de l’Université de Bab Ezzouar (Alger) dont il était le recteur. Salah Djebaïli peut être considéré comme le pionnier de l’écologie en Algérie. Il était également connu comme footballeur dans l’équipe de Nîmes Olympique et de l’équipe nationale d’Algérie dans les années 1960.

Au sein du CNE, Salah Djebaïli a été attentif à l’apparition des premiers risques écologiques, notamment ceux liés au « passage de l’agriculture extensive à l’agriculture moderne qui s’accompagne d’une intensification de l’emploi de l’eau, des engrais et des pesticides ». D’une façon générale, le CNE insiste sur les « précautions à prendre pour diminuer, voire éviter toute pollution dangereuse à plus ou moins long terme ». Il recommande de « rechercher les techniques les moins polluantes ». Afin d’illustrer cette stratégie de la prévention, le secrétaire général du CNE révèle que « pour les 350 projets industriels prévus dans le cadre du 2ème Plan quadriennal (1970-1973), les sociétés nationales réalisatrices de ces projets ont opté pour le choix des équipements les plus sophistiqués, non seulement pour une question de rendement, mais également par souci d’acquérir un matériel qui soit le moins polluant possible ». C’était devant le premier congrès africain de prévention des risques professionnels réuni à Alger par l’Organisation de l’unité africaine (OUA, qui deviendra plus tard Union africaine, UA) du 18 au 24 novembre 1974. Il précise que le ministère de l’Industrie et de l’Energie qui pilote ces projets envisage  «d’ici l’an 2000 », un véritable programme anti-pollution qui englobera l’ensemble des établissements industriels et annonce la mise en place d’une « surveillance permanente des installations et de l’évolution des systèmes écologiques naturels ». A l’issue de ce congrès, la synthèse des travaux de la commission « pollution et environnement » reprend les idées développées par le CNE et introduit, sans encore l’appeler par son nom, la notion d’étude d’impact sur l’environnement.

Le « volontarisme écologique »

Il est intéressant de noter qu’en 1974 déjà, les responsables algériens chargés de l’environnement énonçaient les recommandations suivantes : « tenir compte des contraintes écologiques particulières avant l’implantation de l’usine ; refuser l’implantation de toute usine polluante qui ne respectent pas les normes admises comme non dangereuses pour la santé de l’homme; exiger que les usines clés en mains soient conçues selon les normes technologiques les plus élaborées pour une meilleure rentabilité et avec suppression de tout rejet ». Ce « volontarisme écologique » a été codifié dans la Charte nationale, adoptée en 1976, qui se définit comme « la source suprême de la politique de la Nation et des lois de l’Etat ». Elle assigne aux collectivités locales et à l’ensemble des institutions économiques, sociales et culturelles de l’Etat « un rôle de premier plan dans la mise en œuvre d’une politique de lutte contre la pollution et de protection de l’environnement ». Les rédacteurs de ce texte fondamental ont tenu à souligner que cette politique « doit être la préoccupation de tous les citoyens et ne pas être comprise comme relevant de la seule action de l’Etat ».

Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE)

La Conférence de Stockholm de juin 1972 s’était tenue en présence des représentants de 114 pays, de 400 ONG, en tout 6 000 participants. Elle avait sonné l’alarme devant la crise écologique planétaire qui s’annonçait. Elle a eu le mérite de consacrer le droit à l’environnement et la coopération entre les Etats, au service de la préservation des ressources naturelles. Jugeant le système international inadapté à l’ampleur et à l’urgence des problèmes d’environnement, les participants à la Conférence, parmi lesquels les représentants de l’Algérie, avaient demandé la mise en place de dispositifs institutionnels et financiers permanents, capables de catalyser, de stimuler et de coordonner un programme d’actions pour la protection et l’amélioration de l’environnement humain. Il fallait regrouper tous les segments épars, qui s’occupaient auparavant d’environnement, en une seule institution. C’est ainsi que, par une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU, faisant suite aux recommandations de la Conférence de Stockholm de juin 1972, est né le 15 décembre 1972 le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), dont le siège a été établi à Nairobi, au Kenya. Depuis cette date, le PNUE est au centre de l’activité écologique du système des Nations unies. L’impulsion du PNUE a incité de nombreux pays à se doter des structures administratives et techniques indispensables à la prise en charge des questions environnementales avec des législations et les réglementations nationales. Sous l’égide du PNUE, ont été mis en chantier tous les instruments juridiques internationaux – conventions et protocoles. Rappelons que la Journée mondiale de l’environnement célébrée chaque année, le 5 juin, a été lancée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1972 afin de marquer l’ouverture de la Conférence de Stockholm sur l’Environnement humain.

