Ce webinaire a rassemblé une quarantaine de participants, dont beaucoup de JNE, autour des deux auteurs du livre Qui veut la peau des écolos – Enquête sur les dessous de l’écolobashing (éd. Double Ponctuation), Danièle Boone (JNE) et Marc Giraud (JNE), avec Suzanne Körösi (JNE), modératrice, et la participation d’Inès Léraud et Hervé Kempf (JNE).
Compte-rendu rédigé par Marie-Hélène Léon, avec Marc Giraud et Suzanne Körösi
Ce livre, écrit à quatre mains, est une commande de l’éditeur Double Ponctuation. En introduction, Marc Giraud l’affirme : l’agribashing n’existe pas ! En effet, la plupart des écologistes aiment la terre et donc aussi les paysans. Mais il manquait un terme nécessaire à qualifier une réalité, l’écolobashing ; mot destiné à faire contrepoids au discours sur l’agribashing. Cette notion d’agribashing a été utilisée par le syndicat agricole FNSEA, à son profit, avec pour conséquence la création de la cellule Démeter. Danièle Boone précise que certains paysans n’aiment pas le terme d’agribashing qui tend à les victimiser.
Inès Léraud, dans son enquête fouillée, montre que l’agro-alimentaire emploie une personne sur trois en Bretagne, installant une économie hégémonique où l’argent circule, irrigant institutions et médias. Pour le politique, la ligne rouge à ne pas franchir c’est la décroissance, l’écologie. Ainsi le président de l’association qui dénonce les algues vertes s’est retrouvé avec des menaces de mort, des cadavres de renards devant son domicile, des avis d’obsèques dans sa boîte aux lettres…
Pour Hervé Kempf, ce qui a changé dans les 20-25 dernières années, c’est l’amplification de la répression. Cette violence est un signe de la crise du capitalisme qui n’a plus d’autre moyen pour répondre aux revendications des écologistes. On est désormais dans une fuite en avant, avec la radicalisation du système productiviste, qui se manifeste partout : autoroutes, TGV, espace… Comme si le capitalisme poussait dans ses ultimes feux son système destructeur, avec pour instruments la répression policière et juridique, la pression médiatique, et les oligarques agressifs.
Les luttes écologistes sont reparties après les années 2005, peut-être autour de Notre-Dame-des-Landes, du mouvement climat, et d’une nouvelle génération. Mais le danger guette : une journaliste de Reporterre est blessée à Notre-Dame-des-Landes, ailleurs un journaliste est en garde à vue, la journaliste Morgan Large, qui travaille entre autres pour Reporterre en Bretagne a ses pneus crevés… D’ailleurs, une tribune de Morgan Large doit paraître le 9 février 2022 dans le journal Libération sur la cellule de gendarmerie Demeter. Hervé Kempf souligne que certains magistrats sont sensibles à ces atteintes à la liberté et que l’arrêt de la justice concernant la cellule Démeter est une bonne nouvelle.
Inès Léraud poursuit sur son expérience éprouvante. Plusieurs de ses témoins ont été menacés, elle subit deux procès en diffamation, et a dû dés-anonymiser deux témoins qu’elle souhaitait protéger. Ce fut un important travail pendant 18 mois. Et les parties se sont rétractées une semaine avant le procès ! Sa situation a généré un comité de soutien citoyen en Bretagne. Menaces, agressions… Les journalistes d’investigation sont peu nombreux. Pour Hervé Kempf, il s’agit d’exercer simplement notre métier de journaliste. Ailleurs, selon les endroits du monde, la situation est souvent pire. Le livre Les héros de l’environnement d’Elisabeth Schneiter (éd. Seuil), qui s’ouvre sur l’assassinat de Berta Caceres au Honduras, en témoigne. Si la répression est plus violente dans d’autres pays, le recul des libertés publiques est plus fort en France que dans d’autres pays européens. Pour exemple, l’Allemagne, où les actions de la police sont beaucoup moins agressives.
La crise sanitaire a été évoquée. Hervé Kempf souligne que Reporterre n’a pas souhaité rentrer dans le débat sur les vaccins, indiquant ne pas disposer des compétences scientifiques, et préférant rester sur les thèmes des libertés publiques et des maladies environnementales. Une enquête va paraître sur l’obésité. De l’avis global, la presse de gauche n’a pas fait son travail critique de la gestion de la crise sanitaire. Pourtant, l’écologie tire ses racines de la critique de la technologie. Inès Léraud souligne l’importance d’instaurer un climat de confiance avec les interlocuteurs. Elle choisit de faire relire le texte aux témoins, expliquant que c’est devenu une méthode de travail, invitant à être plus précis, et améliorant les relations.
Gabriel Ullmann, ex commissaire enquêteur, radié, a détaillé la procédure qui dure depuis trois ans, annonçant qu’il passait le lendemain au Conseil d’État. Il a expliqué que la raison de sa radiation était qu’il donnait plus d’avis défavorables que la moyenne des commissaires enquêteurs (notamment sur le Center Parc de Roybon) et qu’il avait publié des articles qui montraient ses orientations écologistes. Il dit ne pas attendre plus du juge que du politique, car c’est le politique qui fait le droit. Il faut du temps, beaucoup d’énergie, de la volonté, pour gagner.
La réunion s’achève sur les perspectives. Inès Léraud affiche son pessimisme concernant son travail de journaliste. Elle se dit sidérée que la profession de journaliste n’ait pas fait son travail de pluralité des médias face au Covid, et que la masse ait préféré le suivisme de la parole d’État. Quant aux rares médias indépendants, il leur était difficile d’emprunter une voie dissidente sans craindre d’être « grillés ». Elle comprend que Reporterre n’ait pas fait d’article sur le vaccin… Mais globalement, le travail de journaliste, c’est de travailler avec le contradictoire. Elle voit des exemples inspirants de collectivités, avec l’achat de terres en commun, des naturalistes qui viennent. Il faut continuer les investigations avec Splann, le media citoyen.
Danièle Boone dit qu’elle n’est pas optimiste, mais ne voit pas l’avenir complètement noir pour les journalistes vu tout ce qui se fait de positif localement dans des villages, dans des villes pour conserver ou régénérer la biodiversité. On est dans la fin du capitalisme. L’écologie, c’est une guérilla. C’est être sur le terrain et faire : faire passer l’information, faire des actions sur le terrain… Le collectif est important. Il faut se regrouper, car plus on est ensemble et plus on est fort. Marc Giraud se dit vieux militant, et voit que les choses changent, mais pas assez vite. Il rappelle que de nombreux moyens de lutte sont répertoriés dans le livre de Catherine Levesque (JNE) Le guide pratique de l’éco guerrier (éd. Delachaux et Niestlé), offrant des solutions d’action. Il faut garder espoir. Le webinaire, porteur de nombreux fruits d’actions et de réflexion, s’est achevé sur cette note positive.
Ci-dessous, la captation vidéo de ce webinaire.