De bonnes dispositions sur le papier

Les problèmes d’environnement que l’Algérie traîne encore découlent, pour nombre d’entre eux, de la politique de « libéralisation » commencée il y a près de quatre décennies, en rupture avec la période précédente, post-indépendance, qualifiée de socialiste. Le désengagement quasi-total de l’Etat, particulièrement durant les années 1980 et 1990, de ses tâches de contrôle des activités économiques et, dans le même temps, le délaissement évident par les autorités locales de leurs attributions touchant aux services publics de base, au profit de ce qui paraissait plus lucratif, comme le foncier, ont eu pour conséquence une grave sous-estimation de la protection de l’environnement, relevée dans les rapports officiels sur l’état de l’environnement. Un « recadrage » a été opéré difficilement par l’introduction dans la Constitution de dispositions qui prennent en considération les problèmes écologiques. Dans le Préambule, il est relevé que « le peuple demeure également préoccupé par la dégradation de l’environnement et les conséquences négatives du changement climatique et soucieux de garantir la protection du milieu naturel, l’utilisation rationnelle des ressources naturelles ainsi que leur préservation au profit des générations futures ». L’article 21 précise que « l’Etat veille à protéger les terres agricoles ; assurer un environnement sain en vue de protéger les personnes ainsi que le développement de leur bien-être ; assurer une sensibilisation continue aux risques environnementaux ; l’utilisation rationnelle de l’eau, des énergies fossiles et autres ressources naturelles ; la protection de l’environnement dans ses dimensions terrestre, maritime et spatiale en prenant les dispositions adéquates pour réprimer les pollueurs ». Ces dispositions sont en complément de l’article 20 qui énonce que « la propriété publique est un bien de la collectivité nationale ». « Elle comprend, précise le même article, le sous-sol, les mines et les carrières, les sources naturelles d’énergie, les richesses minérales, naturelles et vivantes des différentes zones du domaine maritime national, les eaux et les forêts. Elle est, en outre, établie sur les transports ferroviaires, maritimes et aériens, les postes et les télécommunications, ainsi que sur d’autres biens fixés par la loi ». Il s’agit du patrimoine du peuple algérien.

Toutes ces dispositions partent sans doute du constat qu’une tendance à l’exploitation non durable des ressources naturelles en Algérie se dessinait et que le risque de leur dégradation, voire leur épuisement rapide, n’était pas à écarter. Le fait que les ressources naturelles ne soient pas la propriété privée de particuliers, mais la propriété de l’Etat, facilite la mise en œuvre de l’article 21, pour leur protection. L’article 64 stipule que « le citoyen a droit à un environnement sain dans le cadre du développement durable » et ajoute que « la loi détermine les obligations des personnes physiques et morales pour la protection de l’environnement ». Il reste à appliquer ces bonnes dispositions et à les traduire dans le cadre de vie quotidien, notamment urbain, en « plus de propreté sur la voie publique », « moins de bruit », « un air moins pollué »

Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du dimanche 5 juin 2022.

En haut, la couverture du livre Déclaration des droits de la nature, de Claude-Marie Vadrot, ancien président des JNE, consacré à la conférence de Stockholm de 1972, paru en 1973 aux éditions Stock.